Le CRI des Travailleurs
n°22
(printemps 2006)

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Les coordinations nationales étudiantes ont à la fois exprimé et déformé la conscience des étudiants mobilisés et son évolution


Auteur(s) :Nina Pradier, Ludovic Wolfgang
Date :4 mai 2006
Mot(s)-clé(s) :CPE, étudiants, France
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Le mouvement étudiant de février-avril 2006 a été marqué par un degré sans précédent d’auto-organisation. Les Assemblées générales, souvent massives, se sont réunies très régulièrement, voire de manière quotidienne. Dans beaucoup d’universités, les discussions y ont généralement été organisées de manière démocratique et les décisions prises à la majorité, qu’il s’agisse de la grève et du blocage, des prises de position politiques sur la situation et son évolution ou des multiples « actions » proposées par les étudiants. Des délégués ont été élus et mandatés pour représenter les AG locales dans un certain nombre de régions et au niveau national. Chaque week-end, les Coordinations nationales successives, malgré le poids disproportionné des appareillons en leur sein, ont reposé sur des délégués mandatés et ont souvent exprimé, de manière déformée mais réelle, l’état d’esprit des étudiants en grève. En particulier, ce sont elles qui ont défini les grandes orientations du mouvement, en ce qui concerne à la fois les revendications, les objectifs stratégiques et les diverses « actions », notamment les manifestations. C’est pourquoi il est utile de revenir de manière précise sur ces Coordinations et notamment sur les Appels qui en sont sortis chaque semaine, ponctuant l’évolution du mouvement. Ces Appels ont en effet à la fois exprimé et déformé la conscience des étudiants grévistes et son évolution. D’un bout à l’autre du mouvement, on y décèle une tension, plus ou moins vive, entre la tendance réelle des étudiants à déborder les appareils et leur difficulté à aller jusqu’au bout de ce débordement, les appareillons et leurs flancs-gardes d’extrême gauche jouant à cet égard un rôle décisif pour protéger les gros appareils.

Des manifestations du 7 février à la Coordination nationale de Rennes (18 février)

Il a été montré dans l’article précédent que, après la « journée d’action » du mardi 7 février, alors que les étudiants étaient particulièrement nombreux parmi les 400 000 manifestants, les directions syndicales, les partis de gauche et le « collectif des organisations de jeunesse » regroupé autour de l’UNEF, de la FIDL, de l’UNL, de la CGT-jeunes, des JCR, etc., avaient refusé d’afficher l’objectif de la grève pour gagner et n’avaient même pas prévu la moindre suite à la mobilisation, sous prétexte de vacances scolaires. Mais, à partir de l’Université de Rennes 2, la grève des étudiants s’est étendue à la fois sous l’impulsion des militants et de manière spontanée, ressentant rapidement le besoin d’une structuration nationale du mouvement. Lors de la première Coordination nationale, réunie le 18 février à Rennes, une trentaine d’universités étaient représentées, dont sept en grève avec blocage (Rennes 1 et 2, Toulouse Le Mirail et Rangueil, Brest, La Rochelle, Poitiers, auxquels il faut ajouter certaines filières des facultés de Nantes, Lorient et Vannes).

L’Appel émanant de cette première Coordination exprimait déjà, quoique de manière encore latente, la contradiction politique fondamentale, qui allait se faire de plus en plus criante par la suite, entre deux lignes antagoniques : d’une part, il appelait clairement à la grève des universités et des lycées, mais, d’autre part, il s’inscrivait dans le cadre des « journées d’action » sans lendemain imposé par les appareils, relayant leur appel à manifester le 7 mars sans critiquer cette tactique et sans même dénoncer l’absence d’appel à la grève des salariés ne serait-ce que ce jour-là. Au contraire, la Coordination nationale de Rennes appelait elle-même à une « journée d’action » spécifique des jeunes (le 23 février), soigneusement distinguée d’une autre « mobilisation » ouverte quant à elle aux salariés quelques jours plus tard, le 28. À ce stade, la question de la grève tous ensemble et en même temps n’était pas encore comprise par la majorité des étudiants comme la seule solution pour gagner sur l’ensemble des revendications. De plus, aucun suivi des décisions de la Coordination nationale n’était assuré pour la semaine suivante : la question du Comité de grève national n’avait pas encore été posée, même sous la forme limitée de porte-parole nationaux permettant une expression autonome des représentants légitimes du mouvement. Cependant, malgré les efforts destructeurs de la direction de l’UNEF pour que ne soit pas convoquée une deuxième Coordination nationale la semaine suivante, celle-ci a été décidée, le prétendu « syndicat étudiant » subissant une première défaite majeure de la part des délégués élus par les AG étudiantes.

La Coordination nationale de Toulouse (25 février) : élargissement des revendications et adresse aux travailleurs, mais sans dénonciation des appareils

Les manifestations étudiantes et lycéennes du jeudi 23 février ont réuni plusieurs milliers d’étudiants dans chacune des villes universitaires mobilisées. Dans les établissements, le travail de mobilisation allait de succès en succès, avec la multiplication des prises de paroles dans les cours, la convocation d’AG de plus en plus massives et souvent la décision de rejoindre la grève avec blocages malgré les vacances d’une partie des facultés et des lycées.

La deuxième Coordination nationale s’est tenue à Toulouse le 25 février, avec les représentants d’une trentaine d’universités, dont treize bloquées. L’UNEF étant largement absente parce que ses dirigeants avaient décidé de la boycotter, la liste des revendications a pu être allongée, réalisant ainsi un pas en avant très important vers l’élaboration d’un programme qui puisse réunir à la fois les différentes fractions de la jeunesse : lycéens, étudiants, jeunes travailleurs — qui sont le plus souvent précaires — et jeunes révoltés des banlieues de novembre 2005. En effet, la Coordination de Toulouse a ajouté aux exigences de la précédente notamment « un emploi stable pour tous », le « retrait de tous les contrats précaires », « le réengagement financier de l’État dans le Service Public pour une Université Publique », le « retrait de la loi Fillon [de 2005 contre l’école] » et « l’arrêt du traitement répressif des mouvements sociaux, l’amnistie des lycéens qui ont participé au mouvement contre la loi Fillon, des personnes poursuivies suite à la révolte des quartiers populaires en novembre 2005, des étudiants et des lycéens qui ont participé au mouvement contre le CPE ». D’autre part, l’Appel de Toulouse affirmait clairement la nécessité de la jonction de la jeunesse et des travailleurs : « C’est la grève qui nous permettra de le faire reculer et de défendre nos droits à la contestation en tant que travailleurs et en tant que futurs travailleurs. Notre objectif doit être la mise en place de la grève reconductible et l’extension des blocages dans un maximum de lycées et d’universités. C’est la seule méthode qui permette que tous participent à la mobilisation, sans être sanctionnés. Nous appelons les travailleurs à se mobiliser, à s’organiser et à nous rejoindre pour défendre leurs droits. (…) C’est tous ensemble que nous gagnerons : étudiants, lycéens, salariés. »

Cependant, tout en proclamant sa volonté de faire du 7 mars un tournant décisif dans la mobilisation, la Coordination nationale de Toulouse n’a pas critiqué davantage que la précédente la tactique des « journées d’action » mise en œuvre par les directions syndicales, ni le refus de celles-ci d’appeler à la grève le 7 mars et les jours suivants jusqu’à la victoire. Au lieu de s’en prendre aux directions, elle a exprimé l’illusion d’une extension spontanée de la grève étudiante aux travailleurs, en affirmant que le fait de « la continuer nous-mêmes » était le « meilleur moyen d’entraîner les travailleurs dans la lutte », tout simplement en leur « donnant envie de nous rejoindre ». Or si beaucoup de travailleurs avaient déjà bien « envie » de rejoindre les étudiants, l’expérience des graves défaites de 2003, 2004 et 2005 suffisait à faire comprendre que cette envie ne pouvait pas suffire : le refus des directions syndicales de s’engager dans le combat pour la grève générale ne pouvait que faire redouter à tous le risque de grève isolées et atomisées, dès lors condamnées à de nouveaux échecs.

La Coordination nationale de Paris-Jussieu (4 et 5 mars) et le début du conflit entre les étudiants avancés et les appareillons

Cependant, la détermination et le courage des étudiants ne faisaient que croître. En même temps, leur conscience politique se développait de façon spectaculaire, notamment là où des militants communistes révolutionnaires, affrontant les appareils et leurs flancs-gardes d’extrême gauche, les aidaient à clarifier les enjeux politiques du mouvement et la responsabilité des directions syndicales et des partis de gauche. C’est ainsi que l’AG des étudiants de Paris-I Tolbiac, en grève avec blocage à partir du 23 février, a adopté dès le 1er mars la motions suivante, proposée par des militants CRI et FSE (Fédération Syndicale Étudiante) : « Les journées de manifestation et de grève, aussi massives soient-elles, ne suffiront pas. C’est pourquoi la journée interprofessionnelle du 7 mars ne doit pas être un baroud d’honneur, mais doit constituer une étape décisive vers la grève générale des étudiants et des travailleurs. Contrairement à 2003, les directions des confédérations syndicales doivent prendre leurs responsabilités, et appeler, à partir du 7 mars, à la grève jusqu’à la satisfaction de nos revendications communes. Il faut en outre, après le 7 mars, organiser une manifestation centrale à Paris, pour faire céder ce gouvernement. » La même orientation était adoptée par l’AG de la Sorbonne le 6 mars.

Une quarantaine d’universités étaient mobilisées au moment de la troisième Coordination nationale, qui s’est tenue à l’Université de Jussieu les 4 et 5 mars. Marginalisés lors de la précédente Coordination nationale de Toulouse, les militants de l’UNEF avaient eu le temps de prendre conscience de leur erreur et ont réinvesti massivement celle de Paris. Ils se sont d’abord appliqués à détruire le début de programme revendicatif large élaboré la semaine précédente, en le remplaçant par un objectif bien plus limité : « La Coordination nationale étudiante se prononce pour étendre la mobilisation contre la précarité, la loi pour l’égalité des chances, et tout particulièrement contre le CPE, et le CNE. » Seul un amendement de forme, resté en fait purement incantatoire par la suite, a été intégré pour « la mise en relation du mouvement étudiant avec les réseaux, notamment associatifs, des quartiers de banlieue ». Or cette question méritait d’être au contraire largement développée : comment la fraction de la jeunesse la plus précarisée et la plus opprimée pouvait-elle entrer dans la lutte, si les étudiants ne s’adressaient pas à elle en mettant en avant non seulement leur solidarité, mais un véritable programme de revendications et un plan de mobilisation commune ?

Quant aux méthodes de la mobilisation, la Coordination de Jussieu s’est prononcée pour « la grève reconductible des étudiants à partir du 7 mars », « la généralisation des blocages des universités sur tout le territoire », « l’occupation des universités jusqu’à satisfaction des revendications », « l’organisation de cortèges unitaires des universités mobilisées lors de la manifestation du 7 mars » et « la tenue d’assemblées générales unitaires et interprofessionnelles le soir même ». Mais elle a lancé un appel à une multitude de nouvelles « journées d’action » égrenées et elle a refusé de mettre clairement les directions syndicales devant leurs responsabilités, tout en s’en remettant à elles : son Appel s’est contenté formellement de leur « proposer de rejoindre la grève étudiante », mais il leur a surtout demandé de « s’accorder sur une nouvelle journée d’actions et de grève interprofessionnelles le 16 mars ». C’est ainsi que l’UNEF et ses flancs-gardes des JCR et de LO ont réussi à prolonger la soumission de la Coordination nationale au cadre des « journées d’action » appelées par les directions syndicales, en arguant oralement qu’il fallait « convaincre » celles-ci plutôt que de les combattre pour leur imposer l’objectif politique de la grève générale. Pourtant, le combat mené par les délégués mandatés de Tolbiac, et relayé par bien d’autres, n’a pas été sans efficacité : leur proposition d’une manifestation centrale à Paris a pu être discutée pour la première fois au niveau national (quoique la tribune ait décidé de reporter la décision finale à la Coordination suivante…) et leur proposition d’exiger des directions syndicales qu’elles appellent à la grève générale jusqu’à la victoire n’a été battue qu’à une voix près (selon le décompte de la tribune)…

La contradiction entre les deux lignes s’exprime à l’intérieur même de l’Appel de la Coordination de Poitiers (11 mars)

Le succès des manifestations du mardi 7 mars, rassemblant un million de personnes dont une majorité de jeunes scolarisés a donné un coup d’accélérateur à l’extension de la grève : une semaine plus tard, une soixantaine d’universités étaient en grève, dont la moitié entièrement ou partiellement bloquées, et elles étaient rejointes par plusieurs dizaines, puis plusieurs centaines de lycées.

La Coordination nationale étudiante de Poitiers, réunie le 11 mars, a rassemblé les représentants de soixante universités, soit vingt de plus que la précédente. Elle a réintroduit certaines revendications que l’UNEF avait fait disparaître à Jussieu, mais en s’en tenant avant tout à celles qui concernent les étudiants, sans reprendre la démarche de la Coordination de Toulouse qui avait commencé à élaborer un programme pour réaliser la jonction avec les jeunes précaires et de banlieue : outre l’exigence de « retrait du CPE mais également du CNE et de la loi sur l’égalité des chances », les délégués étudiants ont affirmé leur volonté d’ « en finir avec la précarité et la répression » et déclaré : « Nous remettons également en cause la baisse drastique des postes aux concours, la casse de l’éducation et des diplômes (loi Fillon, LMD, Pacte Pour le Recherche,) dont le but est de renforcer la sélection sociale et de casser les droits collectifs des jeunes à leur entrée dans le monde du travail. Nous rejetons notamment le projet de Contrat Unique de Travail. Nous revendiquons un véritable droit à l’avenir pour les jeunes, les salariés. »

En revanche, la Coordination de Poitiers a pour la première fois affirmé clairement que « c’est un mouvement d’ensemble, une grève générale des jeunes et des travailleurs qui est nécessaire pour gagner ». L’expression de cet objectif a marqué le franchissement d’un palier décisif dans la conscience des étudiants. Cependant, les directions syndicales n’étaient toujours pas critiquées et, dans le même texte, la perspective de la grève générale était par la suite édulcorée par l’appel à « une grève reconductible totale des universités des lycées et des jeunes travailleurs ». De plus, le cadre des « journées d’action » n’était pas dépassé : « Nous appelons à des journées d’action les 14 et 16 mars. Nous participerons également à la manifestation du 18. La prochaine échéance fondamentale sera le 16 mars : nous appelons les salariés et leurs organisations à manifester et à user de leur arme la plus efficace, la grève. » Cependant, la Coordination nationale commençait à donner un autre contenu au cadre même des journées d’action, en se prononçant pour une manifestation nationale : « Il est également nécessaire dès maintenant de donner des suites au 16 et au 18, en plaçant la barre plus haut : nous sollicitons les syndicats pour que le 23 mars soit une journée de grève interprofessionnelle et de manifestation centrale à Paris. » En un mot, l’Appel de Poitiers exprime dans sa lettre même toute la contradiction, qui se développait après le 7 mars, entre l’aspiration montante, quoique encore confuse, à la grève générale, et la camisole des journées d’action sans perspective imposée par les directions syndicales.

La Coordination nationale de Dijon (19 mars) et l’affrontement ouvert entre les deux lignes

Après le succès des manifestations du 18 mars, qui ont vu pour la première fois les travailleurs descendre très massivement dans la rue, la convergence des travailleurs avec les jeunes devenait concrètement à l’ordre du jour, les médias eux-mêmes commençaient à poser avec crainte la question de la grève générale, mais les directions syndicales en appelaient à Chirac. Exprimant ce tournant de la situation, la Coordination nationale de Dijon le 19 mars a lancé l’un des meilleurs appels nationaux qu’ait connu le mouvement, et qui mérite donc d’être largement cité : « L’arrivée massive des lycéens dans la mobilisation, le début de mobilisation des travailleurs sont des signes que les étudiants ne seront plus seuls et que la victoire se rapproche. La mobilisation massive de la jeunesse révèle une opposition plus large à la politique antisociale et répressive du gouvernement. (…) Le gouvernement commence à parler de négociation. Pour nous, il ne peut y avoir de négociation, nous voulons le retrait de son attaque. Son discours est un signe de faiblesse, le signe qu’en continuant à amplifier la mobilisation, nous pouvons gagner. C’est le mouvement de grève et de blocage des universités qui a permis que la mobilisation soit ce qu’elle est aujourd’hui. Nous appelons à poursuivre ce mouvement, nous appelons à la généralisation de la grève et du blocage de la part des jeunes, nous appelons les salariés à rejoindre ce mouvement, à aller vers une grève générale pour faire reculer ce gouvernement. (…) La mobilisation continue en s’amplifiant. Par son entêtement, le gouvernement ne met pas seulement en jeu sa crédibilité politique, mais aussi sa légitimité à gouverner. (…) La Coordination nationale appelle à la grève générale jusqu’au retrait de la loi sur l’égalité des chances et du CNE. Elle appelle à la construction et l’extension de la grève et des piquets de grève dans les facs et les lycées. Elle appelle les directions des organisations syndicales à appeler à la grève générale jusqu’au retrait de la loi sur l’égalité des chances et du CNE, et à la construire avec les étudiants et les lycéens en appelant à des assemblées générales dans les entreprises. Elle appelle à une manifestation centrale à Paris le jeudi 23 mars vers l’assemblée nationale. Elle appelle les organisations syndicales à se joindre à cette manifestation et à aider à la montée à Paris des manifestants de province. »

Il faut noter que cette orientation claire pour la grève générale, exigence que les directions syndicales y appellent et préparent la manifestation centrale contre le pouvoir, corrélée à la mise en place, pour la première fois, de « seize porte-parole (…) chargés de faire savoir les décisions de la Coordination aux médias, aux directions des organisations syndicales et aux pouvoirs publics », a été adoptée grâce au combat décisif d’un militant CRI : notre camarade C., qui avait été mandaté pour intervenir en ce sens par l’AG de la Sorbonne, a formulé l’état d’esprit de la majorité des délégués en les convaincant de reprendre à leur compte son propre mandat, malgré l’opposition « unitaire » des militants de l’UNEF, des JCR et de LO. Ces derniers, révélant une fois de plus leur vraie nature, se sont en effet coalisés contre la motion proposée par C., en soumettant au vote une motion alternative, en fait pour protéger les directions syndicales et leur tactique des journées d’action. Au demeurant, dans leur combat acharné pour défendre les bureaucrates, cinq des six autres délégués de la Sorbonne, membres ou sympathisants de LO, sont allés jusqu’à violer leur mandat en votant la motion opposée à celle de C., qui ne faisait pourtant que reprendre le mandat de la Sorbonne qu’ils étaient censés défendre tous ensemble ! Ces militants ont ainsi confirmé que, pour couvrir les bureaucrates syndicaux, ils étaient prêts à violer les principes les plus élémentaires de la démocratie de délégation. Mais leur trahison n’a pas suffi : grâce à la fermeté du camarade C., la majorité des délégués étudiants de Dijon ont imposé une défaite cinglante aux appareillons et à leurs flancs-gardes des JCR et de LO, en votant pour sa motion contre la leur !

Les directions des confédérations ont d’ailleurs bien compris la signification de ce vote : lors de la réunion de l’Intersyndicale nationale du 12 mars, ils ont refusé la participation des porte-parole élus la veille par la Coordination nationale étudiante de Dijon et ils ont ouvertement dénié toute légitimité à celle-ci — ce qui n’a d’ailleurs pas empêché l’UNEF de rester à la réunion, malgré son engagement pris publiquement de la quitter si une telle situation survenait…

La Coordination nationale d’Aix (25-26 mars) exprime la difficile recherche des moyens concrets pour parvenir à la grève générale

Les 25 et 26 mars, la Coordination nationale étudiante d’Aix a réuni les délégués de 86 universités et établissements d’enseignement supérieur mobilisés, dont « 68 en grève, la plupart avec des blocages » ; il n’y avait pas en revanche de délégués lycéens, alors que plus de 1000 lycées étaient mobilisés dans le pays. L’Appel d’Aix exprime une rapide maturation politique et témoigne de la recherche par les étudiants de moyens concrets pour aller vers la grève générale, après le refus des directions de s’appuyer sur le succès des manifestations de la semaine précédente pour engager le combat pour la grève générale. Cet Appel commence par accuser le gouvernement de faire « le choix du pourrissement du mouvement et de la provocation policière, espérant que la violence dans les manifestations discréditerait notre mouvement », il réaffirme un refus très ferme de toutes « négociations » et il se termine par l’affirmation selon laquelle, « ayant engagé sa responsabilité sur la loi sur l’égalité des chances par le biais de l’article 49-3, le gouvernement doit en tirer les conséquences : il devra partir en même temps qu’il retirera son projet ». De plus, à l’encontre des directions syndicales qui avaient refusé de reconnaître la Coordination nationale, l’appel souligne que « seuls les porte-parole mandatés, responsables devant la Coordination nationale, constituent les représentants légitimes du mouvement ». Quant aux moyens pour gagner, l’appel d’Aix réaffirme l’objectif de la grève générale et s’adresse aux syndicats : « Si le gouvernement ne cède pas mardi 28 au soir, nous appelons à ce que les intersyndicales nationales et locales, les assemblées générales interprofessionnelles, les assemblées générales d’entreprises réunissent toutes les conditions pour reconduire la grève. L’objectif est de reconduire la grève dans le maximum de secteurs pour aboutir le 4 avril à un nouveau temps fort, avec des manifestations dans tout le pays, et une grève générale, reconductible, qui bloque tout le pays jusqu’à satisfaction de nos revendications. (…) Nous proposons également aux organisations syndicales, au même titre que la Coordination nationale lycéenne, de co-organiser une grande manifestation centrale à Paris avant les vacances scolaires parisiennes. » Au-delà de l’ambiguïté de la formule consistant à mettre sur le même plan l’objectif d’un « nouveau temps fort » et celui de la grève générale jusqu’à la victoire, la substance de cette orientation est globalement juste, même s’il manque une critique explicite des directions syndicales.

Mais l’appel contient aussi plusieurs innovations, reflétant le progrès de la conscience politique des étudiants et leur recherche de moyens concrets pour faire exercer une pression efficace sur les directions syndicales et pour convaincre les salariés de rejoindre la grève. De ce point de vue, la multiplicité des moyens proposés exprime à la fois la profondeur de cette recherche et l’hésitation des étudiants entre ces moyens qui, dans l’appel d’Aix comme dans son application effective, ont été parfois plus juxtaposés que coordonnés... D’une part, pour « relayer ces appels (à la reconduction de la grève vers la grève générale) et déposer des préavis en conséquence », la Coordination annonce que « des délégations seront envoyées aux sièges nationaux et locaux des organisations syndicales » : les étudiants confirment donc leur compréhension de la responsabilité majeure des syndicats ; notons d’ailleurs que cet amendement a été intégré grâce à l’intervention d’une militante de la FSE mandatée par l’AG de Tolbiac, mais les rédacteurs de l’Appel ont enlevé l’adjectif « massives » après « délégations », ce qui modifie sensiblement l’orientation : le sens initial de l’amendement était bien des « délégations massives » aux sièges des syndicats pour exercer une pression maximale sur les directions… D’autre part, l’appel d’Aix prévoit, pour la première fois au niveau national, de faire du « jeudi 30 mars (…) une journée nationale de blocage simultané des principaux axes routiers et ferroviaires » car « le gouvernement sera contraint de réagir à la paralysie du pays par la grève et le blocage ». Autrement dit, les étudiants, radicalisés mais isolés, comprennent qu’ils ne gagneront pas sans la paralysie du pays, mais ils essaient de commencer à la réaliser eux-mêmes, dans l’idée que cela pourrait inciter les salariés à se mettre en grève… Enfin, les étudiants comprennent en même temps qu’ils ne peuvent se substituer aux travailleurs, qu’il faut donc s’adresser à eux.

Il a été montré dans l’article précédent que, dans la pratique, ce sont surtout les blocages de voies et de routes qui ont été mis en œuvre, à la fois en raison de la volonté des étudiants d’agir de manière forte et à cause des appareillons qui ont vu dans ces actions un moyen de détourner l’énergie et la radicalité des étudiants vers des « actions » qui ne mettaient pas en cause directement les directions syndicales et les partis de gauche. En revanche, la décision de la Coordination d’Aix qui était la plus importante a aussi été la moins appliquée : les appareillons et leurs flancs-gardes ont réussi à empêcher que des délégations — même non massives — soient envoyées aux sièges des directions syndicales.

La Coordination nationale de Lille, (1er et 2 avril), déjoue la manœuvre de Chirac… mais les appareillons et leurs flancs-gardes protègent les directions syndicales

La Coordination nationale étudiante de Lille, réunie les 1er et 2 avril, a rassemblé des délégués étudiants, mais aussi lycéens ; ils représentaient « 114 établissements d’enseignement supérieur et de nombreux lycées mobilisés ». L’Appel de Lille déjouait évidemment la manœuvre de Chirac annoncée la veille (promulgation de la LEC et annonce d’une atténuation prochaine des modalités du CPE). De plus, il affirmait à juste titre que « les journées du 7 mars, du 18 mars, le succès historique du 28 mars, montrent que des millions de salariés sont disponibles pour lutter, reprennent confiance dans leurs forces, dans leurs possibilités de gagner ». Il précisait aussi que « les journées d’action ne sont utiles que si leur objectif affiché est de construire la grève générale, seul moyen de faire reculer le gouvernement. » Enfin, l’Appel insistait sur la nécessité de se tourner le plus possible vers les salariés et par conséquent d’étendre les revendications : « Nous nous engageons à soutenir le mouvement des salariés. Nous sommes disponibles pour toute action commune qui aide à construire la grève. Nous souhaitons que partout se tiennent des Assemblées Générales (AG), qui permettent de décider démocratiquement des moyens d’action et des revendications. Parce que la précarité ce n’est pas seulement le CPE ou le CNE, nous nous engageons à soutenir toutes les revendications qui seront définies par les salariés en lutte, comme l’augmentation des salaires et la requalification en CDI de tous les emplois précaires par exemple. (…) Nous soutenons les appels des syndicats locaux à la grève reconductible dès le 4 avril et demandons à toutes les organisations de poser des préavis illimités, aussi bien au niveau local que national, et à s’engager réellement dans la construction de la grève générale jusqu’au retrait de la loi dite sur l’égalité des chances, le CPE et le CNE. Nous appelons à ce que la manifestation de Paris aille vers l’Assemblée nationale. Nous appelons les étudiants et lycéens à rencontrer les équipes syndicales de la ville ou du département pour proposer des actions communes, des AG communes et envisager toutes les possibilités de reconduction après le 4 avril. »

Cependant, les appareillons et leurs flancs-gardes d’extrême gauche ont empêché, contre l’avis d’un grand nombre de délégués, l’extension de la plate-forme des revendications, pourtant indispensable pour mobiliser réellement les travailleurs. De plus, ils ont refusé que la Coordination condamne le comportement des directions syndicales et exige qu’elles appellent enfin à la grève générale, alors que trois millions de manifestants venaient de défiler, posant plus que jamais la question de la généralisation du mouvement et par conséquent de l’attitude des directions syndicales. Les appareillons et leurs flancs-gardes se sont en particulier opposés, victorieusement cette fois (contrairement à ce qui s’était passé la semaine précédente à Aix), à la proposition de Q., militant CRI dûment mandaté par l’AG de l’École normale supérieure (Paris), que la Coordination appelle les AG étudiantes et les syndicats combatifs à envoyer des délégations massives aux sièges des syndicats. D’ailleurs, du point de vue de l’organisation, ils ont imposé que les débats ne soient pas interrompus pendant la nuit : cela a eu pour conséquence que bon nombre de débats ont eu lieu devant un auditoire clairsemé, voire à moitié endormi. De plus, le projet d’Appel avait été rédigé avant le début de la Coordination, c’est-à-dire non à partir des interventions des délégués mandatés, mais sur la base d’un accord entre les appareillons et leurs flancs-gardes d’extrême gauche (il a d’ailleurs été présenté par un militant de la Fraction de LO). Il en résulte un texte mitigé, avec de bons passages, comme ceux cités précédemment, mais d’autres qui le sont bien moins, dans la mesure où ils passent sous silence la responsabilité des directions syndicales, tout en laissant croire à mi-mots qu’il serait possible de les contourner. En effet, au lieu de les critiquer et de les affronter politiquement, l’appel de Lille fait croire que les étudiants pourraient eux-mêmes déclencher la grève générale des salariés et demande aux salariés de faire preuve d’héroïsme et de montrer l’exemple : « Nous sommes conscients des difficultés pour la construire. Le mouvement étudiant n’est pas parti d’un seul coup : ce sont d’abord les étudiants de Rennes qui ont fait le pari que leur grève ferait tâche d’huile et qui ont bloqué leur université, seuls pendant une semaine. Il en ira de même chez les salariés. » De plus, la notion de « grève générale reconductible » mise en avant par l’Appel de Lille, d’ailleurs sortie tout droit de l’arsenal de mots d’ordre confusionnistes de la LCR (cf. notre bilan du mouvement de mai-juin 2003 dans Le CRI des travailleurs n° 5) revient en réalité à faire peser sur les salariés atomisés, établissement par établissement, la responsabilité de reconduire ou non la grève sans savoir ce que font de leur côté leurs frères de classe ; l’objectif de la grève générale, en revanche, pose immédiatement la question politique de la responsabilité de ceux qui dirigent les organisations syndicales construites pour unifier la classe ouvrière, et qui par conséquent doivent servir à coordonner sa lutte de classe. Enfin, même s’il affirme la subordination des « journées d’action » à l’objectif de la « grève générale reconductible », l’Appel de Lille se termine en demandant aux organisations syndicales d’organiser la « journée d’action » des étudiants et salariés… un samedi, c’est-à-dire sans grève : « Samedi 8 avril, nous appelons les organisations syndicales à co-organiser des manifestations de salariés, chômeurs, précaires, lycéens et étudiants. »

La Coordination nationale de Lyon (8-9 avril) ébrèche la ligne des appareillons, mais sans la briser

Malgré la volonté des directions syndicales de tuer le mouvement, l’aggravation corrélative de la répression policière et judiciaire et l’approche des vacances, les étudiants et lycéens restaient extrêmement mobilisés. Leurs actions de blocage d’entreprises, de routes et de chemins de fer ont été nombreuses et puissantes, notamment le 6 avril avec la coupure de l’accès aux usines Airbus et des voies ferroviaires bloquées à Toulouse, des axes routiers bloqués dans les Bouches-du-Rhône, des barrages filtrants à l’entrée de Nantes, la Nationale N 136 bloquée à l’entrée de Rennes, la circulation largement paralysée à Limoges, toutes les gares parisiennes occupées simultanément, le blocage de l’aéroport d’Orly pendant quelques heures, etc.

Les 8 et 9 avril, la Coordination nationale de Lyon a rassemblé 490 délégués, dont un soixantaine de lycéens. Comme d’habitude, un front uni de l’UNEF, des JCR et de LO a permis que l’Appel de la Coordination, à une courte majorité, n’étende pas la plate-forme revendicative malgré le mandat confié en ce sens par plusieurs dizaines d’AG, et qu’il ne condamne pas ouvertement les directions syndicales, se contentant de formules lénifiantes du type : « La mobilisation continue, bien que l’intersyndicale n’ait pas encore annoncé de suites au 4 avril. » L’axe d’un appel direct de la Coordination nationale aux salariés a donc été repris et amplifié, comme si les travailleurs allaient se mettre en grève de manière atomisée à la demande des étudiants, comme si ces derniers pouvaient se substituer aux directions syndicales qui ont (plus ou moins) la confiance de millions de salariés. Mais cette orientation exprime contradictoirement à la fois la manœuvre des bureaucrates et de leurs flancs-gardes refusant de condamner les directions syndicales en exigeant qu’elles appellent à la grève générale, et la volonté des étudiants de parvenir coûte que coûte à la grève générale : « Notre priorité absolue, dit l’Appel, est de contribuer à la mobilisation des travailleurs : c’est maintenant le moment d’y aller tous ensemble. Il faut convaincre directement, par des diffusions de tracts, des discussions et des assemblées générales jeunes/salariés que le seul moyen de gagner sur nos revendications, c’est la grève générale reconductible. Nous appelons les salariés à ne plus attendre un premier secteur qui se mettrait en grève pour entraîner les autres : ce secteur, c’est la jeunesse en lutte depuis deux mois. (…) Les étudiants et lycéens mobilisés doivent donner confiance aux salariés. Pour cela, il faut avant tout que le mouvement, la grève et les blocages se poursuivent, même là où les vacances débutent. Il faut aussi multiplier les actions communes avec les salariés et les équipes syndicales, sans oublier les manifestations massives. »

Cependant, la camarade L., militante CRI et mandatée par l’AG de l’Université de Rouen, a réussi à faire adopter un amendement important, voté à une écrasante majorité par les délégués. Mais cet amendement a été noyé au milieu du texte final par les rédacteurs de l’Appel, et mélangé avec une demande de « manifestations régionales » qui n’avait rien à voir : « Pour franchir une nouvelle étape dans la mobilisation, nous appelons les syndicats à rompre immédiatement toute négociation et à appeler immédiatement à des manifestations régionales et à la grève générale jusqu’à satisfaction de nos revendications. » Cet amendement n’a donc pas suffi à redresser un Appel dont l’orientation principale apparaissait in fine, avec la perspective d’une nouvelle « journée d’action » (grève d’une journée) : « Nous appelons dès maintenant les jeunes, les sans-papiers, les précaires, les salariés et leurs organisations à manifester et à faire grève à nouveau le 18 avril. Nous souhaitons que cette journée puisse donner lieu à des débats et des AG unitaires où étudiants, salariés, sans-papiers et précaires puissent ensemble se donner des perspectives de lutte. » Comme par hasard, cette date du 18 avril était le lendemain du jour où expirait le délai donné par les directions syndicales au Parlement... Bref, au moment même où les étudiants avaient atteint un haut degré de conscience de la trahison des bureaucrates syndicaux (comme le prouvent le succès de l’intervention de notre camarade L. et le vote de son amendement à une écrasante majorité), les petits apparatchiks de l’UNEF et leurs flancs-gardes d’extrême gauche ont une fois de plus réussi à protéger ces bureaucrates en refusant de les condamner et en leur offrant même une porte de sortie avec la proposition d’une énième « journée d’action » sans perspective.

L’Appel de la Coordination nationale de Nancy (17 avril) ou le chant du cygne

Au lendemain de la Coordination de Lyon, Chirac a annoncé le retrait du CPE, les bureaucrates syndicaux ont décidé d’enterrer le mouvement et les étudiants n’ont pas eu la force de le poursuivre seuls. Cependant, des milliers d’étudiants ont refusé d’en rester là, parce qu’ils n’avaient pas gagné sur la loi Villepin et le CNE alors qu’ils s’étaient mobilisés quotidiennement pendant huit semaines pour construire la grève, et qu’ils s’étaient radicalisés. L’état d’esprit de ces étudiants les plus avancés politiquement s’est exprimé dans l’appel de la Coordination nationale étudiante réunie à Nancy les 15-16 avril avec 200 délégués représentant une trentaine d’universités, malgré la trahison des directions syndicales, les vacances et la pression des présidents d’université. Il faut d’ailleurs noter que le combat de la déléguée FSE de l’AG de Tolbiac (l’une des facultés en lutte les plus avancées) et des délégués AGEN de Nanterre a été décisif dans l’amélioration considérable du projet initial. L’Appel de Nancy a comme faiblesse majeure de ne plus mettre en avant l’objectif politique de la grève générale, certainement parce qu’il avait déjà cessé d’être réaliste dans l’immédiat, l’effondrement du mouvement devenant chaque jour plus évident. Mais cet appel mérite d’être largement cité car il est d’un grand intérêt politique. Il exige tout d’abord le départ de Chirac et du gouvernement : « La mobilisation a imposé un recul au gouvernement en l’obligeant à remplacer le CPE. Depuis 1995, c’est la 1ère fois qu’une mobilisation permet d’obtenir un tel recul d’un gouvernement, c’est la 1ère fois depuis 2002 que nous faisons céder ce gouvernement qui a tenu face à de nombreuses mobilisations. Après leur mise en minorité dans les urnes le 29 mai 2005, les politiques libérales se voient infliger une défaite par la rue. Cela prouve que la lutte paie. Le gouvernement est affaibli, c’est un point d’appui pour continuer à nous battre afin de gagner sur toutes nos revendications. Après un tel désaveu, Chirac et son gouvernement doit partir ! » Ensuite, l’Appel de Nancy dénonce enfin clairement les directions syndicales, sans sombrer dans le gauchisme, mais en mettant en évidence leurs responsabilités : « Mais quoi qu’en disent les médias et les directions syndicales, nous n’avons pas gagné sur l’ensemble de nos revendications. (…) La coordination nationale condamne le contenu et les conclusions des pourparlers engagés entre les dirigeants syndicaux et l’État UMP. Ces démarches laissent intactes la LEC et le CNE. De plus, seul le mouvement de lutte est légitime pour signifier la victoire ou la défaite de la lutte. Nous exigeons des directions syndicales qu’elles rompent toute négociation avec le MEDEF et le gouvernement. Le remplacement du CPE conduit à une certaine confusion : la nécessité de rejeter la LEC, le CNE, la loi CESEDA n’est pas suffisamment prise en compte, tandis que les directions des organisations syndicales et les médias ont focalisé l’attention uniquement sur le CPE. » En conséquence, la Coordination de Nancy appelle à la poursuite du combat : « Malgré (la) confusion, la répression et le chantage aux examens, la grève et le blocage ont cependant été reconduits dans plusieurs universités et lycées. Les assemblées générales sont toujours massives, les exigences restent fortes, ce qui montre que la jeunesse est déterminée à poursuivre la lutte. Aujourd’hui, nous dénombrons 37 facs mobilisées dont 18 sites universitaires bloqués. Nous appelons à continuer la mobilisation, à maintenir les blocages et à reconnaître leur nécessité. Le recul du gouvernement sur le CPE a donné confiance à des millions de personnes qui ont pris conscience de leurs propres forces. Les manifestations massives, les grèves et blocages, légitimés par des AG massives, nous ont permis d’obtenir le remplacement du CPE. Continuons dans cette voie ! » À juste titre, l’Appel de Nancy ouvre ensuite la perspective d’une mise en cause du capitalisme lui-même : « Notre lutte a révélé une crise sociale et politique. Il ne s’agit pas d’un accès de fièvre ordinaire, mais d’une manifestation de la crise de tout le système social. La logique capitaliste est mise au ban des accusés. Le capitalisme ne peut donner aucune réforme sociale positive. Bien plus, il est même contraint de démanteler les anciennes conquêtes sociales. Tous les lamentables chefs de la droite et de la gauche gouvernementale mènent avec des nuances de méthode la même politique au service d’un système économique prédateur. » Enfin, la Coordination fait des propositions concrètes très justes : il faut organiser le combat contre la répression, en mettant les directions devant leurs responsabilités : « Nous demandons l’amnistie et la levée des poursuites contre les participants aux mouvements sociaux : mouvement lycéen de 2005, émeutes de novembre-décembre 2005, mouvement actuel... Nous appelons à la création d’un comité national contre la répression de ce mouvement social et nous appelons toutes les organisations syndicales, politiques et associatives à y participer. » Il faut replacer la question des examens dans une perspective politique claire, en dénonçant les traîtres de l’UNEF : « Nous exigeons des garanties sur le déroulement des examens de fin d’année. Nous dénonçons le chantage aux examens et l’accord illégitime entre l’UNEF et la Conférence des Présidents d’Universités pour le report des examens après le rattrapage quasi-intégral des cours. Le calendrier universitaire doit être maintenu quoiqu’il arrive. Ce n’est pas la grève qui dévalorise nos diplômes, c’est la réforme LMD, qu’il faut abroger. » La fin de l’appel est plus contestable, dans la mesure où elle se prononce pour des manifestations le 18 avril qui, dans la situation, ne pouvaient pas être un succès. Quant à la proposition que « le 1er Mai soit une grande journée de lutte européenne contre la précarité, en particulier pour le retrait de la LEC, du CNE, du projet de loi CESEDA » et que, « le 2 mai, (soit) organisée une assemblée générale avec la jeunesse européenne », elle peut être intéressante, mais elle ne semble pas très concrète à ce stade.


Le CRI des Travailleurs n°22     << Article précédent | Article suivant >>