Le CRI des Travailleurs
n°22
(printemps 2006)

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Quelle a été la politique des principales organisations d'extrême gauche (LCR, LO, PT) pendant le mouvement ?


Auteur(s) :Antoni Mivani
Date :4 mai 2006
Mot(s)-clé(s) :CPE, extrême-gauche
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Quelle contribution les trois principales organisations d’extrême gauche (LCR, LO et CCI-PT), qui se réclament du trotskysme, ont-elles apporté au mouvement qui vient de déferler et d’ébranler le gouvernement ? Ont-elles mis leurs 15 000 militants, leurs nombreuses positions dans les syndicats, leurs journaux, leurs tracts et leur audience électorale, au service du combat pour une grève générale victorieuse, c’est-à-dire à la fois pour construire le mouvement, pour combattre les bureaucrates qui lui ont fait obstacle et pour élever la conscience politique de la jeunesse et des travailleurs ?

La LCR couvre « 100 % à gauche » les directions syndicales, le PS et le PCF

La LCR dispose d’environ 3 000 militants et d’une implantation relativement importante dans les organisations syndicales. Elle joue un rôle dirigeant dans Solidaires, dispose d’une tendance dans la FSU qui pèse plus de 20 % (École Émancipée) et a plusieurs centaines de militants investis dans la CGT, dont bon nombre exercent des responsabilités à divers niveaux. Lorsque l’on examine l’orientation de la LCR, on ne discute donc pas simplement de mots, mais concrètement des intérêts au service desquels cette force matérielle dans la lutte de classe est utilisée. En second lieu, une critique marxiste, pour être rigoureuse, n’étudie pas les mots d’ordre en soi, mais toujours en les reliant à la situation concrète (le même mot d’ordre peut être juste à un moment, faux à un autre). C’est pourquoi on suivra ici pas à pas, dans l’ordre chronologique l’orientation de la LCR pendant le mouvement.

La LCR et les « journées d’action »

Alors que la mobilisation s’amorce, la direction de LCR ne cherche visiblement pas à armer les militants et l’avant-garde, en rappelant que la tactique des journées d’action, imposée depuis des années et notamment depuis 2003 par les directions syndicales réformistes, conduit à la défaite même les mobilisations les plus puissantes. Pourtant, il y avait matière à le faire, vu que la bureaucratie syndicale avait laissé le 4 octobre sans suite, puis appelé à plusieurs journées dispersés les 31 janvier, 2 et 7 février. Ainsi, dans Rouge du 16 février 2006, Dominique Mezzi ne trouve rien à redire à la décision des confédérations de fixer la journée d’action suivante au 7 mars, soit un mois après le 7 février. Il se félicite au contraire qu’elles aient bien voulu recevoir l’Union Syndicale Solidaires à leur table et l’aient autorisée à signer avec elles l’appel à cette journée d’action, alors que cet attentisme devait laisser les étudiants et les lycéens seuls pendant un mois.

Dans Rouge du 2 mars, alors que la mobilisation étudiante s’est déjà considérablement étendue et commence à exercer sa pression sur les directions réformistes, la LCR amorce une timide critique, sans vraiment sortir du cadre des journées d’action dispersées. Frida Fuego écrit : « Les manifestations du 7 février ont été une première réponse mais, faute d’appel à la grève, elles n’ont pas été à la hauteur de l’enjeu. » Autrement dit, il aurait fallu une journée d’action, mais avec grève. Elle fixe donc pour le 7 mars l’objectif de « construire, dans le secteur public comme dans le secteur privé, une véritable journée de grève interprofessionnelle », regrettant que cela ne soit pas « pour l’instant la tonalité donnée par les grandes confédérations syndicales ». Cependant, reconnaît-elle, « même réussie, cette journée ne suffira pas (…). Il faut donc immédiatement préparer la suite, en particulier avec des assemblées générales interprofessionnelles dans la foulée des manifestations. » Mais quelle suite faut-il envisager ? Mystère. Comment faire pour l’imposer ? On ne le dit pas non plus. Reste ainsi absente l’orientation nécessaire pour faire mûrir la mobilisation, à savoir propager dans l’avant-garde la conscience que la tactique des journées d’action dispersées ne peut conduire qu’à la défaite et que seule la grève tous ensemble et en même temps peut permettre de gagner.

Grève interprofessionnelle d’un jour… ou grève générale jusqu’à la victoire ?

Après les manifestations du 7 mars, deux fois plus importantes que celles du 7 février, la critique se fait plus ferme sous la plume commune de D. Mezzi et J. Simplon : « La lutte contre le CPE repose trop, aujourd’hui, sur les seules épaules des étudiants et des jeunes. Certes, il y a un front syndical. Mais la confédération CGT n’a même pas voulu jeter toutes ses forces dans le 7 mars, laissant entendre, de fait et en dépit d’un discours contraire, qu’il s’agit d’une lutte de soutien et non d’une lutte commune. La veille du 7 mars, le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, déclarait même : "Nous mettrons le temps qu’il faut, mais nous allons gagner." Mais, dans les conflits, "le temps" n’est pas élastique à l’infini. Au printemps 2003, le temps s’est allongé jusqu’en juillet, dissolvant la dynamique de généralisation du 13 mai. » Très juste. Mais quelle politique la LCR oppose-t-elle à cette tactique traître de la CGT et des autres directions réformistes ? Tout en reprenant en partie les propositions de la Coordination nationale étudiante, elles-mêmes encore confuses, Mezzi et Simplon ajoutent : « Un nouveau rendez-vous interprofessionnel national doit être donné au plus vite. Cela pourrait prendre la forme d’une grève générale appelée par l’ensemble des organisations syndicales avec une grande manifestation à Paris. » Si le mot « grève générale » apparaît, il s’agit en fait d’une grève générale… d’une journée, c’est-à-dire d’une journée d’action « 100 % à gauche », et non d’une véritable grève générale, c’est-à-dire jusqu’au retrait.

On nous dira peut-être que D. Mezzi est l’un des chefs de la tendance de droite de la LCR. Cependant, dans le numéro suivant de Rouge, daté du 16 mars, l’article principal, signé d’Yvan Lemaître (dirigeant du courant « Démocratie révolutionnaire », qui se présente comme la gauche de la LCR) est bien moins virulent contre les directions syndicales que celui de D. Mezzi la semaine précédente. Yvan Lemaître regrette seulement que « les directions des organisations syndicales se so[ient] dérobées à faire de la journée du 16 mars une journée de grève interprofessionnelle », mais elles sont à demi excusées, puisqu’elles l’auraient fait « pour concentrer leur force sur une journée de manifestation, le samedi 18 », autrement dit pour des raisons purement tactiques… De toute façon, pour Lemaître, ce que font les directions réformistes n’a guère d’importance, ou du moins « cela ne freinera pas le mouvement ». Il voit en tout cas ces nouvelles journées d’action sans lendemain comme de « nouvelles étapes de la mobilisation » et ne fixe pas d’autre perspective dans l’immédiat qu’ « une journée de grève interprofessionnelle de tout le monde du travail, en lien avec les étudiants et les lycéens ». À ce stade (le 16 mars), pour la direction de la LCR, toutes tendances confondues, la grève générale reste un mot creux, une éventualité « si le gouvernement ne cède pas » après une nouvelle journée d’action — comme si c’était possible que Chirac-Villepin-Sarkozy soient vaincus de cette manière !

Dans la pratique, c’est bien cette orientation d’une « journée de grève interprofessionnelle » qui a été défendue dans les syndicats, notamment par les dirigeants de la tendance École Émancipée lors du Conseil fédéral national (CFDN) de la FSU des 14-15 mars, en total accord avec les dirigeants de celle-ci, membres de la tendance « Action » dirigée par le PS et le PCF.

La LCR contre l’exigence que les confédérations appellent à la grève générale

Le numéro suivant de Rouge paraît le 23 mars. Que dit la LCR du scandaleux refus de l’Intersyndicale de reconnaître la légitimité de la Coordination nationale, instance suprême de l’auto-organisation des étudiants ? Que dit la LCR de l’appel lancé par la Coordination de Dijon « aux directions des organisations syndicales à appeler à la grève générale jusqu’au retrait de la loi sur l’égalité des chances et du CNE, et à la construire avec les étudiants et les lycéens en appelant à des assemblées générales dans les entreprises » ? Que dit la LCR de l’attitude lamentable des directions confédérales qui ont décidé, après les grandes manifestations du 18 mars, d’aller voir Villepin et d’appeler à une nouvelle journée d’action interprofessionnelle le 28 mars ? Sur toutes ces questions cruciales du mouvement, la direction de la LCR couvre les appareils. — Alors qu’elle se dit partisane de l’auto-organisation, elle n’a pas un mot de critique pour le refus inacceptable de l’Intersyndicale de reconnaître la Coordination nationale étudiante. De plus, si l’article évoque bien le texte issu de la Coordination de Dijon, il n’en extrait que l’appel à une journée de grève interprofessionnelle le jeudi 23 mars, mais il passe sciemment sous silence l’adresse aux directions syndicales pour qu’elles appellent à la grève générale : la direction de la LCR ne saurait confirmer plus clairement qu’elle ne partage pas cette orientation ; ses militants étudiants et les JCR s’y sont effectivement opposés, comme ceux de l’UNEF et de LO, pendant la Coordination de Dijon elle-même, où ils ont été battus. Enfin, la LCR n’a rien à redire au cadre fixé par les réformistes, celui de journées d’action disloquées. La rubrique « En première ligne » est titrée : « En grève les 23 et 28 mars ! » La seule critique formulée à l’encontre de l’Intersyndicale est qu’elle n’a pas appelé à faire grève le 23 mars : « Disons-le sans ambages, la décision de l’intersyndicale n’est pas à la hauteur de l’épreuve de force engagée par le gouvernement. À notre sens, il était impératif de s’inscrire dans la journée de mobilisation du 23 mars, soutenue par l’ensemble des mouvements de jeunesse. » Par contre, par sa formulation pour le moins ambiguë, la LCR laisse de nouveau croire qu’une simple journée de grève interprofessionnelle réussie pourrait contraindre le gouvernement à céder : « Transformer le 28 mars en une grève totale interprofessionnelle paralysant le pays et qui obligera, s’il ne l’a déjà fait, ce gouvernement à céder. »

La grève générale… remise aux calendes grecques

Dans le numéro suivant, publié le 30 mars, c’est-à-dire au moment où elle est plus nécessaire que jamais, la critique des directions syndicales a cette fois purement et simplement disparu. Après la lame de fond qui a fait sortir dans la rue, le 28 mars, trois millions de travailleurs et de jeunes, la LCR ne dit pas un mot du refus obstiné de toutes les directions syndicales d’appeler à la grève générale, alors que les conditions en sont manifestement réunies. La responsabilité évidente des Thibault, Mailly et Aschieri qui, en planifiant une énième journée d’action pour le 4 avril, permettent au gouvernement de maintenir son CPE, tout en l’aménageant (intervention de Chirac du 30 mars), n’est pas dénoncée.

Nous avons vu que, le 16 mars, Yvan Lemaître affirmait que la grève générale était la perspective « si le gouvernement ne cède pas » après une nouvelle journée d’action. Or, deux semaines plus tard, le 30 mars, après que 3 millions ont fait grève et manifesté, le même Lemaître parle d’ « unifier et généraliser le mécontentement des jeunes, des salariés, des précaires et des chômeurs, généraliser les grèves et les intersyndicales pour préparer une grève générale ». Autrement dit, il reporte de nouveau la question de la grève générale à plus tard et fait reposer toute la responsabilité de la lutte pour y arriver sur les épaules des seuls salariés, appelés à se mettre d’eux-mêmes en « grèves » au pluriel, donc de manière atomisée, entreprise par entreprise, en contournant la responsabilité des directions syndicales d’appeler à la grève générale. Yvan Lemaître soutient même que « chaque initiative » —c’est-à-dire aussi bien les initiatives des étudiants, lycéens et travailleurs avancés pour étendre la grève que les initiatives des directions syndicales pour l’empêcher — « converge vers un mouvement d’ensemble pour faire céder Villepin ». La réalité est tout autre : c’est dans des sens strictement opposés que vont le mouvement des travailleurs et des jeunes cherchant la voie de la victoire contre ce gouvernement et le mouvement des bureaucraties syndicales cherchant la voie des « négociations » avec ce même gouvernement et freinant par conséquent la mobilisation par tous les moyens possibles.

Dans Rouge du 6 avril, après la journée de manifestations ayant réuni de nouveau plus de 3 millions de travailleurs dans la rue et, dans le privé, des grèves encore plus importantes que le 28 mars, la LCR persiste dans sa ligne selon laquelle il faudrait « généraliser » à partir des barrages de routes et autres grèves reconductibles. Mais cette fois, la question de la grève générale a purement et simplement disparu ! Yvan Lemaître qui, la semaine précédente, affirmait que « le succès des manifestations et de la grève du 28 mars a mis cette dernière à l’ordre du jour », recule à nouveau : il ne parle plus désormais que d’une simple grève reconductible : « La force des manifestations du 4 avril, après celle du 28 mars, a mis en discussion, dans les lycées, les facultés et les entreprises, les moyens de construire la grève reconductible pour l’abrogation du CPE et du CNE, l’abrogation de la loi sur l’égalité des chances, et de chasser ce gouvernement pour mettre un coup d’arrêt à la généralisation de la précarité et à la régression sociale. »

Bref, si l’on reprend les numéros de Rouge semaine après semaine, on constate clairement que, pour la direction de la LCR et pour sa fraction soi-disant de « gauche » en particulier, la perspective de la grève générale s’éloigne au fur et à mesure que les masses s’en approchent, avant de disparaître purement et simplement… à l’apogée du mouvement !

La LCR et la question du pouvoir : un réformisme manifeste

Cependant, l’orientation de la LCR dans le mouvement de février-avril 2006 s’est distinguée de celles des autres formations d’extrême gauche par sa capacité à poser la question du pouvoir, en mettant en avant sous différentes formes l’exigence de chasser le gouvernement Chirac-Villepin-Sarkozy. Elle a correctement analysé le fait que ce mouvement d’une ampleur exceptionnelle n’était pas une simple mobilisation sur le terrain économique, mais exprimait un contenu politique qui s’était déjà manifesté sous différentes formes ces dernières années, aussi bien dans les urnes que sur le terrain de la lutte de classe directe. Cependant, s’il était juste de poser la question du pouvoir (quoique sans doute à rythme différent, nous y reviendrons), la LCR est pour le moins ambiguë sur le gouvernement qu’elle appelle de ses vœux pour remplacer Chirac-Villepin-Sarkozy. On peut le constater tout d’abord en examinant l’intéressant 4-pages que ses militants ont distribué dans les manifestations et qui relie la mobilisation actuelle et les questions politiques plus générales.

« Être révolutionnaire » pour la LCR ? C’est être 100 % réformiste !

Lorsqu’on lit la présentation que la LCR fait d’elle-même, et si on la croyait jusque-là « communiste révolutionnaire », on va de surprise en surprise. Dans un petit encadré intitulé : « La LCR ? Révolutionnaire, internationaliste, autogestionnaire , féministe et écologiste », on peut lire : « Être révolutionnaire, c’est vouloir changer le monde. (…) La LCR lutte pour une société où le droit à l’existence et à la dignité passe avant le droit de propriété et la loi du marché, où les besoins sociaux passent avant l’impératif du profit, où l’être humain passe avant le capital (…). » La LCR ne se présente donc pas comme une organisation qui aurait pour but d’en finir avec le capitalisme, encore moins d’en finir par une mobilisation révolutionnaire du prolétariat ; elle ne dit même pas avoir pour objectif un gouvernement des travailleurs, par les travailleurs et pour les travailleurs. Les formulations utilisées indiquent au contraire clairement que « la LCR lutte pour une société » où la propriété privée, la loi du marché, le profit et le capital subsisteraient, mais où ils seraient subordonnés à des impératifs sociaux, tels le « droit à l’existence », la « dignité », les « besoins sociaux », « l’être humain » : qu’est-ce d’autre que l’utopie d’une humanisation du capitalisme ?

La suite, en apparence plus radicale, ne fait que confirmer l’orientation : « Nous [la LCR] voulons construire une société sans frontières, débarrassée de toute oppression — notamment celle que subissent les femmes — où la population décide collectivement du bien commun par la libre confrontation des opinions, des programmes, des partis, où syndicats et associations soient indépendants de l’État. » La LCR ne se prononce pas sur le caractère de classe de cet État, et elle parle encore moins de société sans classes et sans État. Dans cette auto-présentation de la LCR, il n’y a même aucune mention du fait que la société est constituée de classes sociales aux intérêts antagonistes. Elle dit vouloir en finir avec « toute oppression », mais non avec l’exploitation capitaliste (et par là même avec toute forme d’exploitation). De ce point de vue, le 4-pages de la LCR est moins radical… que le document d’orientation présenté par la direction confédérale de la CGT pour le 48e congrès : on lit en effet, dans l’alinéa I-9 de ce document, que « la CGT a pour ambition de permettre aux salariés de s’émanciper de toute forme d’exploitation et de domination, de construire un syndicat de transformation sociale ».

En un mot, le 4-pages de la LCR, diffusé gratuitement, à des dizaines de milliers d’exemplaires, dans les manifestations, est une profession de foi absolument réformiste, en contradiction flagrante avec le programme officiel de la LCR (même après que la direction en a fait rayer l’objectif de la dictature du prolétariat). À l’image des réformistes de toujours, la direction de la LCR a donc un programme officiel, qu’elle destine aux militants « éclairés » et qu’elle ne brandit que les jours de fête… et un programme pour les masses en lutte, qui ne méritent pas mieux qu’une bouillie réformiste.

Un « programme d’urgence »… présenté comme applicable sans rompre avec le capitalisme

L’initiative de dire aux masses quelles mesures il faudrait prendre pour commencer à résoudre le problème du chômage, puisque tel est l’alibi de la bourgeoisie pour flexibiliser le travail, est juste. Mais le « programme d’urgence » proposé par la LCR dans son 4-pages d’auto-présentation est, là encore, purement réformiste.

La dernière ligne de présentation de ce programme affirme : « S’affronter au chômage et à la précarité, c’est d’abord s’affronter à ceux qui en sont responsables : les patrons et les actionnaires capitalistes. » Il n’est donc pas précisé que ce ne sont pas les patrons et les actionnaires à titre individuel qui sont responsables du chômage, mais le capitalisme comme système, qui engendre inévitablement et de façon croissante le chômage. De fait, la question de la concurrence sur le marché mondial est même balayée d’un revers de main, présentée comme un pur et simple mensonge de la bourgeoisie pour tromper les travailleurs : autrement dit, pour la LCR, les capitalistes en tant qu’individus ne sont pas soumis aux impératifs du capital comme système, mais ce sont des méchants qui veulent simplement prendre plus de « richesses » aux ouvriers. La France serait en somme un îlot dans l’économie capitaliste mondialisée, et l’on pourrait mieux y répartir les richesses sans s’en prendre aux bases mêmes du capitalisme. La LCR veut d’ailleurs nous convaincre que son programme est finançable… Mais il s’agit d’un financement purement réformiste : sous le mot d’ordre « de l’argent, il y en a… », il faut donc « reprendre tout cet argent » (celui que les capitalistes ont pris aux salariés à travers les réformes successives et la précarisation du travail), on retrouve clairement l’objectif typiquement social-démocrate d’assurer simplement une meilleure répartition des richesses, sans mettre en cause la propriété privée des moyens de production.

En conséquence, la LCR ne dit pas quel gouvernement pourrait mettre en œuvre son « programme d’urgence » : un gouvernement de la gauche plurielle ? Un gouvernement de la gauche plurielle étendue jusqu’à la LCR (comme au Brésil, où les amis de cette organisation siègent dans le gouvernement anti-ouvrier de Lula) ? Un gouvernement des travailleurs, par les travailleurs et pour les travailleurs ? On ne le saura pas ! Or cette question de la nature du gouvernement est bien sûr décisive.

Quelques exemples. La LCR se prononce « pour l’interdiction des licenciements ». C’est radical… en apparence. En réalité, la LCR présente cette mesure comme si elle était réalisable sans rompre avec le capitalisme, comme le prouve l’explication : « Interdiction des licenciements. Garantie du contrat de travail tout au long de la vie professionnelle. Le patronat est collectivement responsable du maintien des emplois au niveau du groupe, de la région, de la branche ou au niveau national. » Interdire les licenciements… tout en maintenant le patronat ? Rendre le patronat « collectivement responsable » ? Quelle fumisterie ! En fait, seul un gouvernement des travailleurs pourrait interdire les licenciements, et cela impliquerait nécessairement l’expropriation sans indemnités ni rachat des grandes entreprises, qui seraient placées sous la gestion des travailleurs eux-mêmes.

La LCR limite l’exigence de « nationalisation » aux entreprises privatisées et, plus précisément, aux seuls secteurs suivants : « les transports, l’énergie, les télécommunications et la distribution de l’eau » (cela exclut donc les banques privatisées dans les années 1980, les entreprises comme Renault, etc). Mais surtout, elle ne dit rien sur les moyens d’imposer ces nationalisations : avec ou sans rachat ? Avec ou sans indemnités ? Par la décision d’un gouvernement dans le cadre du capitalisme ou par un gouvernement des travailleurs rompant avec le capitalisme en s’appuyant sur la mobilisation des travailleurs ? En fait, en ne se prononçant pas sur ces questions, la LCR propose un programme de nationalisations purement réformiste, encore moins radical que le Programme Commun de la gauche dans les années 1970…

La LCR, le PCF et le PS : front unique… ou « unité » politicienne ?

En bonne logique, la LCR, défendant un programme réformiste, a substitué à la tactique marxiste du front unique de toutes les organisations qui prétendent défendre les intérêts des travailleurs une ligne d’unité politicienne avec toute la « gauche plurielle ». Cette orientation s’est matérialisée dans la constitution du Collectif Riposte, auquel appartiennent le PS, le PCF, les Verts, etc., mais aussi la LCR. Au moment même où le PS et le PCF freinaient la lutte de la jeunesse et des travailleurs en limitant les revendications au seul CPE et en multipliant les journées d’action dispersées pour éviter la grève générale, la LCR participait à une structure commune avec ces gens-là ! Ce collectif a notamment produit une déclaration, signée entre autres par le PS, le PCF et la LCR, publiée avant l’intervention du président de la République, « demandant à Jacques Chirac le retrait du CPE pour engager des négociations avec les syndicats, puis revenir devant le Parlement. Sachant les conditions exceptionnelles de son élection en 2002, il porterait une grave responsabilité en promulguant la loi. » S’en remettre à Chirac et combattre (officiellement) pour la grève générale sont-elles deux orientations compatibles ?

Contrairement à ce qu’implique la véritable tactique du front unique ouvrier (et abstraction faite ici du problème de la nature du PS d’aujourd’hui), la LCR n’a fait aucune proposition de mesures pratiques de lutte pour démasquer le caractère traître du PS et du PCF et de leurs relais syndicaux. Dans Rouge, les critiques du PS et du PCF ont été plutôt rares et limitées, se contentant de dire que le PS et le PCF refusaient de sortir du calendrier institutionnel.

Du reste, cette étrange unité de la LCR avec ces partis qui ont gouverné pendant des années au compte de la bourgeoisie peut surprendre celui qui ne suit pas la politique internationale de cette organisation, mais non celui qui la connaît. Au Brésil, Démocratie Socialiste, courant du Parti des travailleurs qui est membre de la même organisation internationale que la LCR (le Secrétariat Unifié de la soi-disant « Quatrième Internationale »), siège dans le gouvernement dirigé par Lula et participe aujourd’hui à la campagne pour le faire réélire après cinq ans de politique anti-ouvrière au service du FMI. En Italie, l’organisation-sœur de la LCR est un courant du Parti de la Refondation Communiste et vient de participer à ce titre à la coalition électorale victorieuse regroupant, derrière Prodi, les démocrates-chrétiens, le PDS (ex-Parti communiste italien) et le PRC, sur la base d’un programme commun 100 % bourgeois. Est-ce un tel chemin que la LCR suivra en France ? Tout dépendra de la conscience révolutionnaire de ses militants et de leur capacité à se dresser à temps contre la dérive de plus en plus réformiste de leur organisation.

Conclusion

Si l’on résume l’orientation de la LCR pendant le mouvement de février-avril 2006, elle apparaît très claire : la direction de cette organisation donne une importance mineure à la critique de la politique des bureaucraties syndicales ; elle ne critique jamais nettement la tactique des journées d’action et pas du tout leur refus d’appeler à la grève générale ; elle entretient en permanence la confusion entre « grève reconductible » et « grève générale », entre grève générale d’un jour et véritable grève générale (jusqu’à la victoire) ; elle ne préconise jamais de s’adresser aux directions syndicales pour en exiger ou leur imposer quoi que ce soit ; à partir du 16 mars, elle pose la question de la grève générale, mais elle renvoie celle-ci à plus tard, allant même jusqu’à ne plus en parler du tout quand il le faut le plus, à l’apogée du mouvement ! Certes, la LCR a le mérite par rapport aux autres organisations d’extrême gauche de poser la question du pouvoir, mais elle le fait sous un angle purement réformiste, comme le montrent d’une part le programme d’urgence qu’elle met en avant, et d’autre part son attitude face au PS et au PCF.

Quant aux militants étudiants de la LCR et des JCR, il a été montré ci-dessus (article sur les Coordinations nationales étudiantes de Nina Pradier et Ludovic Wolfgang) que, au prétexte de « l’unité », ils n’ont pas cherché à gagner l’hégémonie politique dans les AG pourtant très radicalisées, ce qui revenait à laisser le PS et le PCF (à travers l’UNEF, l’UEC, etc.) diriger ou canaliser le mouvement. Au sein de la Coordination nationale étudiante, ces militants ont le plus souvent fait bloc avec ceux de l’UNEF, de l’UEC, etc., contre l’extension de la plate-forme revendicative, contre la dénonciation des directions syndicales et contre l’exigence qu’elles appellent à la grève générale. Ils n’ont pas hésité pour cela à proposer à la coordination des textes qui n’avaient été adoptés par aucune AG, mais rédigés en coulisse sur la base d’accord avec les appareillons. Etc.

Le PT couvre les directions syndicales… et couvre sa propre politique avec le drapeau purement formel de la grève générale

Le PT revendique 6 000 adhérents, dont environ 2 500 sont militants de son courant soi-disant trotskyste, le CCI. Il dispose en outre d’importantes positions syndicales, surtout dans FO, mais aussi dans la CGT, ainsi que d’une petite tendance dans la FSU (PRSI). À première vue, l’orientation développée par le PT pendant le mouvement de février-avril a été la plus correcte parmi celles des trois principaux partis politiques se revendiquant du trotskysme. En effet, il a assez rapidement mis en avant la nécessité de la « grève générale interprofessionnelle » et a publié semaine après semaine des motions adoptées par des assemblées générales de lieux de travail où le PT est présent, et qui s’adressaient aux directions syndicales pour qu’elles appellent à la grève générale… Mais qu’en est-il si l’on y regarde de plus près ?

Le PT en appelle lui aussi à Chirac, en se mettant à la remorque de FO

Dans Informations ouvrières (IO, journal du PT) n° 2282 du 6 avril 2006, le PT critique tout à fait justement la déclaration citée ci-dessus, signée notamment par le PS, le PCF et la LCR « demandant à Jacques Chirac le retrait du CPE pour engager des négociations avec les syndicats, puis revenir devant le parlement. Sachant les conditions exceptionnelles de son élection en 2002, il porterait une grave responsabilité en promulguant la loi. » Cependant, on peut se demander si le PT est bien placé pour faire la leçon à la LCR sur ce sujet. Certes, il n’avait pas appelé à voter pour Chirac en 2002, mais il a en revanche lui aussi fait appel à Chirac, sous la plume de son secrétaire national Daniel Gluckstein, dans son éditorial du 9 mars : ce dirigeant du PT écrit, tout en semblant le regretter, que le gouvernement, s’il décidait de maintenir son projet, « ne laisserait pas d’autre choix aux travailleurs et à la jeunesse, unis, que la grève, la grève générale, interprofessionnelle, dans l’unité travailleurs-étudiants-lycéens et organisations pour la satisfaction des revendications ». Mais, ajoute-t-il, « la solution la plus simple », ce serait que « le CPE soit purement et simplement retiré ». Et de se demander avec ses lourdes questions rhétoriques dont le PT abuse quand il n’ose pas dire clairement ce qu’il pense : « Qui peut nier que ce serait la solution la plus simple ? Qui peut nier que ce serait là le respect de la démocratie ? » Et Gluckstein conclut par un évident appel à Chirac : « Saura-t-on le comprendre en haut lieu ? » Autrement dit : Chirac et son gouvernement « sauront-ils comprendre »… qu’il est possible d’éviter la grève générale (une « solution complexe », si l’on comprend bien), et de s’en tenir à une « solution simple », en un mot une solution qui ne remette pas en cause leur pouvoir ?

Pour parfaitement comprendre le sens de cet édifiant éditorial, il suffit de comparer la copie à l’original, c’est-à-dire… au communiqué publié quelques heures avant par Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO et adhérent du PS. Ce communiqué commence lui aussi sur un ton plutôt menaçant : « Si le gouvernement ne veut pas bouger il faudra maintenir d’une manière ou d’une autre la pression », car « c’est un bras de fer » dans lequel FO « n’exclut rien, y compris de proposer de faire une grève » (« Une grève ? » Quelle audace !). Or le communiqué de Mailly se poursuit en disant son espoir que, pour éviter d’en arriver là, « la sagesse et la raison l’emportent ». Et il se conclut en indiquant que le Bureau Confédéral de FO en appelle « solennellement, non seulement au gouvernement, mais aussi à la plus haute autorité de l’État, le Président de la République, pour que la sagesse et la raison l’emportent ». En un mot, l’éditorial de Gluckstein en date du 9 mars ne fait que gauchir la ligne de la direction républicaine-bourgeoise de FO : certes, il ajoute « générale, interprofessionnelle » à « grève » mais lui aussi s’exprime comme s’il s’agissait de convaincre Chirac et Villepin des méfaits du CPE et en les conjurant d’avoir l’intelligence d’éviter une crise majeure… comme s’il y avait une « sagesse » et une « raison » au-dessus des classes (conception typiquement républicaine bourgeoise, qui recouvre la domination de classe sous le vêtement d’une prétendue raison universelle). Cette position du PT ne pouvait que désarmer les prolétaires qui ne peuvent que compter sur leurs propres forces pour vaincre, et non sur la « sagesse » de Chirac.

C’est un fait : tout en en appelant à la « compréhension en haut lieu », Gluckstein passe sous silence le rôle traître des bureaucraties syndicales contre le mouvement des étudiants et lycéens et contre les aspirations des travailleurs. Au lieu d’expliquer que ces appareils refusent et empêchent la grève générale, il tire implicitement son chapeau à la fraction de la bureaucratie qui a appelé à la « grève générale interprofessionnelle »… le 7 mars, c’est-à-dire FO. Et, tout en écrivant qu’il faudrait la « grève générale, interprofessionnelle », il suggère qu’il serait tout de même mieux que cela ne soit pas nécessaire : ah ! si seulement les mécanismes de la démocratie bourgeoise, avec des manifestations et grèves de simple pression, pouvaient permettre d’obtenir le retrait du CPE, ce serait tellement mieux, tellement « simple » !

On le voit : l’orientation fondamentale du PT pour la défense de la République bourgeoise « une et indivisible », qui ne sont que le reflet idéologique des liens organiques avec la bureaucratie syndicale de FO, ne restent nullement sans conséquence dans la pratique, comme peuvent le croire certains militants sincères de ce parti que le républicanisme petit-bourgeois ne convainc qu’à moitié… Quant aux grandes phrases formellement correctes de Lambert sur « le coup d’État permanent », sur le fait que « la démocratie est incompatible avec les institutions de l’Union Européenne et de la Ve République », elles ne viennent qu’après-coup (dans l’éditorial du 6 avril). En revanche, on attend toujours la dénonciation de la trahison des directions syndicales, si patente après le 4 avril… Mais, pour donner le change, et pour faire croire que le PT-CCI aurait une orientation plus correcte que la LCR, Gluckstein se met à taper (ce qui en soi est juste) sur le PS, la PCF, les Verts… mais surtout la LCR. Bref, les bruyantes diatribes contre Besancenot et la LCR (la cible favorite du PT et du CCI…) servent surtout à rendre les militants sourds au silence complice qui permet à Mailly de dormir tranquille !

Grève générale… pour le retrait du seul CPE ?

Comme les directions syndicales, le PS et le PCF, le PT a mis sur le devant de la scène l’exigence de retrait du CPE et fait passer au second plan le CNE, ainsi que le reste de la loi sur l’égalité des chances. Pourtant, dès le début du mouvement, les militants réellement anti-capitalistes et ensuite la grande majorité des étudiants mobilisés ont défendu l’ensemble de ces revendications (et d’autres encore), à tel point que, dans les coordinations étudiantes, même le PS et le PCF, qui voulaient initialement limiter les revendications au seul CPE, ont été contraints d’accepter une plate-forme minimale comprenant, outre le retrait du CPE, celui du CNE, de toute la loi sur l’ égalité des chances, et le rétablissement des postes supprimés aux concours de l’enseignement. Il a été montré plus haut (article de N. Pradier et L. Wolfgang) que la lutte contre l’élargissement des revendications a même été l’une des principales préoccupations des appareillons dans les Coordinations nationales étudiantes, car ils voulaient empêcher qu’un début de programme politique capable de mobiliser les masses ne s’ancre dans la conscience de l’avant-garde étudiante. Certes, le PT évoque d’autres revendications et ses militants les défendent même parfois en AG (en se contentant cependant, en général, du retrait du LMD), mais la « une » d’IO, semaine après semaine, ne parle que du CPE. Or cette politique facilite le travail de la bourgeoisie et de ses relais dans le mouvement ouvrier pour briser la grève après le retrait du CPE. Logiquement, dans les éditoriaux d’après le 10 avril, rien n’est dit sur la décision des bureaucraties syndicales de stopper cette mobilisation qui mettait pourtant à l’ordre du jour une grève générale contre toute la politique de ce gouvernement et de ses prédécesseurs.

Certes, le PT a mis en avant le mot d’ordre de grève générale, mais cela n’avait manifestement pour lui qu’un caractère abstrait, puisqu’il centrait le combat sur le seul CPE : « Faut-il s’étonner que, sur cette base, monte comme un clameur dans tout le pays : retrait, retrait du CPE, grève générale interprofessionnelle pour contraindre Villepin à reculer ? » (Éditorial d’IO du 23 mars.) Or, il est naïf d’imaginer que la grève générale était possible sur une seule revendication, le retrait du CPE, même si les travailleurs du privé, sous statut et fonctionnaires comprenaient plus ou moins clairement qu’ils seraient concernés indirectement par le CPE. De la part d’un parti trotskyste, une politique juste impliquait de savoir mettre en œuvre un véritable programme de revendications transitoires capable de mobiliser l’ensemble de la classe et ouvrant la perspective d’un gouvernement des travailleurs par et pour eux-mêmes. À l’opposé, le PT-CCI, tout en fétichisant la lettre du Programme de transition rédigé par Trotsky en 1938, s’en est tenu en fait, dans la pratique, au programme pire que minimum des dirigeants collaborateurs de la gauche plurielle.

Grève générale d’un jour… ou grève générale jusqu’au retrait ?

Mais ce n’est pas tout… En lisant de près les formulations d’IO, on se rend compte que, dans un premier temps au moins, le PT n’a pas combattu pour la grève générale jusqu’au retrait, mais seulement pour une grève générale interprofessionnelle d’un jour ! Là encore, il se contentait de reprendre les rodomontades verbales des dirigeants de FO en les gauchissant. C’est ainsi que, dans IO n° 2279 (16 au 22 mars), l’éditorial de Daniel Gluckstein parle de « grève générale interprofessionnelle pour le retrait » (et non jusqu’au retrait). S’agit-il d’une formulation maladroite ? En page 3 du même journal, la rédaction écrit : « Un étudiant interrogé par Le Parisien (14 mars) résume sans doute le sentiment de nombreux de ses camarades de toute la France : "Il faut entraîner les lycéens, mais aussi les salariés. Demandons aux syndicats d’appeler à la grève générale." Une position partagée par la coordination nationale étudiante réunie le 11 mars à Poitiers. » Or, que dit l’appel de la Coordination de Poitiers cité par IO ? D’une part, il se prononce certes pour « un mouvement d’ensemble, une grève générale des jeunes et des travailleurs (…) nécessaire pour gagner », mais, d’autre part, s’il s’adresse aux directions syndicales, ce n’est pas pour exiger qu’elles appellent à la grève générale jusqu’au retrait, mais uniquement « pour que le 23 mars soit une journée de grève interprofessionnelle et de manifestation centrale à Paris ».

D’ailleurs, on ne peut que s’étonner du nombre relativement faible de prises de positions de syndicats exprimant l’exigence d’un appel des directions syndicales à la grève générale et reproduites dans IO, si l’on tient compte de la quantité de positions syndicales dont le PT dispose aussi bien dans FO que dans la CGT et même la FSU. En effet, si les militants du PT ont été incités par la direction à se battre de manière systématique sur cette orientation, comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu des centaines de motions de ce type votées dans les syndicats auxquels ils appartiennent ? Et si cela a été le cas, pourquoi la direction du PT n’a-t-elle jugé utile de n’en publier qu’un nombre limité, au risque de les faire passer pour exceptionnelles ?

En tout cas, le trade-unionisme du PT s’exprime avec éclat dans son absence d’orientation comme parti. Les motions adoptées par des AG et reproduites dans IO comme de simples témoignages sur la mobilisation en cours sont les seuls textes publiés dans le journal du PT qui critiquent (timidement) la tactique des journées d’action et exigent que les directions appellent à la grève générale. En revanche, le PT, comme parti, ne se prononce pas sur ces questions fondamentales !

Le PT et la question de l’alternative

En revanche, le lecteur a droit aux sempiternelles dénonciations de l’Union européenne comme source de tous les maux. La dénonciation de la Ve République est plus tardive : elle n’intervient qu’à la fin du mouvement : dans IO du 6 avril, Lambert prend exceptionnellement la place de Gluckstein pour expliquer (à juste titre) que l’on ne peut résoudre les problèmes posés si l’on se situe sur le terrain des institutions de l’UE et de la Ve République en attendant les élections de 2007 comme le fait la gauche plurielle ; cependant, la dénonciation de ces institutions ne se fait pas du point de vue du prolétariat, et encore moins dans la perspective d’un gouvernement des travailleurs par et pour eux-mêmes, mais au nom de « la démocratie » en soi. Et, pour rappeler à ceux qui l’auraient oublié qu’il est anti-capitaliste à force de ne l’entendre protester que contre l’Union européenne, Lambert ajoute : « Ces problèmes ont pour racine le mode de production capitaliste, qui ne peut survivre que par l’exploitation et la surexploitation, et qui entraîne l’humanité entière dans l’impasse. » Fort juste ! Mais qu’est-ce que Lambert et le PT proposent aux étudiants et aux travailleurs qui se sont mobilisés ? « La lutte de classe exige le front unique ouvrier sur les revendications. C’est ainsi que le combat pour la démocratie politique s’inscrit dans le combat pour la démocratie sociale, axé sur la lutte pour l’unité pour les revendications. » Que cachent ces platitudes pour le moins ambiguës ?

La réponse est dans l’éditorial du 20 avril, dû à Lucien Gauthier, manifestement moins habile que le malin Lambert pour camoufler une politique réformiste sous un verbe radical : « Y a-t-il une autre issue que de se rassembler pour la défense des hôpitaux, des classes, des bureaux de poste, des services publics, de la République elle-même, menacée par cette liquidation qui découle des directives de l’Union européenne ? Le 29 mai 2005, le peuple français s’est prononcé pour le non à l’Union européenne. Dans les villes et les villages de ce pays, c’est précisément à quoi s’attachent des élus, des syndicalistes, des travailleurs de toutes tendances dans les comités pour la reconquête de la démocratie. Ces comités désignent les délégués qui iront participer les 27 et 28 mai à la convention nationale [convoquée par le PT et quelques élus et syndicalistes de ses amis, NDR]. » Autrement dit, sur le fond, le PT propose la défense de la « République une et indivisible ». Puisque cette République est menacée, cela signifie qu’elle existe toujours : il ne peut donc s’agir que de la République bourgeoise, et même plus précisément de la Ve République, car la seule République bourgeoise concrète en France aujourd’hui, c’est la Ve République. De fait, l’objectif de rompre avec celle-ci a fait long feu : il ne reste plus que celui de rompre avec l’Union Européenne au nom de la défense de la République ! Et, pour y parvenir, le PT s’adresse « au peuple français », c’est-à-dire qu’il appelle de ses vœux une union nationale des classes aux intérêts contradictoires qui composent ce « peuple », pour défendre la politique réformiste et républicaine-petite-bourgeoise du PT.

Bien sûr, dans la pratique, en fait de « peuple français », il s’agit surtout de rassembler les seuls militants et sympathisants du PT au moyen des « comités pour la reconquête de la démocratie » mis en place par le PT… C’est ce que le PT, comme d’habitude, appelle « unité » ! Cette politique sectaire d’appareil n’a évidemment rien à voir avec le véritable front unique, qui implique à la fois le combat pour un programme revendicatif transitoire débouchant sur la question du gouvernement des travailleurs, le combat pour l’unité des organisations de la classe ouvrière sur la base de ce programme et la lutte ouverte et intransigeante contre les bureaucrates qui dirigent ces organisations.

Conclusion

Si l’on examine de près son orientation politique, on constate que, pendant tout le mouvement de février-avril 2006, la direction du CCI-PT n’a, comme la LCR, rien fait d’autre que de couvrir sur la gauche la politique des bureaucraties syndicales collaboratrices, sans jamais les affronter ouvertement. En même temps, continuant à s’éloigner toujours davantage du Programme de transition de la IVe Internationale dont elle aussi ne se réclame plus que formellement les jours de fête, elle n’a pas proposé au prolétariat et à la jeunesse de ligne indépendante, c’est-à-dire révolutionnaire-transitoire, pour combattre le capital et son gouvernement.

LO couvre les directions… au point de refuser ne serait-ce que l’objectif de la grève générale

Lutte Ouvrière est une organisation forte d’environ 7 000 militants (même si seul un millier d’entre eux dispose des pleins droits au sein de l’organisation), son audience électorale est relativement importante (comparable à celle du PCF), son implantation syndicale, en particulier dans la CGT et dans la FSU, particulièrement importante, même si elle s’en vante peu, et elle dispose de militants dans les 400 plus grandes entreprises de France. Entre toutes les organisations d’extrême gauche, LO avait donc une responsabilité particulièrement grande pour aider le mouvement à progresser vers la grève générale.

LO, les perspectives de la mobilisation et les directions syndicales

LO écrit à juste titre dans ses colonnes qu’il ne faut pas combattre simplement le CPE, mais également le CNE et toute la loi sur l’égalité des chances. Mais elle en reste là. Tout en ne cessant d’insister sur la nécessité que le mouvement s’élargisse, que les travailleurs s’y joignent, LO ne pose jamais la question de savoir si le programme de revendications mis en avant peut jouer un rôle quelconque dans cette extension. Tout en montrant à juste titre que le CPE s’inscrivait dans la série des contrats précaires des vingt dernières années, tapant tout autant sur la gauche plurielle que sur la droite, LO n’a nullement expliqué sur le plan théorique que cela trouvait ses racines dans les exigences du capital, et elle n’a rien fait sur le plan pratique pour développer une plate-forme de revendications transitoires. En réalité, LO s’en tient au programme minimum que le PS et le PCF ont fini par être obligés d’accepter : retrait du CPE, du CNE et de la loi sur l’égalité des chances. LO ne cherche nullement à développer la logique de ce combat, bien qu’elle ne cesse de parler de la nécessité d’élever la conscience de ceux qui participaient à la mobilisation. Enfin, LO a persisté dans son interprétation du soulèvement des jeunes les plus opprimés dans les banlieues à l’automne 2005 comme un soulèvement anti-ouvrier (cf. sur ce point Le CRI des travailleurs de novembre-décembre 2005).

Quant aux méthodes de lutte, LO a obstinément refusé de poser la perspective de la grève générale. En revanche, tout en critiquant le manque de détermination des directions syndicales, LO a appelé de ses vœux des journées d’action les plus nombreuses et les plus rapprochées possibles. Est-ce aider la conscience des étudiants et des travailleurs à progresser que de s’intégrer dans le cadre d’une stratégie qui ne pouvait conduire au mieux qu’à un recul sur le CPE, au pire à rien du tout, comme en mai-juin 2003, en 2004 et 2005 ? Non, c’est s’adapter à la politique de la bureaucratie et se trouver à l’arrière-garde du mouvement. De ce point de vue, les étudiants étaient bien plus avancés que LO, comme le prouvent les appels de leur Coordination nationale, qui reflétait en partie leur conscience et son évolution d’une semaine sur l’autre, malgré les manœuvres des appareillons.

En fait, la politique de LO rendait invraisemblable toute extension du mouvement : après des années de défaites, comment les travailleurs auraient-ils pu rejoindre la grève entreprise par entreprise, sans savoir ce que feraient leurs camarades des autres entreprises et autres secteurs, sans appel des directions syndicales à la grève tous ensemble, en même temps et jusqu’à la victoire ? LO le reconnaît d’ailleurs elle-même dans Lutte de classes n° 96 (avril 2006) : « La possibilité que le mouvement passe à une vitesse supérieure supposerait une participation plus massive des travailleurs. Le mouvement étudiant y contribue déjà, par son seul développement, par son renforcement, par la multiplication des manifestations, directement, en entretenant un climat de lutte et, indirectement, en exerçant une pression sur les confédérations syndicales. Il peut y contribuer davantage en ayant la préoccupation de toucher le monde du travail, partout où faire se peut, devant les entreprises mais aussi sur les marchés, dans les gares, dans les centres commerciaux, etc. Mais l’attitude des confédérations syndicales en la matière est essentielle. » Mais si l’attitude des directions syndicales, parce qu’elles sont de fait aujourd’hui la direction du prolétariat, est essentielle, pourquoi refuser les appels adressés aux confédérations pour qu’elles appellent à la grève générale ? Pourquoi s’opposer à l’envoi de délégations massives aux sièges des syndicats pour porter ces exigences ?

La vérité, c’est que LO est fondamentalement satisfaite par la politique de ces direction syndicales : « Pour le moment, lit-on dans le même article de Lutte de classe, elles sont unanimes à rejeter le CPE et à en demander le retrait. Même la CFDT qui fait du "dialogue social" l’alpha et l’oméga de son existence! Mais, justement : Villepin a montré dans cette affaire le peu de cas qu’il fait du "dialogue social". Pour le moment, les confédérations appellent en tout cas aux manifestations du 4 avril, et c’est tant mieux. L’unanimité de l’appel comme le fait que les derniers appels à la grève et aux manifestations se sont faits à échéances rapprochées ont contribué à faire participer toujours plus de salariés. » Ce n’est qu’à la toute fin du mouvement, quand LO semble soudain comprendre où mène la politique des bureaucraties syndicales, que LO leur adresse une volée de bois vert en écrivant dans un éditorial : « Les confédérations syndicales du monde du travail ont toutes reconnu que le CPE n’était pas négociable, qu’il fallait exiger son retrait pur et simple (…). Mais alors pourquoi avoir accepté de rencontrer les présidents des groupes UMP de la Chambre des députés et du Sénat, c’est-à-dire en fait les représentants d’un gouvernement avec lequel ils ont dit ne rien avoir à négocier, et qui plus est les rencontrer en ordre dispersé, chaque confédération à son tour, alors que justement l’unité du front syndical était une caractéristique majeure du mouvement ? Pourquoi, contrairement à ce qui s’était passé au lendemain des manifestations précédentes, ne pas avoir annoncé ce que serait la prochaine étape de la lutte ? Pourquoi donner de fait au gouvernement un délai, jusqu’aux vacances parlementaires du 17 avril, pour retirer le CPE ? Pourquoi, si ce n’est parce que les directions confédérales, malgré leurs propos radicaux en apparence, sont prêtes à offrir au gouvernement, en échange de la reconnaissance de leur importance, un compromis qui lui permette de sauver la face ? Ce faisant elles prennent le risque de démobiliser travailleurs et étudiants justement au moment où leur mobilisation était la plus forte, où les chances de faire reculer le gouvernement étaient plus grandes que jamais. » Très juste ! Mais pourquoi n’avoir pas prévenu les jeunes et les travailleurs dès le début du mouvement, pourquoi ne pas leur avoir montré pas à pas la politique traître des appareils, pourquoi ne pas avoir combattu ceux-ci ouvertement et frontalement dans le journal et les tracts comme dans les AG et les syndicats ? En ne dénonçant les directions syndicales qu’à la fin du mouvement, LO n’a fait que redonner un vernis radical à une politique qui a été fondamentalement opportuniste au cœur même de la lutte.

LO et la question du pouvoir

LO ne pose à aucun moment la question du pouvoir, sous quelque forme que ce soit, se contentant de critiquer les arrière-pensées électorales de la gauche et de la droite. Cependant, Arlette Laguiller a été la première à annoncer sa candidature pour la présidentielle de 2007, dès l’automne 2005… Or LO ne propose aux travailleurs et aux jeunes aucun programme de transition capable de faire le pont entre l’état actuel des luttes et de la conscience de classe et l’objectif du gouvernement des travailleurs, par et pour eux-mêmes.

Conclusion

En un mot, si elle a critiqué tardivement les directions syndicales, non seulement LO n’a jamais remis en cause le cadre même des journées d’action et n’a pas combattu pour l’élargissement de la plate-forme de revendications, mais elle s’est opposée énergiquement aux adresses aux syndicats et, contrairement à la LCR et au PT, elle a refusé d’un bout à l’autre du mouvement de poser la question de la grève générale ! LO a par conséquent été réduite à adopter une ligne spontanéiste et dépolitisée, se bornant pour l’essentiel à inviter les travailleurs et les jeunes à manifester le plus nombreux possible pour chaque journée d’action. Dans la lutte elle-même, LO est intervenue comme un petit appareil de gauche, ses militants méprisant ouvertement le mandatement des délégués à la Coordination nationale et n’hésitant pas à voter à la Coordination selon les consignes de leur organisation politique, fût-ce contre le mandat qui leur avait été confié en AG. Le principal mérite de LO aura consisté à appuyer la volonté des étudiants de prendre contact avec les salariés, en utilisant pour cela son implantation dans les entreprises ; mais avec une orientation aussi vide politiquement et aussi opportuniste à l’égard des directions syndicales, le résultat d’une telle démarche, juste en son principe, ne pouvait être que bien maigre.


Le CRI des Travailleurs n°22     << Article précédent | Article suivant >>