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Nigéria : la grève générale de juillet confirme la combativité de la classe ouvrière


Auteur(s) :Frédéric Traille
Date :15 novembre 2003
Mot(s)-clé(s) :international, Nigéria
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Le Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique avec 130 millions d’habitants, a vu le retour officiel de la démocratie en 1999. Le premier président civil après 15 ans de dictature militaire, Olusegun Obasanjo, est lui-même un ancien général, qui exerça le pouvoir à la fin des années 1970. En avril 2003, les élections présidentielle, législative et des gouverneurs d’États (le Nigeria est une République fédérale) ont conforté Obasanjo et son parti, le PDP (Parti Démocratique du Peuple), à la tête du pays. Ces élections n’offraient aucune perspective aux masses pauvres nigerianes, qui ne sont pas allées voter à plus de 50%. Les principaux candidats en lice représentaient en effet différentes factions de la classe dominante, souvent issus de la hiérarchie militaire — comme l’ancien général Muhammadu Buhari, à la tête de la dictature entre 1983 et 1985 —, en concurrence pour s’accaparer les subsides de l’exploitation des travailleurs nigerians par l’impérialisme. Après une campagne marquée par l’instrumentalisation des différences « ethniques » et religieuses par les candidats pour assurer leur domination dans leur fief (Buhari dans le nord musulman, Obasanjo dans le sud chrétien, Ojukwu, l’ex-chef de la sécession biafraise...), et des élections entachées de fraudes (bourrages d’urnes, achats de votes), la clique en place a pu se maintenir au pouvoir.

Les masses toujours soumises à la misère et à la répression

Dans ce pays aux ressources naturelles importantes (le Nigeria est le sixième producteur mondial de pétrole) et caractérisé par une corruption gigantesque, la victoire du camp Obasanjo lui assure des retombées matérielles on ne peut plus bénéfiques. Les revenus pétroliers (qui représentent 90% des recettes d’exportation du pays) et les investissements étrangers, encouragés par Obasanjo lors de son précédent mandat au travers du NEPAD (Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique), dont il est l’un des initiateurs, et des privatisations (dernièrement celle de l’opérateur téléphonique Nitel), sont l’objet de multiples commissions et détournements.

Pendant ce temps, 70% des Nigerians vivent sous le seuil de pauvreté. Le chômage touche officiellement 28% de la population active. La majorité des travailleurs salariés connaissent la précarité et les retards de salaires, et le salaire moyen n’est que de 300 euros par an. Près de 60 millions de Nigerians vivent dans des zones urbaines, dont 12 millions à Lagos, capitale économique du pays et ville la plus peuplée d’Afrique. Les conditions de vie y sont déplorables : malnutrition, pas d’accès à l’eau potable pour 60% des habitants de Lagos, population entassée dans les bidonvilles, voire sans-abri et réduite à la mendicité.

Le gouvernement est coupable du maintien et de l’aggravation de cette situation. Le processus de privatisation s’accompagne de nombreux licenciements. Les dépenses de l’État restent avant tout réservées au paiement de la dette extérieure du Nigeria, qui s’élève à 34 milliards de dollars. Dans le même temps, la part du budget allouée à l’éducation est réduite à 1,8% en 2003 ; les frais d’inscription dans les universités publiques montent en flèche, et le gouvernement favorise la création d’universités privées pour transmettre le savoir à ceux qui en ont les moyens.

Le pouvoir utilise les méthodes les plus dures pour réprimer les soulèvements qui naissent inévitablement de la situation catastrophique des masses. L’armée reste l’instrument de répression le plus utilisé par le pouvoir désormais civil. Le combat anti-syndical emprunte également les méthodes héritées des dictatures militaires, en particulier les lois pour déclarer certaines grèves illégales. Les interventions de l’armée sont généralement sanglantes, comme dans une campagne de représailles suite à la mort de 12 policiers dans la région pétrolière du delta du Niger, où l’armée a rasé toute une ville et tué 2000 civils !

Les puissances impérialistes ayant des intérêts au Nigeria, c’est-à-dire principalement la Grande-Bretagne et les États-Unis, ne s’y trompent pas et font confiance à l’armée nigeriane comme force de « stabilisation » à l’échelle du pays, mais aussi de l’Afrique de l’Ouest, avec en particulier des interventions pour protéger les profits diamantaires en Sierra Leone. Ainsi, « l’aide au développement » de la part des impérialistes consiste ici, à hauteur de millions de dollars, à l’entraînement et à l’équipement de l’armée.

La répression des masses prend aussi les formes de l’obscurantisme religieux. Avec la bénédiction de l’État fédéral, 12 des 19 États du nord musulman ont adopté la loi islamique de la charia. Le cas médiatisé d’Amina Lawal, condamnée à mort par lapidation pour relations sexuelles hors mariage puis finalement acquittée, ne doit pas faire oublier les nombreuses autres condamnations similaires.

Une classe ouvrière combative

La composition des classes laborieuses au Nigeria est fortement marquée par les ressources naturelles du pays. Avec 40% du PIB provenant de l’industrie (dont seulement 5% pour l’industrie manufacturière, qui reste sous-développée), la classe ouvrière industrielle représente 10% des 66 millions qui constituent la population active. Elle est organisée dans des syndicats qui demeurent généralement combatifs, malgré la répression et les intimidations. La principale centrale syndicale est le NLC (Congrès Ouvrier Nigerian) ; son action, comme toute organisation ouvrière réformiste, est marquée par l’opposition entre la volonté de combattre de la base et l’attitude collaborationniste de la direction : d’un côté, des actions efficaces contre le travail précaire, avec par exemple des piquets de grève pour faire appliquer par les multinationales les lois du travail arrachées par la classe ouvrière nigeriane sur le travail temporaire ; de l’autre côté, les liens de certains dirigeants de la centrale syndicale avec les ennemis de la classe ouvrière, les membres du pouvoir, ou encore la participation du président du NLC au Conseil National pour la Privatisation, la centrale ne s’opposant pas par principe aux privatisations.

La dernière grande mobilisation des classes laborieuses nigerianes date de juillet dernier. Quelques semaines seulement après sa réélection, le président Obasanjo a décidé une nouvelle attaque contre les masses, avec une hausse du prix du carburant de 26 nairas à 40 nairas le litre. La volonté d’augmenter ces prix est une constante depuis 15 ans, avec une première mesure prise en ce sens par la junte militaire au pouvoir en 1986, en application du Plan d’Ajustement Structurel du FMI, jusqu’aux deux dernières hausses en 2000 et 2002 par, déjà, le gouvernement Obasanjo, avec une relative passivité du NLC. Il s’agit d’une volonté du pouvoir de supprimer les « subventions » qui permettent de conserver des prix de carburant relativement bas, les économies ainsi faites dans le budget de l’État étant censées servir à l’amélioration des services sociaux (en fait sans aucune garantie, puisque le budget de l’État est en fait massivement consacré au remboursement de la dette). Le Nigeria, bien que sixième producteur mondial de pétrole, doit importer son carburant : les prix « trop bas » ne permettent pas aux multinationales pétrolières de dégager des bénéfices en raffinant le pétrole pour une utilisation locale, et les raffineries étatiques sont largement délaissées, causant ainsi des pénuries de carburant. Cette « mise à niveau » des prix des carburants pour l’exploitation du marché par les multinationales aura bien entendu des répercussions sur les prix des transports et donc sur le reste des produits pour la population.

La violence de cette attaque a suscité une riposte en conséquence : le 30 juin, le NLC a appelé à une grève générale illimitée contre cette mesure et, pendant huit jours, l’économie du pays a été paralysée par cette grève, une des plus massives de l’histoire du Nigeria. Le 9 juillet, après une concession mineure du gouvernement (34 nairas au lieu de 40 nairas le litre), la direction du NLC a finalement annoncé la suspension de la grève, contre l’avis de certains des 29 syndicats affiliés, arguant de la démobilisation des masses non-organisées ainsi que du début de la répression sanglante (avec quatre manifestants tués par la police).

Ce mouvement n’en a pas moins été exemplaire : les masses laborieuses du Nigeria et leur avant-garde ouvrière ont montré leur combativité face à un gouvernement corrompu, multipliant les attaques au profit des intérêts impérialistes. Mais sans perspective communiste révolutionnaire incarnée par un parti ouvrier de masse, sans alternative au pouvoir en place autre qu’une nouvelle dictature militaire, la puissance du mouvement et la capacité de mobilisation des organisations ouvrières, NLC en tête, n’ont pu déboucher que sur une concession minime et temporaire de la part du gouvernement.

Pour réaliser les tâches de rupture avec l’impérialisme, en particulier pour le non-paiement de la dette qui maintient la population nigeriane dans la plus grande misère, il est donc indispensable pour les forces communistes révolutionnaires au Nigeria de populariser la perspective d’un gouvernement ouvrier et paysan, au service des masses laborieuses, qui seul sera en mesure de réaliser leurs revendications démocratiques, économiques et sociales ; et pour cela, de se tourner résolument vers les masses ouvrières, et d’aider ses secteurs les plus combatifs, en particulier dans le NLC, à chasser leurs directions traîtres.


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