Le CRI des Travailleurs
n°23
(septembre-octobre 2006)

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Pas de « solidarité » avec les peuples sans soutien à leur résistance et lutte contre l'impérialisme français

En France, la meilleure aide que les travailleurs puissent apporter au peuple libanais est leur lutte contre leur propre impérialisme, contre la politique de Chirac au Liban et au Moyen-Orient, pour le retrait immédiat des troupes françaises et de toute la FINUL. Cela implique un combat politique pour éradiquer les illusions envers l’ONU et l’impérialisme français que distillent non seulement la bourgeoisie et ses partis (UMP, UDF, PS, Verts…), mais aussi les réformistes de la gauche du PS, du PCF et des directions syndicales, tous couverts comme d’habitude par les principales forces d’extrême gauche (LCR, LO et PT).

Alignement intégral du PCF et des directions syndicales derrière l’impérialisme français…

Il n’est pas nécessaire d’insister ici sur le cas du PS, qui a immédiatement fait porter la responsabilité du conflit sur le Hezbollah et qui a qualifié de « légitime » l’agression israélienne, en se contentant comme Chirac de la juger disproportionnée (1). En revanche, il faut dénoncer tout particulièrement l’alignement total du PCF derrière Chirac : ce parti a d’abord refusé de soutenir la résistance libanaise, faisant croire aux travailleurs que la solution viendrait de l’ONU et tout particulièrement de la diplomatie française. Puis, au lendemain de l’arrêt des combats, dans un communiqué du 16 août, le PCF publiait un tract national ignoble : il renvoie dos-à-dos l’agresseur israélien et la résistance libanaise en prétendant que « toutes les opérations militaires et tous les tirs, de toute part, doivent cesser impérativement et définitivement » et il ose faire croire que « les forces armées du Liban et celles de la FINUL vont se déployer pour garantir la souveraineté et la sécurité du Liban ». Puis le PCF, tout en rejetant le recours à la force, n’en fait pas moins sien l’objectif de désarmement de la résistance, opération qu’il camoufle sous une exigence démocratique frauduleuse en se prononçant « pour l’affirmation d’un État de droit indépendant, démocratique et non confessionnel où seuls les pouvoirs publics puissent disposer de la force armée ». Enfin, le PCF s’aligne ouvertement derrière l’impérialisme français : au lieu de dénoncer ses intérêts coloniaux au Liban et d’éclairer sous cet angle la véritable cause de l’envoi de nouvelles troupes dans le cadre de la FINUL, le tract du 16 août se vautre dans le vil chauvinisme en s’enorgueillissant du fait que « la France est en première ligne pour assumer au Sud Liban une opération politico-sécuritaire internationale délicate et décisive pour l’avenir. Elle doit le faire avec le plus grand sens des responsabilités. » Dans son discours de rentrée à Hennebont, le 23 août, Marie-George Buffet a persisté et signé : « Après des hésitations, la position de la France a évolué favorablement et je me félicite que notre pays, par son action, ait contribué au cessez le feu. (…) Pour ma part, autant je pense que la France doit s’impliquer pleinement dans la Finul, y compris dans sa direction, autant je pense qu’il est nécessaire de fixer un mandat précis pour éviter que cette Finul soit de nouveau impuissante. Si aujourd’hui les conditions sont réunies, alors il faut que le Président de la République, sans tarder, engage la France. Je peux témoigner que lors de mon voyage au Liban, le peuple libanais, toutes sensibilités confondues, attend de la France qu’elle agisse pour préserver sa souveraineté et sa liberté. » D’où l’on peut conclure d’une part que, sur cette question, Buffet est plus chiraquienne que Chirac, puisqu’elle lui reproche ses « hésitations » ; et, d’autre part elle a sans doute rencontré au Liban des membres du gouvernement Siniora et des bourgeois de Beyrouth, mais manifestement aucun de ces centaines de milliers d’ouvriers et de paysans qui soutiennent ou participent à la résistance…

De son côté, la CGT s’est rangée derrière l’impérialisme en exigeant la « pleine application de la résolution 1559 » dans ses communiqués des 8 et 10 août. La FSU a fait de même en renvoyant dos-à-dos le Hezbollah et l’armée sioniste, en « exige(ant) la pleine application des résolutions de l’ONU concernant les territoires Palestiniens et le Liban » et en faisant appel « au gouvernement français et aux instances européennes » pour trouver une solution à la crise (communiqué du 10 août). Aucune confédération ou fédération syndicale nationale n’a soutenu la résistance libanaise. Seule la Fédération syndicale étudiante (FSE) a dénoncé clairement le soutien du gouvernement français à Israël, exigeant l’ « arrêt immédiat et inconditionnel de la campagne de terreur israélienne », apportant son « soutien total à la Résistance légitime des peuples palestiniens et libanais contre l’agression israélienne » et proclamant : « À bas la résolution 1559 de l’ONU ! Contre le déploiement d’une force impérialiste au Moyen-Orient ! »

… capitulation de la LCR, de LO et du PT face aux réformistes

Quant aux principales organisations d’ « extrême gauche », quelle orientation ont-elles proposé pour aider les travailleurs à y voir clair et à se mobiliser contre leur propre gouvernement ? — Pendant la guerre elle-même, la LCR a parfois déclaré « pleinement légitime le droit de résister [des peuples libanais et palestinien] à l’occupation coloniale et aux agressions de l’État d’Israël » (cf. son communiqué du 17 juillet), parfois non (cf. son communiqué du 8 août, qui se contente d’affirmer une « solidarité avec les peuples libanais et palestiniens contre l’agression militaire israélienne ». Cette hésitation s’explique par un opportunisme permanent à l’égard du « Collectif pour une paix juste et durable au Moyen-Orient », dominé par le PCF, la CGT et quelques autres, et auquel la LCR a accepté de participer sous prétexte d’ « unité ». D’autre part, la LCR a certes condamné, dès le 17 août, le contenu de la résolution 1701 et l’envoi de nouvelles troupes pour désarmer la résistance, mais, outre ses formulations pacifistes (« Oui à la paix »…), elle a refusé de rompre le front constitué en juillet avec le PCF, capitulant ainsi devant lui : de fait, ce parti et les principales forces de « gauche » ayant décommandé une manifestation prévue pour le 9 septembre, la LCR n’a rien proposé aux travailleurs et aux jeunes pour contrer cette véritable trahison du peuple libanais, refusant de prendre quelque initiative que ce soit pour commencer à mobiliser contre la FINUL et l’envoi de nouvelles troupes françaises.

Le PT, de son côté, s’est d’abord manifesté… par une incroyable inertie : il n’a pas pris la moindre initiative et n’a appelé à aucune des manifestations avant celle du 29 juillet, alors qu’il y en a eu plusieurs à Paris entre le 12 et le 26, les mercredi et samedi. Encore dans le numéro de son journal hebdomadaire, Informations ouvrières (IO), daté du 20 juillet, soit huit jours après le début de l’agression israélienne contre le Liban, on ne trouve qu’une « tribune libre » d’un « militant juif de Palestine » à titre individuel sur la question palestinienne et la proposition d’une « conférence internationale de solidarité avec les femmes palestiniennes », mais aucune déclaration du PT sur l’agression israélienne contre le Liban, aucune proposition et même aucune véritable information, à l’exception de quelques dépêches de l’AFP ! Un parti qui revendique près de 6000 adhérents et une Internationale, et qui est doté d’un solide appareil de permanents, serait-il incapable de se faire une opinion sur un sujet d’une telle importance mondiale, même au cœur du mois de juillet ? Ou sa routine para-syndicale et sa logique d’appareil l’auraient-elles rendu définitivement incapable de faire face aux événements politiques exceptionnels ? Il faut en tout cas attendre un tract du 26 juillet et IO du 27 pour trouver un appel à se joindre aux manifestations du 29, le PT se prononçant à juste titre « pour le soutien à la résistance des peuples palestinien et libanais », mais se contentant de dénoncer Israël et les États-Unis, sans rien dire contre l’ONU… et contre Chirac, représentant de l’impérialisme français ! La page est d’ailleurs vite tournée : la semaine suivante, dans IO du 3 août, on trouve une nouvelle lettre du « militant juif qui exprime son propre point de vue » et une déclaration de Louiza Hanoune, porte-parole du PT d’Algérie, mais pas la moindre prise de position du PT français, et pas la moindre proposition. Et, après le vote de la résolution 1701, des critiques lui sont certes adressés dans IO du 17 août (quoique surtout à travers une revue de presse qui permet d’éviter glorieusement de prendre une position claire et nette), mais le PT n’a rien à dire contre l’envoi de la FINUL et des troupes françaises en particulier, abandonnant les principes internationalistes les plus élémentaires du mouvement ouvrier. Tout ce que le PT trouve à dire à ce sujet, c’est que la résolution « contient nombre de pièges. Par exemple, le fait qu’il n’y a ni calendrier précis de retrait des forces israéliennes et d’installation de la force internationale ni d’ailleurs de mandat clair pour celles-ci. » Autrement dit, soit le PT ne comprend rien au rôle de la « force internationale » impérialiste, soit il la cautionne, mais dans les deux cas il fait preuve d’une lamentable faillite. Dans les numéros suivants de son journal, cette organisation ne s’est toujours pas prononcée contre la FINUL et l’envoi des troupes françaises en particulier, confirmant son alignement de fait derrière Chirac.

Quant à Lutte ouvrière, elle a refusé pendant tout l’été d’apporter son soutien à la résistance libanaise, sous prétexte que le Hezbollah a une idéologie réactionnaire. Dans la pratique, son inertie a été encore plus grande que celle du PT puisqu’elle a attendu quant à elle… le 11 août pour appeler à la manifestation du 12 ! Plutôt que de considérer comme prioritaire le soutien aux peuples libanais et palestinien massacrés par l’armée israélienne, LO a préféré ne pas changer d’un iota la routine de ses « caravanes d’été » — alors qu’elle aurait pu se servir de celles-ci pour mobiliser les travailleurs contre la guerre dans les villes visitées. Enfin, LO dénonce verbalement le rôle de l’impérialisme français en général et analyse l’envoi des troupes françaises comme un moyen de protéger ses intérêts, mais elle ne condamne pas pour autant la résolution 1701 de l’ONU et elle ne se prononce pas expressément contre l’envoi des troupes françaises au Liban, pour ne pas parler d’initiative ou de propositions de mobilisation sur ce point. Par conséquent, elle laisse elle aussi à Chirac et à ses suppôts de droite et de gauche le soin de décider du sort du peuple libanais, sans réagir.

Pas un homme, pas un sou pour la FINUL ! Retrait des troupes françaises et étrangères du Liban !

Dans cette situation, il revient aux anti-impérialistes authentiques, à commencer par les véritables communistes révolutionnaire internationalistes, de prendre leurs responsabilités. C’est pourquoi le Groupe CRI s’est engagé dans le pôle qui s’est constitué en juillet-août autour d’un groupe d’associations de soutien au peuple palestinien (2), dont l’axe a été le soutien inconditionnel à la résistance palestinienne et libanaise et le rejet du sionisme. Ce pôle a commencé à apparaître sous ses propres mots d’ordre dans les manifestations convoquées par le PCF, les directions syndicales et le front d’organisations constitué autour d’eux (y compris la LCR). Or les organisateurs de ces manifestations ont voulu empêcher ce pôle de s’exprimer librement, de scander ses propres mots d’ordre et de prendre la parole dans les meetings de rue terminaux. Cette attitude s’explique par le fait que le PCF et ses alliés voulaient cantonner les manifestations dans un cadre purement pacifiste, se contentant d’afficher formellement leur « solidarité » avec les peuples palestinien et libanais, mais refusant en fait de soutenir la résistance (certaines organisations appelant même à appliquer la résolution 1559 de l’ONU qui prévoit de désarmer le Hezbollah). Finalement, lorsque, à Paris, le pôle de soutien à la résistance et d’opposition au sionisme a proposé une manifestation pour le 12 août à Denfert-Rochereau, le PCF et ses amis ont décidé de convoquer une autre manifestation à un autre endroit (Place du Châtelet). Le Groupe CRI a signé l’excellent appel du pôle de soutien à la résistance et d’opposition au sionisme et participé à la manifestation de Denfert-Rochereau, qui a rassemblé 500 personnes (l’autre en réunissant moins de 3 000). En même temps, le Groupe CRI a considéré que la séparation entre deux manifestations, imposée par les circonstances, devait être si possible exceptionnelle : il est en effet nécessaire de ne pas céder à la pression des réformistes, pacifistes et crypto-impérialistes qui voudraient évincer les anti-impérialistes des manifestations les plus massives, mais il faut participer à celles-ci avec des cortèges, des mots d’ordre et des tracts anti-impérialistes autonomes, dans le but de rallier le maximum de manifestants.

Dans la continuité de l’appel à la manifestation du 12 août à Denfert-Rochereau, un « Collectif de résistance des peuples du Moyen-Orient à l’impérialisme et au sionisme » s’est constitué, et le Groupe CRI s’y est engagé pleinement, avec une démarche à la fois constructive et critique quand il le faut. Étant donné la capitulation totale des directions du mouvement ouvrier, « extrême gauche » incluse, face à Chirac, un tel Collectif est un point d’appui d’une importance capitale pour aider les travailleurs, les jeunes et les militants ouvriers eux-mêmes à y voir clair et à commencer à se mobiliser contre la FINUL et l’envoi de troupes françaises au Liban. Quelles que soient les nuances que l’on puisse avoir avec sa Déclaration constitutive ou son appel à manifester le 7 septembre, quelles que soient surtout les insuffisances de son orientation (voir ci-dessous les amendements proposés par le Groupe CRI pour améliorer ces textes), ce Collectif a su prendre ses responsabilités en appelant, au moment même où toutes les autres organisations restent l’arme au pied, voire pour certaines au garde-à-vous face à Chirac, à un rassemblement devant l’Assemblée nationale le 7 septembre (jour du discours de Villepin justifiant la politique de la France au Liban) sur les mots d’ordre : « Non au blocus des peuples palestinien et libanais », « Pas un homme, pas un sou pour la FINUL » et « Retrait des troupes françaises du Liban » (cf. ci-dessous le tract d’appel à ce rassemblement).

De ce point de vue, il faut que les travailleurs, les jeunes, les militants se saisissent de l’existence de ce Collectif pour se mobiliser, pour le construire et pour engager le combat dans leurs propres partis, syndicats et associations, contre leurs propres dirigeants. Mais réciproquement, il faut que ce Collectif rompe avec la tentation d’une démarche d’auto-isolement de type gauchiste, c’est-à-dire qu’il accepte enfin de s’adresser aux organisations du mouvement ouvrier, comme le lui propose le Groupe CRI. Il ne s’agit évidemment pas de nourrir des illusions à l’égard des Buffet, Thibault, Aschieri et autres bureaucrates dirigeant le mouvement ouvrier, qu’il faut au contraire dénoncer publiquement ; mais il s’agit de comprendre que seule la classe ouvrière a la capacité sociale et économique d’imposer une défaite à Chirac par les armes de la lutte de classe : manifestations de masse, grèves de soutien à la résistance, actions de boycott des transports d’armes et de militaires, blocage des marchandises israéliennes, etc. Or la mobilisation de la classe ouvrière suppose un travail dans les entreprises et les quartiers, mais aussi parmi les militants des organisations qui encadrent encore aujourd’hui la frange décisive des travailleurs conscients. Il est donc nécessaire que le Collectif de soutien à la résistance des peuples du Moyen-Orient contre l’impérialisme et le sionisme s’adresse à ces militants pour les aider à rompre avec le pacifisme onusien et le sionisme, pour leur proposer de se battre en ce sens au sein de leurs entreprises et de leurs organisations.


1) Pour Jospin, par exemple, les choses sont claires : « Sous nos yeux, une démocratie, Israël, (a été) indûment provoquée par une faction libanaise, le Hezbollah » et, « comme souvent face aux agressions, Israël a sur réagi, comme si ce pays jouait à chaque fois son existence même, et il a déployé sans ménagement la supériorité de sa puissance de feu. Ayant une fois de plus l’argument légitime des attaques qu’il subit, l’État hébreu fixe à ses interlocuteurs possibles des obligations qu’ils ne peuvent satisfaire en l’état. » (Colloque de Santander, « Démocratie et dialogue : l’Occident et le monde arabe », séance du lundi 21 août 2006 sur le thème de « la démocratie comme antidote approprié à la violence »…)

2) En particulier les associations regroupées dans le Mouvement de Soutien à la Résistance du Peuple Palestinien (MSRPP), cf. le site http://www.liberation-palestine.org


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