Le CRI des Travailleurs
n°22
(printemps 2006)

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Bolivie : La victoire électorale du MAS exprime la recherche d'une alternative par les masses... mais débouche sur un gouvernement au service de la bourgeoisie


Auteur(s) :Antoni Mivani
Date :4 mai 2006
Mot(s)-clé(s) :international, Bolivie
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Nous avions consacré un long article aux problèmes de la révolution en Bolivie, en proposant des éléments d’analyse de long terme, ainsi que les grandes lignes d’une orientation communiste révolutionnaire, dans Le CRI des travailleurs n° 19, de septembre-octobre 2005. Ce nouvel article a pour but d’examiner l’évolution de la situation dans les six derniers mois, marqués notamment par l’élection triomphale d’Evo Morales, dirigeant du MAS (Mouvement vers le socialisme), à la présidence de la République et le raz de marée électoral en faveur de ce parti aux législatives (1).

Triomphe électoral sans précédent du MAS et de ses alliés

Les élections ont été marquées par une très forte participation (plus de 84 % des électeurs inscrits). Cela démontre que la lutte de classe directe depuis 2000 a contribué à politiser de très larges secteurs des masses, qui auparavant ne se déplaçaient même pas pour voter. En même temps, ces mêmes masses croient à nouveau dans la possibilité de changer leur sort en élisant le candidat qui leur semble représenter leurs intérêts. Les illusions envers les mécanismes de la démocratie bourgeoise, qui ne peuvent réellement disparaître sans la construction d’un puissant parti révolutionnaire, ne sont pas épuisées, mais elles ont bien au contraire été ravivées par la politique du MAS, qui prône le changement dans le respect de ce qu’il appelle « la démocratie », c’est-à-dire les institutions de l’État qui garantissent depuis des années l’enrichissement d’une poignée de monopoles impérialistes et de grands bourgeois locaux, au détriment de l’immense majorité.

Dans ces conditions, il ne pouvait être question de boycotter les élections, comme l’a fait le POR (Parti Ouvrier Révolutionnaire, principale organisation d’origine trotskyste en Bolivie, devenu aujourd’hui centriste-sclérosé) sous prétexte de lutter contre les illusions électorales des opprimés. Il fallait au contraire utiliser de façon marxiste les élections, pour faire connaître le programme du trotskysme aux travailleurs de Bolivie, incluant la lutte contre les illusions électorales. L’échec du projet de constituer un IPT (Instrument Politique des Travailleurs), parti qui serait constitué sur la base des syndicats affiliés à la COB, a conduit à l’absence de toute représentation ouvrière, même réformiste, dans ces élections. Cet échec est dû à une coalition hétérogène des partisans du MAS dans la COB, de la fraction la plus droitière de la bureaucratie syndicale et du POR sectaire et abstentionniste.

En l’absence de toute alternative ouvrière et socialiste politiquement organisée, il n’est pas surprenant que les paysans, mais aussi les masses prolétariennes et semi-prolétariennes des villes, aient voté en masse pour Evo Morales, qui s’est également présenté comme le porte-parole de la majorité opprimée que sont les Indiens et qui a fait campagne en se prononçant pour la récupération des richesses naturelles et pour l’Assemblée Constituante, les deux revendications centrales des mobilisations des travailleurs et des paysans ces dernières années, tout en affichant son souci de respecter le cadre des institutions bourgeoises. Nous avions déjà souligné cette forte popularité du MAS, sous-estimée ou incomprise par nombre d’organisations gauchistes, qui semblaient croire que les trahisons répétées des mobilisations populaires par la direction du MAS avaient déjà permis aux masses de perdre leurs illusions à l’égard de ce parti et de son leader, alors que le MAS n’a encore jamais gouverné. Mais, contradictoirement, il est clair que les opprimés, en votant Morales, ont voté pour la nationalisation et pour la Constituante, en fait pour changer radicalement leur existence. De ce point de vue, les résultats électoraux ne font que refléter sur le terrain électoral, donc de manière déformée, la puissance de la lutte des exploités et des opprimés, qui avait renversé deux présidents élus en moins de deux ans.

Morales a remporté l’élection présidentielle en obtenant la majorité absolue des suffrages dès le premier tour, soit plus d’1,5 million de voix, phénomène inédit. Il a même recueilli 66 % des suffrages dans la circonscription de La Paz (où il fait trop fois plus de voix que Quiroga, son principal adversaire), il est arrivé largement en tête à Cochabamba, Oruro, Potosi, départements de l’Ouest du pays, traditionnellement plus mobilisés. Mais il a réalisé aussi de bons scores dans les deux départements pétroliers dominés par la bourgeoisie, avec 33 % dans le département de Santa Cruz et 31 % à Tarija. L’ampleur de cette victoire montre qu’un projet exprimant officiellement, de façon déformée ou insuffisante, les intérêts du prolétariat, actuellement concentrés sur la question de la nationalisation des hydrocarbures comme moyen de mettre un terme à la pauvreté du pays, est en mesure de rassembler autour du prolétariat et des paysans pauvres l’immense majorité de la population. Mais elle est aussi le résultat du choix fait par Morales de constituer autour du MAS une alliance large allant de représentants des secteurs combatifs, comme Abel Mamani, ex-dirigeant (réformiste) de la puissante Fejuve de El Alto (dont la base représente les secteurs prolétariens et semi-prolétariens les plus avancés du pays), jusqu’à certains petits patrons : il a ainsi reçu massivement des votes des secteurs les plus avancés, tout en gagnant ou consolidant la sympathie dont il bénéficiait déjà dans certaines couches des classes moyennes.

Aux législatives, le MAS a remporté la majorité absolue des sièges, avec 72 députés sur 130. Au Sénat, il a obtenu 12 sièges sur 27, tandis que 15 revenaient aux partis bourgeois, dont 13 pour celui de Tutot Quiroga. Si le MAS n’a pas obtenu la majorité au Sénat, cela ne tient qu’à sa politique de conciliation avec la bourgeoisie, qui lui avait fait accepter une sur-représentation des régions de Santa Cruz et Tarija, où les partis bourgeois sont plus puissants. En outre, il a toléré passivement que des dizaines de milliers de paysans soient rayés des listes par la commission électorale et ne puissent ainsi pas voter, alors que leur participation aurait encore accru son succès. Enfin, la victoire triomphale du MAS au plan national est en partie contrebalancée par la victoire des partis bourgeois dans la majorité des élections aux préfectures des neuf départements, qui est la conséquence d’une autre concession du MAS aux partis bourgeois : auparavant, en effet, les préfets étaient désignés par le gouvernement ; or les partis bourgeois ont modifié la législation avec l’appui des députés du MAS. Cette exigence des patrons était pourtant liée à leur projet d’une plus large « autonomie » pour les départements, afin de permettre aux oligarchies locales de mettre la main sur une partie des recettes tirées de l’exploitation du gaz et du pétrole. Cette politique « autonomiste » fait planer la menace d’une sécession des deux départements du Sud et de l’Est, où sont concentrées les richesses pétrolières et gazières, et constitue un instrument de pression constant sur la politique nationale, voire un prétexte tout trouvé pour une éventuelle intervention d’une armée impérialiste si la poussée révolutionnaire se poursuivait.

Un nouveau « front populaire »

Le gouvernement composé par Evo Morales et son vice-président Garcia Linera résume son orientation politique. Le ministère des hydrocarbures a été confié à Soliz Rada, ex-militant d’un parti bourgeois de centre-droit, et toujours partisan de la collaboration avec les multinationales. Le ministère de la défense revient à Walker San Miguel Rodriguez, un avocat, ancien président de la LAB (compagnie aérienne bolivienne), qui a participé au programme de privatisations de l’ancien président, Gonzalo Sanchez de Losada. Le ministère des travaux publics et des services publics (dont dépendent de juteux contrats) est détenu par Salvador Rik, un chef d’entreprise multimillionnaire de Santa Cruz, dont beaucoup disent qu’il aurait blanchi de l’argent et aurait recours massivement à la corruption. Le ministère des mines a été remis à Villaroel, qui vient de quitter de façon opportuniste l’Union Civique (UCS), organisation politique représentant les intérêts de la bourgeoisie de l’Est. Les membres « ouvriers » et « populaires » du gouvernement Morales sont réduits à la portion congrue, avec Abel Mamani, ancien dirigeant de la Fejuve de El Alto, Ministre chargé de l’eau (alors qu’il s’est distingué par sa position de compromis dans le conflit entre la population de El Alto et la compagnie Aguas de Ilimani, filiale locale d’une multinationale française) et Galvez, dirigeant d’un syndicat ouvrier dont les positions sont notoirement pro-patronales.

Sous prétexte d’attendre l’Assemblée Constituante, prévue pour juillet, le gouvernement a d’abord repoussé la nationalisation du pétrole et du gaz. La pression des masses vient cependant de le contraindre à la décider le 1er mai : ce geste est d’une grande importance en lui-même, mais le gouvernement a immédiatement réaffirmé qu’il n’y aurait ni expropriation, ni confiscation, et que les normes juridiques internationales, c’est-à-dire les intérêts des Petrobras, Total, Exxon, Repsol, etc., seraient respectées. Pour le reste, les premières mesures prises par Morales restent très limitées : affirmation de la liberté de cultiver la coca, diminution du salaire du président et des ministres, augmentation de 7 % des salaires des enseignants et des travailleurs de la santé. Il justifie cette limitation à 7 %, sans rapport avec sa promesse de multiplier par trois le salaire minimum pour lui faire atteindre 1500 pesos boliviens (soit environ 150 euros), par le souci de « stabilité macroéconomique ». Il laisse courir les hommes politiques, les militaires et les policiers auteurs des massacres commis lors des soulèvements populaires de 2003…

Quant aux modalités de convocation de la Constituante, il a accepté toutes les exigences de l’opposition. Tout d’abord, des référendums sur l’autonomie auront lieu dans chaque département en même temps que les élections à la Constituante : il suffira qu’un département souhaite l’autonomie pour qu’elle lui soit accordée, au mépris des intérêts de l’immense majorité des exploités et des opprimés. De plus, le scrutin sera uninominal à un tour, mais le parti arrivant en deuxième position récupèrera un siège contre deux à celui arrivé en tête : cela garantit un poids substantiel aux partis bourgeois (de fait, au moins un tiers de l’assemblée), soit le poids nécessaire pour bloquer toute réforme : Morales produit donc volontairement une situation où il sera obligé de négocier des compromis avec la bourgeoisie. Par ailleurs, ce mode de scrutin, par opposition à la proportionnelle, permet d’éliminer presque toutes les autres tendances politiques que le MAS et les partis bourgeois : il s’agit de tout faire pour éviter la formation d’un pôle prolétarien indépendant. En un mot, la Constituante de juillet ne sera nullement souveraine, ni même simplement démocratique, puisque composée selon un accord au sommet entre le MAS et la bourgeoisie et soumise aux résultats des référendums sur la question de l’autonomie.

Les premières mesures prises par le gouvernement dirigé par le MAS confirment donc qu’il s’agit d’un gouvernement de front populaire dont la base hégémonique est un parti nationaliste petit-bourgeois fondamentalement attaché au maintien de la propriété privée des moyens de production et de l’État bourgeois bolivien. Il prétend résoudre dans le cadre du capitalisme et du parlementarisme des problèmes sociaux et politiques qui ne peuvent l’être que par la lutte de classe et la victoire du prolétariat et des paysans sur l’impérialisme et la bourgeoisie.

Les marxistes doivent dire avec la plus grande clarté que leur programme s’oppose radicalement à celui du gouvernement Morales et du MAS. Le « capitalisme andin » que prônent Morales et Garcia Linera est une utopie réactionnaire et trompeuse : seule la révolution des prolétaires dirigeant les masses paysannes et l’orientation vers le socialisme peuvent permettre le développement de la Bolivie (cf. notre article dans Le CRI des travailleurs n° 19). Il ne saurait donc être question d’apporter le moindre soutien politique au gouvernement de Morales, nationaliste petit-bourgeois qui cherche à concilier les intérêts des prolétaires et des paysans morts sur les barricades pour renverser Sanchez de Losada, avec ceux des patrons et grands propriétaires qui les ont fait assassiner.

Mais la politique marxiste, si elle ne veut pas rester une déclamation impuissante, doit chercher à constituer un point de regroupement pour tous les militants et les jeunes révoltés qui ont déjà appris par leur propre expérience à se méfier de Morales. Dans cette perspective, il faut se battre pour l’application des résolutions du dernier congrès de la COB prévoyant la mise en place d’un IPT (Instrument Politique des Travailleurs), c’est-à-dire d’un parti propre aux prolétaires, qui sera un terrain favorable pour la construction d’une fraction trotskyste. Il faut dénoncer chaque compromis de Morales avec la bourgeoisie et l’impérialisme qui ne lui soit pas réellement imposé par le rapport de forces, mais qui résulte d’une capitulation politique. Il faut exiger le départ de tous les ministres ouvertement bourgeois, dont la nomination a été critiquée par nombre d’organisations ouvrières et populaires. Il faut appeler à un boycott actif pour défaire les référendums sur l’autonomie. Il faut dénoncer la prétendue « Constituante » négociée dans le dos des masses avec le chef bourgeois Quiroga et ses amis, qui n’a d’autre fonction que donner une caution populaire à la capitulation de Morales devant les exigences de la bourgeoisie et des multinationales. Il faut se battre au contraire pour une Constituante révolutionnaire, reposant sur le regroupement des opprimés de la ville et de la campagne organisés dans des comités ad hoc. Ce n’est pas par des combinaisons parlementaires, mais seulement par l’intervention des masses sur la scène politique que peuvent être dénoués les problèmes dans lesquels se débat la Bolivie.

Quelle politique ferait un gouvernement révolutionnaire ?

Mais, peut-on se demander, que feraient les marxistes révolutionnaires s’ils étaient au pouvoir, par exemple sur la question du gaz et du pétrole ? Le MAS a-t-il d’autre solution que de chercher un compromis avec les multinationales du pétrole et du gaz, puisque le pays ne possède pas la technique, le personnel qualifié et les capitaux nécessaires pour poursuivre la recherche de nouveaux gisements et exploiter seul ceux qui existent ? Il est du devoir des militants marxistes d’expliquer aux prolétaires et aux paysans que les problèmes prétendument techniques sont en réalité, en dernière analyse, des problèmes politiques. Un gouvernement révolutionnaire accélérerait la formation d’ingénieurs et techniciens boliviens et demanderait notamment au gouvernement Chavez l’aide matérielle et technique de la grande entreprise pétrolière vénézuelienne PDVSA, tout en mobilisant et en organisant les travailleurs du pétrole en Bolivie pour qu’ils s’adressent à leurs frères de classe vénézueliens. En effet, PDVSA, qui appartient à l’État vénézuelien, dispose de moyens matériels et techniques modernes pour l’exploitation du pétrole : un refus du gouvernement Chavez aiderait les masses boliviennes et vénézueliennes à comprendre la véritable nature de Chavez et développerait la lutte de classe au Venezuela même ; une acceptation permettrait de résoudre progressivement le problème technique, tout en développant les liens entre les prolétaires du continent. En outre, les travailleurs de PDVSA ont démontré, lors de la lutte contre le lock-out organisé par le patronat et une bonne partie des ingénieurs fin 2003-début 2004, qu’ils étaient capables de remettre les puits et les raffineries en marche et de les faire fonctionner eux-mêmes. De manière générale, un gouvernement révolutionnaire aiderait les travailleurs de Bolivie à nouer des liens également avec les travailleurs des autres pays d’Amérique Latine et travaillerait énergiquement à les organiser en vue de la conquête du pouvoir dans leur propre pays : c’est seulement par l’extension de la vague révolutionnaire à l’ensemble du continent que les prolétaires et paysans de Bolivie pourraient consolider leurs conquêtes, et c’est seulement à l’échelle du continent que les forces productives pourraient commencer à être rationnellement organisées pour développer l’économie selon les besoins des masses.

En même temps, un gouvernement révolutionnaire mobiliserait les travailleurs et paysans contre les monopoles impérialistes et leurs alliés locaux pour contraindre les monopoles du pétrole à reconnaître la nationalisation et à signer les contrats les plus avantageux possibles pour les travailleurs boliviens, aussi bien en termes strictement financiers que pour le transfert de technologies, en jouant sur la concurrence entre les différents groupes impérialistes. Car un gouvernement révolutionnaire isolé n’aurait pas d’autre choix, dans un premier temps, que de faire des compromis avec l’impérialisme. Il utiliserait les fonds ainsi dégagés pour relever le niveau de vie des masses et pour mettre en place un plan de développement de l’économie. Et il chercherait l’appui des prolétaires des pays impérialistes : la meilleure façon d’affaiblir les entreprises impérialistes, c’est d’intervenir pour développer la lutte de classe dans leur métropole.

Or Morales ne cherche nullement à s’appuyer sur la mobilisation des masses, mais mise uniquement sur des négociations de salon avec les rapaces impérialistes, avec Chirac et Total, Zapatero et Respol, Lula et Petrobras. Qu’il s’agisse d’une politique délibérée de Morales, c’est ce que prouve le fait qu’il ne prend même pas les mesures, exigées par le peuple, qui ne posent aucun problème « technique », telles que l’augmentation massive des salaires, le châtiment des assassins du peuple, la convocation d’une véritable Constituante souveraine et révolutionnaire. Il ne peut rien faire d’autre à partir du moment où il refuse de détruire les institutions de l’État bolivien, pour les remplacer par des comités d’auto-organisation des masses, et de rompre avec l’impérialisme et le capitalisme, pour commencer à construire le socialisme à l’échelle du continent. La « stabilité macroéconomique » et le « respect de la démocratie » ne sont que des formules trompeuses masquant la capitulation politique face aux intérêts de l’impérialisme et du capital qui pillent et oppriment le prolétariat, les paysans et la majorité indienne de Bolivie. Dans ce cadre petit-bourgeois étroit, il ne peut être obtenu davantage que quelques miettes concédées par la bourgeoisie et de l’impérialisme, qui les reprendront toutes et plus aux opprimés dès que le rapport de forces leur redeviendra plus favorable.

Fallait-il appeler à voter pour Morales et le MAS ?

Telle étant la politique du MAS et du nouveau gouvernement Morales, fallait-il refuser d’appeler à voter pour eux aux dernières élections ? Cette question a été à l’origine de polémiques entre certaines organisations qui se réclament du trotskysme (2). Pour les marxistes révolutionnaires, il était évidemment hors de question d’apporter un appui politique au MAS. Fondamentalement, il fallait se battre pour la constitution d’un Instrument politique des travailleurs qui présente ses propres candidats (cf. sur ce point Le CRI des travailleurs n° 19). Cependant, en l’absence d’un tel parti ouvrier (due au refus des dirigeants de la COB, d’une part, et des centristes sectaires soi-disant « trotskystes », d’autre part), fallait-il appeler à voter pour le MAS (3) ou appeler à l’abstention (4) ?

Selon nous, il était juste d’appeler à voter pour le MAS, à condition de dénoncer ouvertement son programme et sa politique collaboratrice des dernières années. En effet, les marxistes ne pouvaient rester indifférents à la lutte entre les secteurs traditionnels de la bourgeoisie (représentés par Quiroga) et le MAS : ils devaient contribuer à infliger une défaite à la bourgeoisie et à ses partis ouvertement pro-impérialistes (5). De plus, cette orientation électorale, purement tactique, aurait contribué à ce que le MAS obtienne la plus large majorité possible, afin qu’il ne puisse pas prétexter une quelconque faiblesse pour justifier ses compromis traîtres avec la bourgeoisie. En effet, les masses ne peuvent assimiler les leçons de l’histoire simplement dans les livres : elles ne peuvent apprendre qui est réellement Morales et ce que signifie la politique du MAS que si elles en font l’amère expérience (6). Du moins tant qu’un parti communiste révolutionnaire ne sera pas suffisamment fort pour leur permettre d’accéder elles-mêmes au pouvoir : en Bolivie comme ailleurs, telle est bien la question la plus décisive.


1) Cet article s’appuie sur les matériels diffusés par le PO, le PTS, le MAS d’Argentine, le CCPOR et le Courant Praxis (ex-groupe d’opinion du PTS), ainsi que la LOR-CI, organisation bolivienne sœur du PTS.

2) Notamment entre le PO (Parti ouvrier, membre du Mouvement pour la refondation de la Quatrième Internationale, MRQI) et le PTS (Parti des travailleurs pour le socialisme, membre de la Fraction Trotskyste pour la Quatrième Internationale, FTQI), deux des principales organisations trotskystes d’Argentine et par là même d’Amérique latine.

3) Position du PO argentin.

4) Position du PTS et de son organisation-sœur en Bolivie, la LOR-QI, ainsi que du MAS argentin.

5) Le PTS et la LOR-QI ont d’ailleurs eu une orientation incohérente, puisqu’ils ont pris position pour l’abstention, renvoyant dos-à-dos Morales et Quiroga, mais ils ont vu dans le résultat des élections une défaite des forces ouvertement patronales et de l’impérialisme. Ils ne sauraient objecter qu’il serait contraire aux principes du marxisme d’appeler à voter pour un parti nationaliste petit-bourgeois, car ils ont eux-mêmes appelé en 2004 à voter Non au référendum révocatoire contre Chavez, qui est un dirigeant nationaliste bourgeois (bonapartiste de surcroît). Leur distinction entre un vote « négatif » dans le cas du référendum contre Chavez et un vote « positif » dans le cas des élections en Bolivie n’est pas convaincante.

6) Le PO argentin a donc eu raison d’appeler à voter pour le MAS, mais il faut critiquer fermement la manière dont il l’a fait : comme le notent le PTS et la LOR-QI, il a eu une nette tendance à s’adapter au nationalisme petit-bourgeois de Morales. En effet, le PO est bien moins critique à l’égard du MAS qu’à l’égard des organisations qui se trouvent à sa gauche (COB, FSTMB, COR et Fejuve de El Alto…), lesquelles ont pourtant joué, malgré leurs dirigeants, un rôle décisif dans les soulèvements des masses, notamment en 2005. Ici, le PO ne voit pas la tendance à la constitution d’une avant-garde ouvrière et refuse étrangement de distinguer entre les dirigeants, qui sont des bureaucrates réformistes « de gauche » (castristes ou chavistes), et la base, prolétarienne et semi-prolétarienne, héroïque pendant les journées révolutionnaires, qui cherche la voie de la révolution. Corrélativement, PO n’indique aucun chemin précis pour constituer un pôle politique ouvrier. Il ne dit rien de la lutte pour la constitution d’un Instrument politique des travailleurs s’appuyant sur la COB. À l’opposé, ce problème crucial a été posé par le PTS et la LOR-QI, dans l’ensemble correctement.


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