Le CRI des Travailleurs
n°22
(printemps 2006)

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Bilans du mouvement et des interventions de militants et sympathisants CRI dans quelques établissements


Auteur(s) :Groupe CRI
Date :4 mai 2006
Mot(s)-clé(s) :CPE, étudiants, France
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Pendant le mouvement de février-avril 2006, le Groupe CRI, avec les maigres forces militantes qui sont les siennes, a combattu indissociablement pour construire la mobilisation et pour faire partager son orientation politique. Celle-ci a été déclinée par le biais de six tracts successifs (07/02, 13/03, 23/03, 28/03, 04/04, 11/04), suivant chaque étape du mouvement et présentant à chaque fois une analyse de la situation immédiate, la perspective de la grève générale et des propositions concrètes pour avancer. En tout, plus de 48 000 tracts CRI ont été distribués dans les établissements, les AG et les réunions syndicales à Auxerre, Nancy, Paris et Rouen, auxquels s’ajoutent les 2000 lecteurs qui reçoivent nos publications par Internet. D’autre part, les militants étudiants et universitaires du Groupe CRI sont intervenus dans les AG de leurs établissements en défendant publiquement leur orientation et en proposant systématiquement des motions au vote, souvent avec succès : on lira ci-dessous des bilans sommaires du mouvement dans quelques établissements et de l’intervention CRI en son sein. Enfin, les militants CRI sont intervenus dans leurs syndicats pour y défendre leurs idées et ont contribué à la distribution des tracts et aux réunions du Comité pour un courant intersyndical lutte de classe anti-bureaucratique, à l’activité duquel ils participent avec des militants syndicaux lutte de classe d’autres sensibilités, organisés politiquement ou non.

Bilan du mouvement et de l’intervention CRI à l’Université de Tolbiac

Au début, pendant près de trois semaines, la mobilisation a eu du mal à prendre. Mais, après plusieurs Assemblées générales regroupant moins de 100 étudiants, l’AG du jeudi 23 février, qui regroupait environ 400 étudiants, a voté avec enthousiasme la grève avec piquets de grève, renouant avec l’expérience de mai-juin et novembre-décembre 2003. Dès lors, et jusqu’aux vacances de Pâques, les piquets de grève ont été systématiquement reconduits (six semaines et demi de blocage), faisant de Tolbiac un bastion de la grève étudiante et un point de départ de départ pour son extension aux autres sites de l’Université Paris-I.

Les principaux syndicats présents à Tolbiac sont l’UNEF, SUD-étudiants et la Fédération syndicale étudiante (FSE, dont sont membres les militants et sympathisants du Groupe CRI). Les JCR (présents dans l’UNEF et SUD) sont également bien représentés. Lors des premières AG, la direction de l’UNEF (elle-même dirigée par le courant NPS du PS) a défendu le blocage « partiel » uniquement pour les grandes journées d’action décidées par les directions syndicales. Après avoir été laminée sur cette position, la direction de l’UNEF l’a mise en sourdine, mais elle a été très vite identifiée par la masse des étudiants comme un appareil bureaucratique qui voulait freiner la mobilisation, si bien que les militants de l’UNEF « majo » n’ont jamais pu être mandatés aux Coordinations nationales ! Après quelques jours de mobilisation, les « cadres » de l’UNEF ont carrément déserté la fac car ils ont bien compris qu’ils ne pourraient y jouer le moindre rôle…

Les militants de la FSE, de SUD et de la CNT (tous régulièrement mandatés aux Coordinations nationales) se sont pleinement investis dans la grève et ont gagné la confiance et la sympathie des étudiants grévistes. Mais les militants de SUD et de la CNT, même s’ils ont construit loyalement la grève, ont plus flatté les penchants gauchistes du noyau dur des étudiants mobilisés (partisans de la multiplication des « actions », de préférence « spectaculaires ») que travaillé au développement de la conscience politique des étudiants. Ils ont ainsi poussé à la multiplication des journées d’action et ils se sont opposés à l’élection d’un véritable comité de grève, tant au niveau local que national. Les militants JCR ont également fait vivre la grève avec énergie. Ils ont soutenu constamment la mise en place des piquets de grève (ce qui n’a pas été le cas, au début, à Jussieu ou Nanterre) et plaidé courageusement pour la structuration du mouvement. Mais ils ont systématiquement couvert les directions syndicales, notamment en refusant (avec virulence) les délégations massives aux sièges des syndicats. En outre, les JCR ne sont pas apparus, au niveau national, comme une alternative à la direction de l’UNEF, mais comme son aile « gauche » (refusant de faire front avec la FSE et SUD contre la direction de l’UNEF).

Les positions défendues par le Groupe CRI et une partie des militants de la FSE (dénonciation de la tactique des journées d’action dispersées, appel aux confédérations pour qu’elles appellent à la grève générale et organisent une manifestation centrale à Paris, envoi de délégations massives aux sièges des syndicats, etc.) ont globalement été adoptées par les AG, ce qui prouve la grande maturité politique des étudiants mobilisés. En revanche, il a été difficile de faire comprendre aux étudiants que les délégations massive aux sièges des confédérations syndicales était une priorité. Cependant, cette orientation, combattue de toutes leurs forces par l’UNEF, SUD, les JCR et la CNT, a enfin pu être adoptée le 31 mars, et une délégation de vingt-cinq étudiants a effectivement été reçue le 3 avril au siège de la CGT à Montreuil (cf. ci-dessus l’article d’A. Mivani et N. Pradier sur le rôle des directions syndicales et des partis de gauche).

Maintenant, beaucoup d’étudiants non organisés se posent la question de se syndiquer à SUD ou à la FSE. Beaucoup hésiteront à rejoindre l’un ou l’autre pour ne pas avoir à « choisir ». Il y a une très forte aspiration à maintenir la communauté de lutte qui s’est constituée. D’où l’enjeu, pour les militants du Groupe CRI et de la FSE et pour les plus avancés de SUD, de s’appuyer sur la mobilisation et sur son bilan pour relancer le processus de fusion du syndicalisme étudiant de lutte.

C. et S.

Bilan du mouvement et de l’intervention CRI à la Sorbonne

Lundi 6 mars, une AG de 300 étudiants a voté la grève avec piquets de grève à partir du lendemain, ainsi qu’une adresse aux directions syndicales pour qu’elles appellent à la grève générale. Suite à cette AG que le rectorat a décidé de fermer la Sorbonne, pour empêcher les étudiants de se réunir le lendemain, jour de la première grande « journée d’action » depuis la première du 7 février.

Mercredi 8 mars, une nouvelle AG, tenue cette fois à la Sorbonne, a voté la poursuite de la grève et l’occupation pour maintenir ouverte l’université : l’occupation a commencé le soir même. Jeudi 9 mars, les portes ont été plusieurs fois fermées et un rassemblement étudiant s’est organisé dans la soirée pour imposer leur réouverture. Le pouvoir a répondu par la répression : coups de matraques, arrestations et gaz lacrymogènes. Vendredi 10 mars, la Sorbonne est restée fermée. L’occupation s’est poursuivie et 300 étudiants supplémentaires ont pu rentrer dans la Sorbonne vers 17 h en forçant un barrage policier. Dans la soirée, 1000 étudiants ont fait face à la police, réclament la réouverture de la Sorbonne et le départ de la police. Plusieurs barricades ont été dressées. Des affrontements ont eu lieu avec les CRS. Samedi, à 4 h du matin, la police (sur ordre de Sarkozy) est rentrée dans la Sorbonne et a évacué les occupants (faisant plusieurs blessés parmi eux), arrêtant plusieurs étudiants.

Dès lors, et jusqu’au lundi 24 avril, la Sorbonne est restée administrativement fermée, protégée par des centaines de policiers ou gendarmes et, entre le 17 mars et le 13 avril, par des murs anti-émeutes. Les étudiants de la Sorbonne se sont alors réunis à Jussieu, Censier et enfin Tolbiac, mais avec des effectifs de plus en plus réduits : moins de 100 étudiants pour les dernières. Cette situation particulière a donné un poids relatif important aux organisations syndicales et politiques.

Dans les AG, les militants de LO, très investis dans le comité de mobilisation et la diffusion des tracts à la population, ont joué un rôle important ; mais ils ont défendu la même ligne que la direction de l’UNEF : refus de condamner les directions syndicales, refus de les appeler à appeler à la grève jusqu’au retrait, accent mis sur les journées d’action comme finalité, condamnation des « casseurs », etc. Les militants de LO ont toutefois perdu une grande partie de leur crédibilité après avoir violé le mandat qui leur avait été confié pour la Coordination nationale de Dijon (19 mars). Ce mandat intégrait comme point central une motion proposée par un militant CRI et adoptée à la majorité, sans que les militants de LO s’y opposent publiquement : elle se prononçait pour la grève générale jusqu’à la victoire, pour que l’AG s’adresse aux travailleurs sur cette base (et non sur la base des tracts insipides rédigés par LO au nom du comité de mobilisation) et pour que les directions syndicales appellent à la grève générale. Pour être élus, les militants de LO ne sont pas opposés publiquement à cette motion ; mais, alors que leurs militants et sympathisants représentaient la majorité de la délégation de la Sorbonne, ils ont refusé de la défendre et de voter pour elle à la Coordination nationale, se ralliant à la motion concurrente qui refusait de dénoncer les directions syndicales et de s’adresser à elles, et qui avait été rédigée sur la base d’un compromis entre l’UNEF, les JCR…et LO ! En conséquence, seul le délégué CRI a défendu le mandat de la Sorbonne, d’ailleurs avec succès puisque la motion en question a été intégrée dans l’Appel de la Coordination de Dijon ! Par la suite, les militants de LO de la Sorbonne n’ont évidemment plus été mandatés pour participer aux Coordinations nationales, malgré leurs efforts…

Les militants et sympathisants du Groupe CRI n’ont cependant pu s’investir que partiellement dans la mobilisation de la Sorbonne, en raison de leur activité professionnelle plusieurs jours par semaine et de l’absence d’appel à la grève continue de la part de leurs syndicats de salariés, qui leur aurait permis de participer davantage à la mobilisation quotidienne. En outre, les autres militants de la FSE ne sont pas nombreux à la Sorbonne. Même si nous avons pu faire passer un certain nombre de nos positions en AG, nous n’avons donc pas pu influencer en profondeur les étudiants mobilisés de cette Universités, d’autant que la présence des appareillons et de leurs flancs-gardes d’extrême gauche y était particulièrement forte.

C., L. et S.

Bilan du mouvement et de l’intervention CRI à l’Université de Rouen

À l’Université des lettres et sciences humaines de Rouen (campus de Mont-Saint-Aignan), le mouvement commence le 8 mars. Le blocage se réalise très vite et efficacement, de sorte que seul un amphi reste accessible, où se sont tenues chaque jour des assemblées générales, souvent nombreuses (600 personnes environ)… Une cinquantaine d’étudiants ont occupé les lieux jour et nuit. La mobilisation a été festive et culturellement engagée : commission « décoration », expositions, projection chaque soir d’un film suivi d’un débat…

Le nombre des étudiants mobilisés est allé croissant, montrant bien l’utilité politique du blocage : des étudiants qui y étaient au départ défavorables ont été peu à peu convaincus de sa nécessité, car il permet évidemment qu’aucun cours ne se tienne mais que des débats aient lieu Les étudiants et enseignants grévistes discutent avec ceux qui s’opposent à eux pour qu’ils viennent exprimer leur position en AG. Lorsque, le 3 avril, des responsables de « psycho-socio » ont tenté de procéder, par la bande et au niveau seulement de leur département, à un référendum à bulletin secret pour la levée du blocage ; les étudiants mobilisés ont réussi à le faire cesser. Certains cours se sont tenus hors-les-murs à l’initiative d’enseignants zélés ; l’AG a pris des mesures pour les empêcher autant que possible.

En revanche, entre 30 et 40 enseignants de presque toutes les disciplines sont venus régulièrement aux AG (pas toujours ensemble, plutôt à tour de rôle). Les dirigeants du SNESup ont évoqué la grève, mais en refusant toujours de consigner la question par écrit, en refusant aussi de s’adresser aux directions syndicales pour qu’elles y appellent. Néanmoins, le 10 mars, je suis intervenue lors d’une réunion d’enseignants convoquée par le SNESup (nous sommes une trentaine) pour qu’un texte en ce sens soit adopté. Il a été applaudi par l’ensemble des étudiants lors de l’AG suivante.

Les premières AG ont été un peu bringuebalantes, certains étudiants « anti-tout » rejetant toute idée d’organisation et de structuration : pas de tribune, pas de vote, pas de mandats… Mais le mouvement a été de plus en plus résolu dans son organisation — les « STAPS » voisins de campus ont apporté un enthousiasme communicatif : quand ils sont venus en AG, on s’y est retrouvé à 500 ! — et politiquement dans ses revendications. Encore fallait-il formuler celles-ci, adopter et diffuser des textes, ce qui n’a pas été le cas tout de suite.

Le 22 mars, j’ai proposé au vote la motion suivante : « Face à l’obstination du Premier Ministre qui persiste et signe dans sa volonté d’imposer coûte que coûte le CPE, l’AG des étudiants et enseignants de l’Université de Rouen (Lettres et sciences humaines) réunie le 22 mars 2006 estime qu’il faut impérativement élargir le mouvement. La mobilisation des étudiants et lycéens ne doit pas rester isolée. Elle doit être rejointe par l’ensemble des salariés. L’AG réaffirme sa détermination à obtenir l’abrogation des ordonnances sur le CNE et de la loi dite “sur l’égalité des chances”. Pour y parvenir, elle estime qu’il faut se battre pour la grève générale des salariés, des étudiants et des lycéens. C’est pourquoi l’AG appelle à la construction de la grève et à l’auto-organisation ; c’est pourquoi également l’AG s’adresse aux directions des syndicats de salariés pour qu’elles appellent à la grève générale jusqu’au retrait. » Cette motion est adoptée à l’unanimité moins une dizaine d’abstentions.

Comment expliquer un tel succès pour notre orientation ? Par la quasi-absence des appareillons et de leurs flancs-gardes d’extrême gauche. L’UNEF n’est en effet présente que par quatre ou cinq étudiants, assez effacés ; SUD, LCR, LO et PT sont absents. Or cette situation particulière a permis de formuler aisément une orientation correspondant à l’état d’esprit de étudiants mobilisés : construction de la grève et auto-organisation, objectif de la grève générale et adresse aux directions syndicales.

Les étudiants mobilisés se sont montrés très soucieux que leur parole et leur action ne soient pas déformées par les médias. Un communiqué de presse a été voté en ce sens, annonçant que nous ne tolérerons aucune altération et aucune amputation de nos textes. France 3 a accepté de le diffuser ; d’autres journalistes (de Paris Normandie en particulier) ont été bien plus condescendants !

À Rouen, les manifestations ont été nombreuses et violemment réprimées. Des manifestations sauvages ont eu lieu, notamment la nuit. Des blocages d’axes routiers et ferroviaires ont été organisés. En centre-ville, la police et la gendarmerie étaient omniprésentes, hélicoptère compris. Les policiers ont utilisé tant de grenades lacrymogènes qu’ils sont arrivés à un moment donné à rupture de stock !

Le 3 avril, après le discours de Chirac annonçant l’aménagement du CPE et l’ouverture de discussions avec les directions syndicales, les étudiants ont prouvé leur grande maturité politique. Ils ont d’abord adopté une résolution en solidarité avec tous les inculpés de ces dernières semaines mais aussi avec tous ceux des émeutes de banlieue en novembre. Bon nombre d’intervenants ont ensuite dénoncé la manœuvre du président de la République et affirmé leur détermination à poursuivre le mouvement jusqu’à la victoire. Quelques étudiants (beaucoup de « psycho ») sont intervenus pour la levée du blocage, mais celui-ci a été reconduit à une très large majorité. Je suis intervenue sur le discours de Chirac, la stratégie du gouvernement, les contacts entre Sarkozy et les responsables syndicaux ; puis j’ai proposé au vote la motion suivante : « L’AG des étudiants et enseignants réunis ce lundi 3 avril affirme qu’elle refuse tout aménagement du CPE. Elle réitère sa revendication : abrogation des ordonnances sur le CNE ; abrogation de la loi dite sur “l’égalité des chances”. On ne saurait attendre des semaines de délibérations parlementaires, qui ne pourront que conduire à la démobilisation. La satisfaction de notre revendication pourra être obtenue par la grève générale des étudiants, lycéens et salariés jusqu’au retrait. Nous nous efforçons de construire la généralisation de la grève ; nous demandons aux directions syndicales qu’elles y appellent. » La motion a été votée à l’unanimité des participants moins huit contre et une dizaine d’abstentions.

Après les gigantesques manifestations du 4 avril, lors de l’AG du 7, le président de l’Université est intervenu pour expliquer la position de la CPU (Conférences des présidents d’universités) et dire qu’il fallait vite reprendre les cours. Mais les enseignants présents ont refusé et dénoncé le chantage aux examens. La nécessité absolue de poursuivre le mouvement, l’importance du temps à ne pas perdre ont été rappelées. Un étudiant de l’UNEF a proposé de partir immédiatement, en pleine AG, pour une délégation chez les parlementaires ; il n’a été suivi que par quatre personnes. À l’issue de mon intervention, j’ai proposé au vote la motion suivante : « L’AG unitaire réunie ce vendredi 7 avril réaffirme sa détermination à poursuivre la mobilisation par la grève jusqu’à la victoire. Elle condamne la position de l’intersyndicale nationale qui, dans sa déclaration du 5 avril, se contente d’apporter son “soutien” à la mobilisation étudiante mais refuse d’appeler à la grève générale malgré le succès des journées de grève interprofessionnelle et de manifestations des 28 mars et 4 avril. Elle refuse même d’appeler à la grève et à la manifestation le 11 avril, date de la nouvelle journée d’action étudiante et lycéenne. En revanche, elle rencontre les parlementaires et ministres UMP sur la seule base du retrait du CPE, et laisse au gouvernement un délai de 12 jours (jusqu’au 17 avril) soit le cœur des vacances scolaires. Par là, elle prend le risque et la responsabilité d’isoler les étudiants et lycéens et de laisser le mouvement s’essouffler. Les directions syndicales invitent les salariés de GDF à se mobiliser de manière isolée, le 11 avril ; il faut au contraire unifier les étudiants, lycéens et salariés, par la grève et la manifestation tous ensemble. L’AG rappelle sa double revendication : abrogation des ordonnances sur le CNE ; abrogation de TOUTE la loi dite sur “l’égalité des chances”. L’AG appelle les directions syndicales à rompre les négociations avec le Parlement et réaffirme que seule la grève générale des étudiants, lycéens et salariés permettra la satisfaction de cette revendication. Elle s’adresse aux directions syndicales pour qu’elles y appellent. » Cette motion a été adoptée à l’unanimité moins une abstention.

Il a également été décidé d’aller voir les personnels de la fac, mais aussi les salariés des établissements et entreprises pour discuter de la perspective de la grève générale. La proposition de se rendre au siège des directions syndicales sur la base de nos motions a également été adoptée. Enfin, l’AG m’a mandatée pour la représenter à la Coordination nationale de Lyon les 8-9 avril (sur celle-ci et mon intervention en son sein, cf. l’article général de N. Pradier L. Wolfgang sur les Coordinations nationales).

Le 10 avril, l’AG, une fois de plus très nombreuse, assiste en direct à la déclaration de Villepin annonçant le « remplacement » du CPE. La détermination des étudiants n’en est que plus grande. Je soumets au vote cette motion : « Suite aux déclarations de Dominique de Villepin ce lundi 10 avril, la priorité est et demeure de généraliser la grève, et donc d’aller discuter avec les travailleurs et les syndicats de salariés de la perspective de la grève générale. Nous soutiendrons toutes les revendications des salariés en lutte. Nous n’accepterons pas le remplacement du CPE par un CPE bis. Pour obtenir satisfaction sur notre double revendication, abrogation de TOUTE la loi dite sur “l’égalité des chances” et abrogation des ordonnances sur le CNE, le seul moyen est la grève générale. Nous appelons les directions syndicales à rompre immédiatement toute négociation et à appeler à la grève générale jusqu’à satisfaction. Cette victoire sera un point d’appui pour d’autres victoires sur d’autres revendications. » Elle est adoptée à l’unanimité moins une dizaine d’abstentions et six contre ; la militante de l’UNEF, qui a proposé un amendement remplaçant « négocier » par « discuter » (quatre voix pour seulement…) s’abstient. Un amendement est ajouté, voté à l’unanimité moins quelques voix : « Démission du gouvernement ! » Le blocage et la grève sont alors reconduits à une écrasante majorité.

Comme partout ailleurs, le reflux commence après l’échec des manifestations du 11 avril. L’AG suivante est beaucoup plus hésitante. Les STAPS votent la levée du blocage. L’UFR de Lettres et sciences humaines le reconduit, mais à une très faible majorité. Puis les vacances commencent…

L.

Bilan du mouvement et de l’intervention CRI à l’École normale supérieure (Paris)

La mobilisation sur le site principal de l’École Normale Supérieure (45, rue d’Ulm) a commencé le 7 mars par une Assemblée Générale à l’appel du « Collectif jeunes chercheurs » et des sections PS, PCF, CGT et FO de l’ENS. Cette première AG a rassemblé une cinquantaine de personnes, les suivantes ayant une affluence comparable, mise à part celle suivant le blocage temporaire de l’ENS le 4 avril qui a rassemblé environ 150 personnes. Cette faible affluence lors des AG (ce site de l’ENS compte environ 500 étudiants et 2000 enseignants, chercheurs et personnels IATOSS) est due en grande partie à la situation particulière de l’ENS, dont les élèves sont privilégiés (fonctionnaires-stagiaires) et issus de milieux favorisés : ils ne craignent donc pas la précarité. Quant à ceux qui se sont mobilisés, beaucoup ont préféré intervenir en priorité sur leur université, puisque la majorité des étudiants de l’ENS suivent des cours à la fois dans l’établissement et dans d’autres facultés parisiennes. Enfin, les forces n’ont pas été suffisantes pour bloquer l’École (le blocage partiel du 4 avril a donné lieu à un affrontement et a été levé physiquement par les militants de l’UMP et autres « anti-bloqueurs »), ce qui a empêché la mise en marche d’une dynamique comparable à celle des universités. En ce qui concerne les personnels, si la majorité était contre le CPE, seule une partie ont fait grève les jours de grève interprofessionnelle (28 mars et 4 avril), sans que cela soit massif, surtout chez les personnels ouvriers.

La plate-forme revendicative intégrait non seulement l’exigence de retrait du CPE, de la LEC et du CNE, mais aussi celle d’abrogation du « pacte sur la recherche » et de la réforme LMD, ainsi que l’opposition à toute précarité, le refus de toute discrimination entre les travailleurs et le soutien aux mobilisations des précaires et des sans-papiers. La perspective de la « grève interprofessionnelle reconductible jusqu’à la victoire » a été adoptée —  le mot d’ordre de « grève générale jusqu’à la victoire » ayant été rejeté sous l’influence du PS et du PCF.

La section PS, qui revendique une trentaine d’adhérents mais qui n’en a mobilisé qu’une poignée, a agi conformément à la politique de son parti, c’est-à-dire uniquement dans une perspective de « mobilisation pour la mobilisation », s’opposant tout particulièrement au blocage, évitant soigneusement toute décision un peu plus radicale que la confection d’une banderole et la participation aux manifestations… En ce qui concerne les revendications, elle a tout fait pour les restreindre au CPE, acceptant de demander le retrait du CNE, mais se battant notamment contre l’exigence de retrait du LMD ou de régularisation de tous les sans-papiers. Les trois militants du PCF, les membres de la CGT et le militant d’Alternative libertaire se sont beaucoup plus investis et ont été plus avancés que ceux du PS en ce qui concerne les actions et les revendications, mais ils se sont toujours opposés frontalement à toute dénonciation des directions syndicales et à l’exigence qu’elles appellent à la grève générale. En revanche, les militants de la section FO ont soutenu cette orientation.

Dès le début de la mobilisation, l’intervention des deux militants du Groupe CRI s’est construite autour de deux axes : d’une part, nous avons participé activement à la mobilisation locale à l’ENS et dans le quartier (dans la limite de ce que permettait notre intervention parallèle dans nos autres établissements respectifs) ; d’autre part, nous avons insisté sur la nécessité de la grève générale pour gagner et dénoncé, à chaque étape, la trahison des directions syndicales, proposant des perspectives politiques pour les mettre devant leur responsabilité.

Concernant le travail local, nous avons constamment cherché à discuter individuellement avec les travailleurs et étudiants de l’ENS pour les sensibiliser et les convaincre de rejoindre la lutte. Nous avons proposé dès les premières AG la création d’une caisse de grève pour aider financièrement les travailleurs les plus pauvres à faire grève. Nous avons proposé dès les premières AG l’objectif du blocage de l’ENS, qui impliquait cependant la mobilisation d’un nombre plus important d’étudiants et de travailleurs. Enfin, nous avons proposé et participé à des actions en direction des agents RATP d’un dépôt de bus dans le quartier.

En ce qui concerne l’orientation politique, nous nous sommes battus pour intégrer l’exigence de retrait du LMD et de régularisation des sans-papiers dans la plate-forme de revendications, qu’il n’a cependant pas été possible d’étendre davantage. À chaque étape du mouvement, nous avons constamment cherché à provoquer des débats politiques de fond et à proposer des perspectives de lutte à une échelle globale. Ainsi, dès les premières AG, nous avons proposé des motions exigeant que les directions syndicales appellent à la grève générale. Le noyau des étudiants et travailleurs les plus mobilisés voulaient privilégié le combat au plan local, sans bien voir tout d’abord les rapports de force au niveau national et notamment le rôle traître des directions syndicales et des partis de « gauche ». Nos motions ont donc d’abord été largement rejetées pendant trois semaines, mais nous avons persévéré en expliquant AG après AG ce qui nous semblait être les enjeux fondamentaux du mouvement.

Elles ont cependant recueilli de plus en plus de voix au fur et à mesure que la perspective de la grève générale devenait plus urgente et que la trahison des directions syndicales apparaissait plus clairement aux yeux de tous. Et finalement, à l’AG du 31 mars, après le succès historique de la manifestation du 28 et le scandale de l’intersyndicale du 29, notre motion exigeant que les directions syndicales appellent enfin à la grève générale et proposant un regroupement massif d’étudiants et de travailleurs devant le siège de l’intersyndicale pour appuyer cette demande a été adoptée à une large majorité, malgré l’opposition du PS, du PCF, de la CGT et d’Alternative libertaire. Cette motion a ensuite été intégrée au mandat des délégués de l’ENS, dont l’un de nous, pour la Coordination nationale du 1er avril à Lille.

Cette compréhension de plus en claire du rôle à la fois décisif et traître des appareils syndicaux s’est confirmée à l’AG du 7 avril, où notre proposition de motion condamnant la décision des directions syndicales de saboter la mobilisation pour aller négocier avec les parlementaires a été largement adoptée, confirmant l’isolement du PS et du PCF qui ont tenté jusqu’au bout de protéger l’Intersyndicale nationale. En même temps, beaucoup des étudiants et travailleurs mobilisés ont compris l’importance des syndicats pour lutter, le rôle des sections CGT et FO dans la mobilisation locale ayant été important : la question d’une syndicalisation massive a été soumise au débat, soulevant immédiatement le problème de la division syndicale et la nécessité de poursuivre tous ensemble le combat.

L. et Q.

Témoignage sur le mouvement à l’Université de Jussieu

La mobilisation à Jussieu (Paris-VI et Paris-VII) a débuté le 27 février. Les AG étudiantes se sont réunies trois fois par semaine, regroupant en général autour d’un millier de participants. La principale force organisée est la tendance « tous ensemble » de l’UNEF, dirigée par les JCR. Les autres militants viennent de l’UNEF tendance PS, de la CNT, de LO et du PT (mais ces derniers ne mettent pas en avant leur organisation). Mais de nombreux étudiants non organisés ont été également très actifs dans la mobilisation. Il y a eu d’ailleurs une certaine méfiance dans les AG à l’égard des organisations syndicales et politiques : il était de bon ton de se déclarer « non-syndiqué, non-organisé » pour se faire élire dans les délégations.

La plate-forme revendicative locale comprenait, outre le retrait de la LEC et du CNE, le rétablissement des postes aux concours de l’enseignement et le retrait du Pacte pour la recherche. Le blocage du campus (piquets de grève laissant passer les personnels) a été reconduit par le vote des AG tout au long du mouvement. Très vite, il a été compris que la mobilisation devait s’étendre au-delà des étudiants pour l’emporter ; cela s’est traduit à la fois par la distribution de tracts aux salariés dans les gares, et par des motions votées en AG se prononçant pour l’objectif de la grève générale, avec exigence que les directions syndicales y appellent. L’ambiguïté a cependant été entretenue entre « grève générale » et « grève reconductible », notamment à cause des JCR. C’est ainsi que le mandat de la délégation de Jussieu à la Coordination nationale de Dijon se prononçait pour que « la Coordination nationale appelle les syndicats à lancer une grève reconductible (grève générale) ».

Parallèlement aux AG étudiantes se sont réunies, avec une fréquence moindre, des AG de personnels de l’Université, où les enseignants étaient très minoritaires et la CGT hégémonique. Ces AG ont cependant réuni environ 300 personnes, largement au-delà des syndiqués. La grève a été décidée et reconduite d’AG en AG, au-delà des propositions des dirigeants de la CGT et des militants de LO qui, quant à eux, privilégiaient les journées d’action présentées comme « temps forts » du mouvement…

F.

Témoignage sur le mouvement et intervention CRI à Nancy

La mobilisation est partie de la fac de Lettres de l’Université de Nancy-II. Les militants de l’UNEF (localement dirigée par le PS, tendance PRS de Mélenchon), de la CNT, de la LCR et du Club République Sociale appellent à des AG de plus en plus nombreuses. Le 7 mars, le blocage et l’occupation de la fac sont votés par une AG de 200 à 600 personnes, selon les estimations. Un comité de grève regroupant tous ceux qui veulent y participer est mis en place : il se réunit tous les soirs de 19 à 21 h. L’effort des grévistes se porte d’abord sur l’extension du mouvement aux autres établissements d’enseignement supérieur : fac de droit de Nancy-II, Université de Nancy-I (sciences), IRTS, École des Beaux-Arts, IUT, École d’architecture. Pendant que les militants des autres organisations se dépensent sans compter pour étendre la grève, ceux du PS en profitent pour faire voter des points importants, comme l’élection des délégués à la coordination nationale… Au début, la mobilisation de la fac de lettres est fort peu démocratique : au comité de grève, quelques militants s’approprient la tribune et la discussion se déroule sans ordre du jour ni tours de parole. Cela semble ne choquer personne. Pourtant l’auto-organisation et la démocratie sont vitales pour qu’une lutte puisse développer toutes ses possibilités. N’étant pas étudiant, mais professeur de lycée, j’hésite à intervenir directement, mais je m’adresse en aparté aux militants du Club République Sociale, de la LCR et de la CNT, qui hésitent à remettre en cause ce fonctionnement par peur de briser « l’unité ». Le résultat ne se fait pas attendre : dès la prochaine réunion du comité, la tribune est élue, un ordre du jour soumis au vote et des tours de parole pris. Ces changements se répercutent en AG.

Dans mon lycée, une première réunion est convoqué le 6 mars par le SNES, dont je suis adhérent. Il n’y a que six participants sur un peu plus de 100 profs, mais tous sont mécontents du refus du SNES d’appeler nationalement à la grève pour le 7 mars et tous sont d’accord pour critiquer les journées d’action et pour demander au SNES et à la FSU 54 de réunir une AG départementale pour éviter l’isolement établissement par établissement. Le pourcentage de grévistes le 7 mars est plutôt faible et le cortège de la FSU dans la manif départementale à Nancy ridicule. La manif rassemble environ 5000 personnes, pour moitié salarié et pour moitié étudiants et lycéens.

Entre le 7 et le 16 mars, rien du côté de la FSU, mais les lycéens commencent à s’organiser. Malheureusement, c’est le PS, courant PRS, qui met la main sur le mouvement lycéen dans la région, ce qui va en limiter les possibilités. Prétextant que pour assurer leur « autonomie », seuls des lycéens doivent pouvoir assister à la coordination lycéenne, PRS exclut de fait les autres courants politiques, qui n’ont pas de militants lycéens. Ce courant n’a pas non plus de militants lycéens, mais quelques élèves de classes préparatoires, qui sont l’équivalent d’étudiants et n’ont pas de mal à mettre les lycéens sous la coupe de PRS : voilà pour l’ « autonomie » des lycéens. PRS ne cesse de parler d’autonomie et de démocratie, mais le fonctionnement est peu démocratique : la tribune n’est pas élue, les militants de PRS se gardent bien de dire que les AG de chaque lycée sont souveraines et peuvent donc enrichir ou réduire la plate-forme de revendications, qui est au contraire présentée comme intangible... au nom de « l’unité ». Les lycéens, volontaires mais peu expérimentés, reproduisent jusqu’à la caricature ce type de fonctionnement dans les AG de leur lycée. Ces AG se limitent à une brève présentation du CPE, à la présentation des lycéens les plus investis pour se faire élire à la coordination lycéenne départementale et à une mini-discussion sur les modalités d’action : cela ne permet pas de poser les question politiques même simples : pourquoi le CPE ? Pourquoi cette plate-forme limitée ? Par quelles méthodes peut-on gagner, alors que le mouvement lycéens a été vaincu en 2005 ? Cela ne permet pas non plus d’impliquer plus profondément les autres lycéens, encore moins d’en faire des agitateurs efficaces dans leur classe pour étendre la grève. Ce n’est que bien plus tard qu’un travail d’extension vers les autres établissements secondaires era décidé et partiellement réalisé.

Cependant, la mobilisation s’installe. Cela rend la bureaucratie nerveuse : pourra-t-elle contrôler la situation jusqu’au bout ? Dans la matinée du 16 mars, le secrétaire-adjoint de la FSU 54, militant du PS tendance NPS, professeur dans mon lycée, se montre plutôt agressif à mon encontre : il m’accuse d’être un partisan de Staline et Mao (comme si les révolutionnaires et les bureaucrates, les trotskystes et leurs assassins, c’était la même chose !), ajoute qu’il préfère un gouvernement de droite à Staline et Mao et conclut que « le communisme, c’est les camps de concentration » (sic !). Bref, j’ai affaire à un fieffé bureaucrate !

Une réunion a lieu le midi : il y a vingt et un présents, soit 15 % du total des profs du lycée et environ 30 % de ceux ayant cours ce jour. C’est un militant par ailleurs membre du BN du SNES et de la tendance École Émancipée, qui introduit : il préconise de faire grève le 23 mars, mais une grève interprofessionnelle. Il explique qu’il faut essayer de convaincre la CGT et la CFDT d’y appeler, mais ils ne veulent pas, ces méchants, alors que la FSU le leur propose… Les interventions des collègues sont plutôt déterminées, signe des possibilités que la puissance de la grève étudiante est en train d’ouvrir. L’un d’eux suggère même que l’on se mette en grève immédiatement. Je propose une motion avec une plate-forme de revendications incluant, outre le retrait du CPE, CNE, de la LEC, la titularisation de tous les précaires de l’éducation, le retrait de la loi Fillon, la hausse des bas et moyens salaires et un appel aux directions syndicales pour qu’elles rompent avec la tactique des journées d’actions et appellent à la grève générale jusqu’à la victoire. Le dirigeant École Émancipée qui préside la réunion répond qu’il est pour la grève générale mais que cela ne lui semble pas réaliste. Diverses nuances s’expriment par rapport à mon texte, mais aucune opposition fondamentale. Cependant, le dirigeant ne soumet même pas la motion au vote ! Comment comprendre que le militant d’une tendance qui se veut révolutionnaire ne respecte même pas les règles élémentaires de la démocratie syndicale ? Mais cela ne choque pas la plupart des collègues, qui ont été visiblement habitués depuis des années sur le lycée à des réunions peu démocratiques, sans motions concurrentes et sans vote sur quoi que ce soit. De plus, la défaite de 2003, dont les profs n’ont dans l’ensemble pas compris qu’elle incombait aux directions syndicales et non à la base qui a combattu, pèse lourd sur l’attitude des collègues. La réunion se termine dans le désordre suite à l’intervention d’un prof favorable au CPE, venu faire un peu de provocation, avec un franc succès puisque chacun veut lui répondre… Bref, la situation reste contrôlée par les bureaucrates.

La manifestation de l’après-midi est impressionnante : 12 000 personnes, étudiants et lycéens, des cortèges dynamiques, avançant en rang serrées, criant à tue-tête leurs slogans, malgré le froid et une pluie abondante. Deux jours après, le samedi 18 mars, la manifestation réunit environ 18 000 personnes d’après les organisateurs, dans une ambiance de « manif dominicale », très calme : la CGT semble avoir peu mobilisé, le cortège de la CFDT est relativement nombreux, celui de l’Unsa pas ridicule et celui du PS important ; en revanche, le cortège de la FSU est minuscule, beaucoup plus petit que celui de la CNT qui ferme la marche.

Le soir du 18, les directions réunies à Paris décident de ne rien décider. Du coup, la réunion prévue le lundi matin sur l’heure d’information syndicale, tombe un peu à plat : les dirigeants du SNES (dans l’unité de la tendance Unité et action et de la tendance École émancipée) attaque mon intervention en disant que, si les collègues ne font pas grève parce qu’il n’y a pas d’appel des confédérations à la grève générale jusqu’à la victoire, mais parce qu’ils ne veulent pas ; selon eux, ceux qui disent qu’ils feraient grève si... ne sont que des faux-culs ; la preuve : il n’y a que 13 présents sur 45 profs commençant à 8 h.

Les profs visés leur donneront une réponse claire et nette, non en paroles mais en acte, en faisant grève à plus de 50 % le mardi suivant, 28 mars, lorsque les confédérations leur donneront le sentiment de vouloir lutter sérieusement, en appelant à une journée d’action qui, même si elle n’en porte pas le nom, est perçue comme une journée de grève interprofessionnelle. La veille, les élèves de mon lycée ont mis en place un piquet de grève dès 3 h du matin. Les plus mobilisés se relaient pour le tenir. Des voisins, solidaires du mouvement, leur apportent à manger.

La manifestation du 28 mars est une déferlante : entre 40 000 et 50 000 manifestants, dont plus de la moitié de salariés. Je discute avec de nombreux manifestants, notamment des salariés de la Connex, qui ont fait trois semaines de grève en novembre dernier et sont très déterminés ; ils scandent : « grève générale jusqu’au retrait total, grève générale contre le capital ! »

Le lendemain, sur ordre du gouvernement, l’inspection académique commence à faire pression pour débloquer le lycée. Le proviseur juge le blocage illégitime et demande un vote à bulletins secrets. Les lycéens acceptent. Les urnes sont fournies par la députée du coin, Nadine Morano, une sarkozyste de choc qui, en janvier, distribuait des tracts devant le lycée pour vanter les mérites du CPE… Des assesseurs de chaque camp sont désignés et le tout surveillé par l’administration. Le résultat est net : 2/3 pour le blocage, 1/3 contre, avec 480 votants sur 600 élèves ayant cours de jour-là. Le proviseur estime alors que ce vote n’est pas légitime, car tous les élèves du lycée (qui en compte 1100 au total) n’étaient pas présents !

L’inspection académique menace de faire intervenir la police, pendant que le proviseur et son adjoint se planquaient, en disant qu’ils ne sont responsables de rien... En salle des profs, atmosphère plutôt morose. J’essaie une intervention en partant des données politiques générales après les manifs d’hier ; je suis contré tout de suite par le chef de la FSU. J’essaie d’obtenir un vote sur le principe que les profs fassent un cordon devant le lycée en cas d’intervention des CRS, mais le chef de la FSU s’y oppose au prétexte qu’il ne faudrait pas voter pour ne pas créer de clivage entre les profs ! Finalement, un lycéen me met au courant que l’intervention policière va bientôt avoir lieu. J’invite tous les collègues à descendre : ils viennent en masse devant le lycée, acclamé par les élèves. Le bureaucrate de la FSU nous fait un discours de bureaucrate sur le mouvement unitaire et responsable, etc. Des voitures de police passent et repassent, à titre d’intimidation. La maire PS de Toul entre en scène, avec son écharpe tricolore pour aller « négocier » avec la police. L’intervention semble remise à plus tard. Mais l’essentiel est en train de passer : les lycéens sont soumis à une pression à laquelle leur manque d’expérience et de clarté politique ne leur permet pas de résister, d’autant plus que les blocages ont été levés dans les autres lycées de l’académie. Le jeudi, suite à des incidents provoqués par les anti-grévistes, qui forcent le piquet avec la complicité de l’administration, les élèves bloqueurs acceptent le barrage filtrant : cela signifie la mort de la grève, qui continuera de vivoter encore deux jours avant que tout ne rentre dans l’ordre.

Cependant, le 4 avril est une nouvelle déferlante. La manif se termine par un meeting pour lequel l’Union Syndicale Solidaires prête son camion et sa sono. La prise de parole est libre. Les interventions de militants de Solidaires, de la CNT, de la LCR et d’individus se succèdent devant environ 1000 personnes. J’interviens au nom du Groupe CRI sur notre orientation.

Le lendemain, dans le cadre de la multiplication d’ « actions » coups de poing des plus mobilisés pour tenter d’imposer l’extension de la grève, un blocage du centre de tri postal est organisé, en liaison avec les militants du Sud-PTT. Cette action, qui n’a pas été décidée par les postiers du centre eux-mêmes, est brutalement réprimée ; le sang-froid des militants permet d’éviter de tomber dans le panneau des provocateurs infiltrés qui cherchent à susciter des actes violents pour justifier une répression plus large ; au total, après repli sur la fac de lettres, 5 manifestants sont arrêtés.

Après l’annonce du retrait du CPE par Chirac et Villepin, l’AG de la fac de lettres vote à la majorité l’arrêt du blocage. La fac de lettres a été le fer de lance du mouvement : cela signifie que le reflux est engagé. Une nouvelle AG se tient cependant le 13 avril. Je propose d’ajouter deux points à la plate-forme de revendication : a) suppression de tous les contrats précaires ; b) répartition des heures de travail entre tous sans baisse de salaire ni flexibilité pour mettre fin au chômage. En ce qui concerne le mandat pour la coordination nationale, qui doit se tenir à Nancy le week-end suivant, je propose des motions synthétisant notre orientation. Le militant de la LCR, délégué le mieux élu pour la coordination nationale, ne dira rien sur mes motions, se bornant à dire qu’il est pour un mandat semi-impératif. Un membre du BN de l’UNEF intervient violemment contre mes motions. Elles sont néanmoins adoptées à une courte majorité (330 pour, 300 contre, 90 abstentions). Les étudiants les plus mobilisés et les sympathisants de la CNT votent pour, mais les anti-grève sont désormais très nombreux dans l’AG, signe que le mouvement se termine…

St.


Le CRI des Travailleurs n°22     << Article précédent | Article suivant >>