Le CRI des Travailleurs
n°23
(septembre-octobre 2006)

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Il faut une véritable organisation nationale étudiante de lutte !


Auteur(s) :Gaston Lefranc
Date :15 septembre 2006
Mot(s)-clé(s) :étudiants, CPE
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L’atomisation du syndicalisme de lutte laisse la voie libre aux bureaucrates de l’UNEF

Nous devons tirer les leçons du mouvement étudiant du printemps 2006. Le mouvement étudiant a été beaucoup plus puissant que celui de novembre 2003 (contre la réforme LMD). De début février au 10 avril (annonce du « remplacement » du CPE par un dispositif étendant les contrats précaires existants), le mouvement n’a cessé de se développer avec la mise en place de piquets de grève dans une majorité d’universités.

La direction de l’UNEF a cherché à canaliser et contrôler le mouvement par des « journées d’action » dispersées, cherchant à convaincre les étudiants que le mouvement serait « long » et donc qu’il ne fallait pas bloquer les facs en continu mais seulement lors des journées de manifestation qu’ils décidaient avec les directions des confédérations. De façon constante, la direction de l’UNEF a cherché à empêcher l’élargissement des revendications, mettant l’accent sur le seul « retrait du CPE » afin d’offrir une porte de sortie au gouvernement tout en pouvant crier « victoire » (cf. le dossier de bilan dans le précédent numéro).

Dans les universités où les syndicalistes de lutte étaient bien organisés (sections FSE et/ou SUD, tendance TTE de l’UNEF, syndicats de lutte locaux), l’UNEF a très rapidement perdu le contrôle des AG, étant mise en minorité tant sur les revendications que sur les moyens d’action. Par exemple, à Tolbiac Paris I (place forte de la mobilisation, bloquée en continu du 23 février au 10 avril), les dirigeants de l’UNEF n’ont pas pu se faire élire comme mandatés aux coordinations nationales, alors que les militants de la FSE, SUD, CNT étaient régulièrement mandatés. De façon générale, la confrontation entre le syndicalisme de lutte, s’appuyant peu ou prou sur la masse des étudiants mobilisés, et l’UNEF, qui cherchait à freiner le mouvement, a tourné à l’avantage du syndicalisme de lutte, malgré son petit nombre de militants (environ 500-700) et sa division. Dans les facs où l’UNEF était la seule organisation syndicale présente, elle a pu en général contrôler le mouvement, tout en étant parfois contrainte de radicaliser ses positions sous la pression des étudiants mobilisés. En bref, les syndicalistes de lutte ont joué un rôle sans commune mesure avec leurs effectifs, révélant la faiblesse de l’UNEF. Les étudiants les plus mobilisés ne se reconnaissent pas dans l’UNEF, et l’analysent avec raison comme un appareil parasitaire qui ne défend pas leurs intérêts.

Jusqu’au 10 avril, et contrairement à 2003, l’UNEF n’a pas dirigé nationalement le mouvement, les coordinations nationales reflétant globalement les positions (avec toutes ses insuffisances, cf. Le CRI des travailleurs n° 22) du syndicalisme de lutte, lui-même poussé par la dynamique de plus en plus radicale de la mobilisation. Toutefois, à partir du 10 avril, toutes les composantes de l’appareil d’État (gouvernement, médias, principales directions syndicales dont l’UNEF) se sont mobilisées et ont réussi à faire refluer très rapidement le mouvement, après la suppression du seul CPE. Pourquoi un reflux si rapide alors que le mouvement paraissait si puissant, radical, et émancipé de la tutelle de l’UNEF ? La faiblesse organisationnelle du syndicalisme de lutte y est pour beaucoup. Lorsque le mouvement était ascendant, le syndicalisme de lutte voyait ses positions reprises presque naturellement par les étudiants, quand ce n’était pas le contraire ; l’UNEF était en tout cas relativement marginalisée, quoique pas pour autant neutralisée. Les syndicalistes de lutte pouvaient alors s’illusionner sur l’absence de conséquence de leur faiblesse organisationnelle. En revanche, à l’annonce de la suppression du CPE, et face au concert des médias et des directions syndicales qui matraquaient que les étudiants n’avaient plus aucune raison de continuer la grève, il eût fallu une organisation nationale étudiante puissante capable de s’opposer à l’appareil d’État et à ses mensonges, et de lancer un appel national clair à la poursuite de la grève, susceptible d’être entendu par la majorité des étudiants. Mais le syndicalisme de lutte, atomisé, ne faisait pas le poids, alors qu’un syndicalisme de lutte unifié aurait pu donner un tout autre cours à la lutte après le 10 avril.

La direction de l’UNEF exclut ses militants les plus combatifs … mais ces militants hésitent à rompre le cordon ombilical

Le 24 juillet, la commission de contrôle de l'UNEF a décidé de suspendre 40 militants de la TTE. Cette décision est définitive depuis début septembre.

Bien entendu, tous les syndicalistes de lutte doivent exprimer leur soutien aux militants de la TTE réprimés par la direction bureaucratique de l’UNEF. Un soutien que les militants les plus droitiers de la TTE n’ont pas su apporter à leurs camarades, protestant mollement contre leur exclusion et incriminant l’orientation trop radicale des militants suspendus.

Se sentant confortée par le dénouement du mouvement de février-avril, la direction de l’UNEF se sent suffisamment forte pour exclure les militants qui ont eu le tort de la combattre dans les AG. Un pêché d’orgueil qui pourrait se retourner contre elle si les militants de la TTE sortaient en bloc de l’UNEF, pour travailler à la construction d’une nouvelle organisation avec les autres syndicalistes de lutte et les étudiants qui ont participé au mouvement. Malheureusement, les exclus projettent de se regrouper en comités pour réintégrer l’UNEF (ce qui revient à créer une organisation étudiante de plus !) tandis que les autres militants de la TTE resteront dans l’UNEF, et seront donc encore plus faibles qu’aujourd’hui. Cette tactique est vouée à l’échec car ces comités ne rencontreront que l’indifférence des étudiants qui ne comprendront pas cet acharnement à réintégrer un appareil aussi pourri. Les exclus gaspilleraient ainsi leur énergie, renvoyant aux calendes grecques la construction d’une véritable organisation étudiante de lutte, au bénéfice de la bureaucratie de l’UNEF. Appliquant mécaniquement le schéma selon lequel on doit militer dans le syndicat majoritaire, les militants de la TTE ne comprennent pas que l’UNEF n’est pas l’équivalent de la CGT chez les étudiants : elle n’en a ni les effectifs (moins de 1000 militants pour 2 millions d’étudiants !), ni le rapport avec son milieu. De plus, elle est souvent assimilée par les étudiants à un ensemble de pratiques (commerciales, mensongères, etc.) d’appareils défendant leurs intérêts particuliers : c’est le résultat des actions des militants de la majorité de l’UNEF, dressés à débiter un discours formaté et clientéliste pour vendre des cartes à tout prix, qui dégoûte les étudiants et fait passer les syndicats pour des officines commerciales à l’instar de l’OFUP (1) ou de ce que sont devenues les mutuelles. En caricaturant à peine, l’UNEF est une coquille bureaucratique vide qui domine grâce à l’incapacité de ses opposants à dépasser leurs divisions (idéologiques, politiques et « culturelles »).

La création d’une véritable organisation nationale étudiante de lutte est à l’ordre du jour : c’est le prolongement nécessaire des Assemblées générales du printemps et de leurs Coordinations nationales

Les syndicalistes de lutte ne peuvent se satisfaire de la situation actuelle : faut-il un syndicat pour les anarchistes, un syndicat pour les altermondialistes, un syndicat pour les lambertistes, un syndicat pour les communistes révolutionnaires ? C’est évidemment absurde. Le syndicat n’est pas un club de discussion mais un outil de défense des intérêts de classe (il défend les étudiants en tant que travailleurs en formation), par delà les clivages politiques, idéologiques ou culturels. L’objectif doit être un syndicat unique pour les étudiants. Pour y arriver, les syndicalistes de lutte ont le « choix » entre investir l’UNEF et s’épuiser dans une lutte à huis clos contre une bureaucratie toute puissante, ou construire une nouvelle organisation qui pourrait prendre le dessus sur l’UNEF.

Consciente que division organisationnelle du syndicalisme de lutte rimait avec impuissance, la FSE a lancé, à l’issue de son congrès national de septembre 2005, la proposition d’un « processus de fusion du syndicalisme de lutte » avec pour objectif de fédérer à court terme tous les syndicalistes de lutte au sein d’un nouveau syndicat (2). Dans un premier temps, l’appel de la FSE a suscité un écho très faible auprès de dirigeants plus ou moins sectaires et de militants enfermés dans leur routine syndicale. Dans le cadre du processus, une première réunion nationale (décembre 2005) a montré que la direction de la TTE n’envisageait pas le syndicalisme en dehors de l’UNEF, alors que la direction de SUD mettait en avant les frictions passées avec la FSE pour ne pas s’engager davantage, faisant mine d’ignorer que c’est justement la séparation des militants regroupés en groupuscules syndicaux qui entretient les malentendus et les querelles stériles. À l’intérieur de SUD étudiant, la section de Bordeaux et des militants isolés ont cependant commencé à pousser à l’intérieur de leur organisation contre les tendances sectaires de leur direction.

Dans le cadre du mouvement du printemps dernier, des comités de lutte regroupant syndicalistes de lutte et non syndiqués ont été les principaux animateurs de la grève, marginalisant la direction de l’UNEF. Les non syndiqués ont pu constater que le vrai clivage était entre celle-ci et le syndicalisme de lutte. À l’issue du mouvement, il était pertinent de s’appuyer sur l’auto-organisation des étudiants pour transformer le « processus de fusion » en un processus plus large de transformation des comités unitaires en organisation permanente. En effet, beaucoup d’étudiants non encartés étaient demandeurs d’un prolongement organisationnel, mais refusaient de se syndiquer, car cela signifiait pour eux choisir un groupuscule plutôt qu’un autre, et ainsi rompre avec le cadre unitaire. Globalement, les syndicalistes de lutte n’ont pas su répondre à cette aspiration, et ont repris leur routine syndicale, laissant les comités de lutte dépérir, et invitant simplement les non syndiqués à rejoindre « leur » organisation.

Localement, des sections de la FSE ont posé clairement la question de construire un nouveau syndicat, mais devant l’absence de volonté des directions locales de SUD, les non syndiqués intéressés par cette perspective ont déserté, d’autant plus que pesait lourdement la nécessité de réviser les examens après douze semaines de grève. En outre, cette initiative est apparue comme un projet ficelé de la FSE, adressé principalement à SUD-étudiants, et auquel les non syndiqués n’avaient qu’à se rallier sans pouvoir y contribuer.

À l’intérieur de SUD-étudiants, de plus en plus de militants s’interrogent sur la nécessité de sortir de cette situation bloquée. Un signe qui ne trompe pas : plusieurs sections de SUD-étudiants ont participé à la dernière réunion nationale (mai 2006) sur le « processus de fusion » alors que seul SUD Bordeaux avait participé à la réunion de décembre 2005. De plus en plus de militants de SUD (notamment ceux d’Alternative Libertaire) poussent en interne pour la fusion. Toutefois, la direction de SUD-étudiants freine autant qu’elle peut le processus, certains secteurs de l’appareil n’hésitant pas à diffuser des calomnies (documents internes de SUD) sur la FSE afin d’entretenir un climat malsain qui rendrait impossible l’unité organisationnelle.

Une proposition concrète pour la rentrée : organiser tous les étudiants combatifs dans des collectifs unitaires, première étape de construction vers l’organisation nationale étudiante de lutte

Le « processus de fusion », tel qu’il avait été conçu en septembre 2005, se contentait d’envisager des discussions entre syndicalistes de lutte, certes sous le regard des étudiants, mais sans leur participation. Si le bilan du processus n’est pas nul puisqu’il a suscité beaucoup de discussions, la « fusion » par « en haut » n’apparaît pas comme une perspective de court terme. Le poids des habitudes, la mentalité groupusculaire, la peur de perdre son « identité », expliquent le manque d’audace qui fait piétiner le processus.

Avec comme objectif l’unité organisationnelle des étudiants qui veulent combattre pour la défense de leurs intérêts collectifs, il faut proposer une nouvelle approche qui transforme les étudiants non syndiqués combatifs en moteur de cette unité, en tenant compte de leur méfiance envers les syndicats existants. Il est possible de reconstituer les collectifs unitaires de mobilisation et de grève qui se sont construits au printemps, regroupant tous ceux qui veulent continuer la lutte et qui ne se reconnaissent pas dans l’orientation syndicale de la direction de l’UNEF. Ces collectifs doivent être constitués sans préalable, afin que chacun puisse s’y investir sans avoir l’impression de « rouler » pour une organisation particulière. La discussion la plus libre doit s’ouvrir pour définir un programme de revendications, des méthodes de lutte et un mode de fonctionnement démocratique et efficace. De premières rencontres nationales entres les délégués des collectifs permettront de commencer à mettre en commun les résultats de ces discussions, les propositions et l’expérience des différents collectifs locaux.

De tels collectifs pourront démontrer que, même en dehors des mouvements, l’unité est possible dans un cadre bien plus large que les actuels syndicats de lutte. On peut estimer qu’à relativement brève échéance les collectifs seront suffisamment solides pour organiser, dans chaque université, des assises locales qui éliront des délégués pour un congrès national fondateur de la nouvelle organisation. S’il appartient aux étudiants auto-organisés de déterminer les bases et la nature exacte de la future organisation nationale de lutte, les actuels syndicalistes de lutte doivent prendre toute leur place dans ce processus (qui s’il aboutit impliquera bien sûr l’intégration des syndicats de lutte existants à la nouvelle organisation). C’est dans la discussion sans tabou et l’action commune que se dessinera l’orientation de la nouvelle organisation.


1) Cf. la campagne de la FSE pour l’interdiction de l’OFUP sur les campus : http://oxygenefse.free.fr/ofup.htm

2) Cf. sur ce point les articles parus dans Le CRI des travailleurs n° 20 (novembre-décembre 2005) et 21 (janvier-février 2006), ainsi que le site Internet national de la FSE : http://www.luttes-etudiantes.com


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