Le CRI des Travailleurs
n°22
(printemps 2006)

Derniers articles sur
le site du CILCA

Feed actuellement indisponible

Le CRI des Travailleurs n°22     << Article précédent | Article suivant >>

Élections israéliennes : Sans rupture avec le sionisme, pas d'issue pour les travailleurs


Auteur(s) :Frédéric Traille
Date :4 mai 2006
Mot(s)-clé(s) :international, Israël
Imprimer Version imprimable

Le 28 mars se sont déroulées les élections anticipées pour le renouvellement du Parlement israélien. Convoquées par Ariel Sharon avant sa disparition politique, elles avaient pour but initial de lui assurer une nouvelle majorité pour poursuivre sa politique. Le premier chiffre marquant de ces élections a été celui de l’abstention, qui a atteint un record. Dans un pays où la participation est traditionnellement forte, dans un contexte marqué par l’arrivée au pouvoir du Hamas à la tête de « l’Autorité palestinienne » et alors qu’il était demandé aux Israéliens de plébisciter la politique de retrait unilatéral de certains territoires palestiniens initiée par Sharon, seuls 63,2 % des électeurs sont allés voter. C’est un signe de défiance vis-à-vis des forces politiques en présence qui se partagent le pouvoir depuis des années sans jamais avoir apporté ni la paix, ni la « justice sociale ».

Aucune issue à la crise sociale sans paix

Le parti Kadima, fondé par Sharon et rassemblant des transfuges des principaux partis de droite et de gauche, le Likoud et le Parti travailliste, est arrivé en tête de ces élections. Mais il n’obtient que 28 des 120 sièges du Parlement, ce qui est inférieur aux prévisions données par les sondages pendant les semaines précédant le scrutin. La campagne, dirigée par Ehud Olmert, successeur de Sharon, a avant tout porté sur la politique à mener dans le conflit israélo-palestinien. L’objectif annoncé est de fixer les frontières définitives de l’État d’Israël d’ici 2010, de manière unilatérale si le gouvernement israélien ne trouve pas des interlocuteurs qui lui conviennent. Le second parti au Parlement sera le Parti travailliste qui, avec 19 sièges, obtient un représentation identique à celle qu’il avait dans l’assemblée sortante.

Le nouveau gouvernement s’est constitué autour d’une union entre Kadima et le Parti travailliste. Certains avaient décrit comme un tournant à gauche l’arrivée d’Amir Peretz, ancien dirigeant du syndicat Histadrout (1), à la tête du Parti travailliste. On faisait valoir en particulier que, suite à cet événement, les ministres travaillistes avaient quitté le gouvernement précédent — non sans avoir laissé le temps au ministre travailliste du logement et de la construction de décider l’extension d’une colonie juive à l’est de Jérusalem. Mais cette rupture avec le gouvernement aura été de courte durée, seulement le temps d’obtenir de nouvelles élections offrant un poids plus important aux travaillistes aux dépens du Likoud. Et il n’est guère surprenant de retrouver Kadima et les travaillistes gouverner côte à côte : jamais le Parti travailliste n’a critiqué la politique d’annexion de territoires palestiniens par la construction du Mur de la honte, sauf pour demander quelques ajustements dans le tracé. Si les travaillistes se disent partisans d’un « partage territorial équitablement négocié avec les Palestiniens », c’est pour ajouter aussitôt qu’il est hors de question de discuter avec le parti qu’une majorité de Palestiniens a choisi, le Hamas, et qu’il faudra donc bien agir unilatéralement… (2)

Pour masquer cette concordance de projet politique avec Kadima, le Parti travailliste a également mené campagne sur les questions sociales. La situation sociale en Israël, si elle n’égale pas celle des Palestiniens dans leurs prisons à ciel ouvert de Gaza et de Cisjordanie, est en effet catastrophique. Près du quart de la population israélienne vit sous le seuil de pauvreté ; même parmi les travailleurs, 17 % sont pauvres, avec de plus des discriminations ethniques, qui font que le salaire moyen des Arabes d’Israël représente les deux tiers du salaire moyen des Juifs. Le gouvernement d’union nationale sortant a multiplié les attaques contre les droits sociaux et les mesures d’austérité. Pendant que les impôts pour les plus riches baissaient, les allocations sociales ont été coupées pour des dizaines de milliers de chômeurs, de malades, d’invalides et de retraités. L’âge de la retraite est passé à 67 ans, alors qu’il était jusqu’à présent fixé à 65 ans pour les hommes et 60 pour les femmes. Les budgets pour la santé et l’éducation ont été réduits, alors que 29 % du budget de l’État sont engloutis dans les dépenses militaires. La classe ouvrière d’Israël est donc elle aussi victime de la guerre menée contre les Palestiniens : l’oppression des Palestiniens par la classe dirigeante israélienne est un fardeau pour les travailleurs israéliens. Cela a été bien compris même dans le clan de Sharon : le désengagement de Gaza est l’expression d’un certain pragmatisme financier : le gouvernement israélien ne pouvait plus soutenir financièrement le maintien de quelques colons dans la bande de Gaza, qui nécessitaient une forte présence armée et donc des moyens démesurés difficilement acceptables dans la période de crise sociale actuelle.

Les vœux pieux avancés par le Parti travailliste dans ces conditions, s’ils ont pu être un bon argument électoral, ne sont pas du tout à la hauteur de la situation. Les mesures prises par le gouvernement précédent sont des acquis pour la bourgeoisie israélienne sur lesquels les travaillistes excluent de revenir, et les mesures de lutte contre la pauvreté qu’ils préconisent sont intenables dès lors qu’ils entendent travailler à budget constant et poursuivre la lutte sioniste contre les Palestiniens. Mais cette irruption de la crise sociale dans les élections explique aussi l’effondrement du Likoud, dont le nombre de députés est passé de 38 à 12. Cette chute s’explique certes par la scission de ce parti, de nombreux électeurs ayant suivi Sharon et Olmert pour Kadima, mais c’est aussi une sanction infligée à la politique sociale menée par le Likoud. De fait, cette sanction ne peut pas s’expliquer par le renoncement d’une frange décisive de l’électorat israélien au rêve du « Grand Israël » : d’autres partis nationalistes ou religieux d’extrême droite, qui d’ailleurs ont prêché pour une solidarité accrue, ont progressé : c’est le cas du parti Shass (12 sièges), du parti de l’immigration russe Israël Beytenou (11 sièges) et du Parti national religieux (9 sièges). C’est surtout une défaite du parti dirigé par Benjamin Netanyahu, en tant que symbole des attaques menées par le gouvernement précédent où celui-ci était ministre des finances de 2003 à 2005. L’importance de la question sociale lors de ces élections se note aussi dans la percée d’un parti sectoriel, le parti Gil des retraités (7 sièges), représentant une catégorie sociale particulièrement touchée par les contre-réformes. À noter aussi, à la gauche du parti travailliste, que le parti de gauche sioniste Meretz perd un siège (5 sièges), et que le parti communiste Hadash, parti judéo-arabe, en gagne un (3 sièges). Quant aux deux listes arabes, elles progressent de 3 sièges pour en obtenir sept.

Pas de paix sans rupture avec le sionisme et sans République laïque socialiste

La politique promise par la nouvelle alliance entre Kadima et les travaillistes ne pourra pas amener la paix avec les Palestiniens, condition nécessaire à une amélioration du sort des travailleurs vivant sur le territoire d’Israël. Contrairement aux partis qui restent adeptes du « Grand Israël », dont certains vont jusqu’à prôner l’expulsion des réfugiés palestiniens vers les pays voisins, la ligne adopté par ce gouvernement fait preuve d’un plus grand « réalisme » : ils veulent laisser aux Palestiniens une partie du territoire du « Grand Israël », vidée de ses colons, pour qu’ils y constituent un pseudo-État et qu’Israël continue de recevoir l’appui des alliés impérialistes et d’une partie de la bourgeoisie palestinienne. Mais la poursuite de cette politique sioniste va toujours rencontrer la résistance du peuple palestinien, qui refuse et refusera inlassablement de se voir dénier ses droits nationaux. Sur le territoire même d’Israël, la conception d’un État juif basé sur une inégalité ethnique et religieuse est par nature porteuse de guerre, d’autant plus que la population arabe croît plus vite que la population juive et que l’immigration juive se tarit (divisée par 10 depuis 1990).

Pour tous les travailleurs qui cohabitent sur le territoire de la Palestine historique, qui aspirent à la paix et à la satisfaction de leurs revendications sociales, il n’y a pas d’autre solution que d’imposer un seule République laïque et réellement démocratique pour vivre ensemble. Les bourgeoisies juives et arabes, qui profitent, à des degrés certes divers, de la situation actuelle, sont des obstacles à la réalisation de cet objectif ; ce sera donc à la classe ouvrière de mener un combat révolutionnaire pour pouvoir l’atteindre, ce qui implique immédiatement le combat pour le socialisme. C’est avec ce mot d’ordre d’une République laïque et socialiste de Palestine que les militants ouvriers authentiques, donc anti-sionistes, qui vivent en Israël, doivent construire le parti qui sera l’instrument de cette émancipation, en pleine coopération politique et solidarité matérielle avec les prolétaires palestiniens et ceux de tout le Moyen-Orient.


1) Syndicat sioniste, pilier de l’État israélien.

2) Cet argument selon lequel le gouvernement israélien ne trouverait pas d’interlocuteur pour les discussions de paix est une invention récente de l’ex-Premier ministre travailliste Ehud Barak, reprise depuis par tous ses successeurs.


Le CRI des Travailleurs n°22     << Article précédent | Article suivant >>