Le CRI des Travailleurs
n°25
(janvier-février 2007)

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Éditorial : notre campagne


Auteur(s) :Ludovic Wolfgang
Date :18 janvier 2007
Mot(s)-clé(s) :France, élections-2007
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Pour la lutte de classe

En ce début d’année 2007, l’atonie de la lutte de classe ouverte, que nous remarquions et tentions d’expliquer en ouverture de notre précédent numéro, tend à devenir véritable léthargie.

Malgré la sympathie qu’elle a rencontrée dans l’opinion, la mobilisation de Noël pour l’hébergement des sans-logis et pour le prétendu « droit au logement opposable » apparaît plus comme un coup médiatique piloté par d’hypocrites valets des politiciens que comme une véritable mobilisation autonome des sans-logis, des sans domicile fixe et des mal-logés ; celle-ci exige en fait une lutte d’ensemble de la classe ouvrière, mais ni les directions syndicales, ni les partis de gauche, voire d’extrême gauche, ne se battent dans ce but : il revient donc aux communistes révolutionnaires de le défendre (lire l’article de Frédéric Traille).

De son côté, la lutte des enseignants du secondaire contre les décrets de Robien a la capacité de s’amplifier (la grève du 18 décembre, imposée par la pression de la base, a été un succès et de nombreux enseignants et syndicalistes de lutte se battent pour enclencher un véritable mouvement), mais les principales directions syndicales font tout pour que ce ne soit pas le cas : elles refusent de se battre pour préparer et construire la grève jusqu’au retrait, alors que la victoire d’une telle orientation serait possible au moment où le gouvernement ne peut pas prendre le risque d’un conflit majeur dans le pays. Au lieu de se battre pour gagner, les principales directions syndicales appellent à une nouvelle « journée d’action » sans lendemain le 20 janvier et, au lieu de se concentrer sur le combat contre de Robien, elles dérivent l’objectif de la mobilisation vers une prétendue « interpellation des candidats à la présidentielle » — selon les termes du SNES, syndicat majoritaire. C’est pourquoi les militants syndicaux lutte de classe de l’enseignement ont à se battre pour aider leurs collègues à se frayer le chemin de la grève jusqu’au retrait des décrets de Robien et contre toute nouvelle suppression de postes (lire les déclarations et tracts du CILCA reproduits dans ce journal, ainsi que les documents syndicaux progressistes que nous reproduisons).

Quant aux directions des confédérations, après avoir passé l’automne à soutenir le projet de loi Chirac-Borloo sur le prétendu « dialogue social » et à rencontrer le MEDEF dans le cadre de tables rondes visant à préparer les contre-réformes du prochain gouvernement (qu’il soit de droite ou de gauche), elles ont terminé l’année en participant à la conférence sur l’emploi et les revenus convoquée par Villepin ; elles ont ainsi cautionné une nouvelle opération de concertation visant à les soumettre aux analyses et projets du gouvernement, même si la mise sur la touche du Premier ministre les a obligées à se montrer réservées à l’égard de ses propositions. Aujourd’hui, au lieu de se consacrer à un travail de syndicalisation, d’information sur les projets en cours de contre-réformes et de préparation des travailleurs aux luttes à venir, qui requièrent une orientation de lutte de classe résolue, les directions des confédérations se subordonnent elles aussi aux échéances électorales en se consacrant avant tout à la promotion auprès des candidats de leurs projets respectifs de « sécurité sociale professionnelle ». Or, au-delà de leurs différentes variantes, ces projets rejoignent en fait ceux du patronat, des économistes bourgeois et des politiciens de l’UMP, du PS et du PCF : tout en s’appuyant sur des aspirations profondes des travailleurs et des chômeurs, ce sont en réalité des armes de guerre contre les acquis existants, dans la mesure où ils s’inscrivent dans le cadre du capitalisme et visent expressément à accorder une plus grande « liberté » aux patrons, sous prétexte de donner en échange plus de « sécurité » aux salariés. Il est donc nécessaire de combattre ces projets, notamment à l’intérieur de la CGT (on lira ci-dessous l’analyse et les propositions du CILCA à ce sujet).

Contre le néo-réformisme « anti-libéral », flanc-garde du PS bourgeois

Dans cette situation politique générale, la grande majorité des militants du mouvement ouvrier se concentre, à l’appel de leurs directions respectives, sur la question des élections, chacun derrière son « champion » ou sa championne de gauche ou d’extrême gauche. Pourtant, aucune des forces en présence ne mène à ce jour de campagne véritablement porteuse d’une alternative de classe, d’un programme anti-capitaliste cohérent et conséquent, capable de nourrir ou de préparer les luttes des travailleurs en leur proposant des perspectives.

Or, si ces forces en avaient la volonté politique, la situation se prêterait plus que jamais à une telle campagne : la large majorité de voix obtenue par Ségolène Royal lors de la consultation interne au PS et l’échec total de la candidature d’un Fabius reconverti en représentant de « gauche » de ce parti, confirment une nouvelle fois, de manière spectaculaire, la rupture de celui-ci avec ce qu’il pouvait lui rester de tradition ouvrière réformiste. (C’est l’occasion pour nous de revenir de manière détaillée sur la nature bourgeoise jusqu’à la moelle du PS, analogue au parti démocrate américain : lire l’article de Nina Pradier.)

De fait, l’explosion finale des « collectifs unitaires anti-libéraux » confirme l’impasse d’une orientation qui s’oppose à la politique de la droite et au « social-libéralisme », mais refuse toute perspective de rupture avec le capitalisme et notamment avec le PS, même après la désignation de la très réactionnaire Ségolène Royal. Il pourrait en effet sembler étonnant que ces collectifs et les différentes forces politiques qui les animaient n’aient pas réussi à s’entendre sur une question aussi secondaire que le nom de leur candidat à la présidentielle, alors qu’ils étaient d’accord sur le fond — tant sur l’orientation que sur la stratégie d’alliance avec le PS au second tour des élections et au Parlement. Mais en fait l’issue pitoyable de leur prétendue « élan unitaire » était inscrite nécessairement dans cette orientation elle-même, dans cet « antilibéralisme » qui n’est rien d’autre qu’un néo-réformisme adapté à l’époque des contre-réformes : à partir du moment où ce cartel de forces politiques disparates avait en commun de ne pas vouloir rompre avec le capitalisme (cf. à ce sujet l’article de Gaston Lefranc), leurs choix ne pouvaient être déterminés que par des logiques d’appareils matériellement dépendants du système.

D’un point de vue démocratique formel, et quelle que soit la sincérité de certains militants aspirant à « faire de la politique autrement », c’est surtout la mauvaise foi de petits bourgeois et de petits appareillons sans base sociale qui explique la contestation de l’évidente légitimité accordée par la majorité absolue des 700 collectifs à la candidature de Marie-George Buffet. Mais, plus profondément, dans l’exacte mesure où eux-mêmes ne voulaient pas non plus rompre complètement avec le PS, les ci-devant partenaires du PCF ne pouvaient pas l’empêcher de peser de tout son poids dans les collectifs où il était de loin la force principale (sans compter la majorité de ses 93 978 adhérents qui n’ont pas participé aux collectifs (1)). Or, quelles que soient les aspirations unitaires, voire anti-capitalistes dans certains cas, de ses militants, le PCF ne pouvait que subordonner ses choix à l’objectif fondamental qui a en fait toujours été le sien en tant que parti ouvrier réformiste depuis sa stalinisation achevée à la fin des années 1920 : préserver coûte que coûte son appareil, notamment ses élus — hier au service de la politique contre-révolutionnaire de Staline et de ses successeurs, aujourd’hui au service du capitalisme français et de son État, comme tous les réformistes. Sauf qu’aujourd’hui, le déclin du PCF fait que cet objectif passe par sa subordination directe au PS.

C’est pourquoi, après avoir mis l’accent, pendant des mois, sur sa critique du « social-libéralisme » et mis de côté la question d’une participation à un éventuel gouvernement PS, le PC affiche clairement la couleur depuis l’explosion des collectifs et le lancement de sa campagne : désormais, il n’a plus la préoccupation de séduire les militants les plus anti-capitalistes des collectifs et de ses propres rangs. C’est ainsi que, dans sa résolution du 4 janvier, le Conseil national affirme qu’il s’agit non seulement de « battre la droite », mais aussi de « construire une majorité de gouvernement à gauche » ; le texte a beau préciser ensuite que « la candidature de Marie-George Buffet (…) vise à permettre la constitution d’une majorité et d’un gouvernement déterminé à mettre en œuvre une politique rompant franchement avec les logiques libérales imposées à notre peuple depuis si longtemps », les choses sont claires : pour montrer sa bonne volonté au PS et obtenir de sa part l’octroi d’un nombre convenable de circonscriptions gagnables, le PCF n’hésite plus à annoncer ouvertement, au prix de quelques requêtes plus ou moins vagues destinées à faire avaler la pilule, sa disponibilité pour participer le cas échéant à un gouvernement dirigé par Ségolène Royal.

Pour l’unité des forces qui se réclament de l’anti-capitalisme sur la base d’un programme anti-capitaliste cohérent et conséquent

Les campagnes électorales offrent une occasion particulièrement propice pour faire connaître massivement le programme du communisme révolutionnaire. De fait, dans la situation présente, l’aspiration au changement des électeurs et l’importance qu’accordent les principales forces politiques, syndicales et médiatiques du pays aux échéances électorales, entraînent indéniablement un certain intérêt des travailleurs et des jeunes pour la politique, en tout cas une plus grande attention qu’en temps normal aux discours politiques. C’est pourquoi les communistes révolutionnaires ne peuvent pas rester indifférents à ces élections, même si elles ne changeront évidemment rien en elles-mêmes à la politique qu’impose la bourgeoisie aux travailleurs par l’intermédiaire de son État, quelle que soit la couleur du gouvernement.

Une véritable campagne communiste révolutionnaire doit servir à dénoncer le capitalisme et les forces qui le défendent ouvertement (UMP, UDF, PS…) ou hypocritement (PCF, principales directions syndicales…), à mettre en avant les revendications immédiates des travailleurs et des jeunes, mais aussi à montrer que la satisfaction de celles-ci nécessite une lutte de classe aboutissant à un gouvernement des travailleurs, par les travailleurs et pour les travailleurs eux-mêmes. Car seul un tel gouvernement serait capable d’imposer un véritable « plan d’urgence », en commençant par exproprier sans indemnités ni rachats les grands groupes capitalistes et en commençant à substituer à l’appareil d’État actuel un État démocratique des travailleurs auto-organisés. Telle est la méthode trotskyste du programme révolutionnaire de transition, qui n’a rien d’une ligne déclamatoire abstraite, mais pose les questions politiques dans leur véritable dimension : celle d’une perspective historique, irréductible aux luttes immédiates et à plus forte raison aux échéances électorales.

Malheureusement, aucune des organisations qui se présentent aux élections de 2007 ne profitent de la campagne pour populariser un tel programme et une telle perspective. Pourtant, le choix ouvertement capitaliste libéral du PS et la vassalisation du PCF au premier étant désormais connus et définitifs laissent un grand espace vacant pour une telle orientation, qui aurait en outre pu être portée en commun par les forces qui se réclament de l’anti-capitalisme, à commencer par la LCR et LO, voire le PT. Mais chacun de ces trois partis s’est lancé tête baissée dans sa propre campagne, sans la moindre perspective sérieuse à proposer pour la classe ouvrière, puisque aucun ne met en avant un véritable programme anti-capitaliste cohérent et conséquent. S’ils se réclament des travailleurs, dénoncent le système capitaliste et mettent en avant un certain nombre de revendications en elles-mêmes justes, LO et la LCR ne le font que d’un point de vue réformiste, refusant de poser l’objectif fondamental de la rupture avec le capitalisme et de la conquête du pouvoir par les travailleurs eux-mêmes ; quant au PT, il a créé de toutes pièces un prétendu « candidat des maires », Gérard Schivardi, qui défend certaines revendications des travailleurs et l’exigence de rupture avec l’Union européenne, mais qui ne le fait même pas d’un point de vue réformiste : il ne se réclame pas de la classe ouvrière, ne dénonce pas le capitalisme et mène avec le PT une campagne petite-bourgeoise, nationaliste et réactionnaire. (Cf. ci-après nos articles respectivement consacrés à ces trois organisations d’« extrême gauche » présentes dans la campagne.)

C’est pourquoi le Groupe CRI continuera de combattre jusqu’aux élections pour un tel programme et pour que les organisations qui se réclament de l’anti-capitalisme, tout particulièrement LO et la LCR, le défendent ensemble par une campagne unitaire. Au demeurant, cette orientation nécessaire pour des raisons stratégiques, reste justifiée aussi tactiquement tant que la question des législatives n’est pas réglée par ces organisations, voire pour la présidentielle elle-même, puisque O. Besancenot n’est pas du tout sûr d’obtenir les 500 parrainages de maires nécessaires pour se présenter — de sorte que la question d’un appel de la LCR à voter Laguiller se posera peut-être, pouvant alors fournir l’occasion, si les militants des deux organisations l’imposent, d’une ouverture de véritables discussions politiques entre celles-ci.

Certes, face aux principales organisations d’« extrême gauche », le Groupe CRI n’a pas les moyens de sa politique : il n’a pas la force d’aider leurs militants, et plus généralement l’avant-garde des travailleurs et des jeunes, à imposer à leurs directions un changement d’orientation et un engagement dans une campagne unitaire anti-capitaliste. Nous en sommes donc réduits à un travail de conviction auprès des militants individuels, qui n’est d’ailleurs pas sans écho, prouvant que la mise en œuvre à plus grande échelle de notre orientation pourrait faire évoluer les choses…

Mais, au moment d’élections générales dont l’importance relative suscite l’intérêt d’une grande partie des travailleurs et des jeunes, les communistes révolutionnaires ne peuvent être indifférents aux résultats qu’obtiendront les organisations qui se réclament clairement de leurs intérêts spécifiques, qui dénoncent ouvertement le capitalisme et qui défendent des revendications justes, quoique dans une perspective réformiste. Ces organisations sont aujourd’hui LO et la LCR. C’est pourquoi, tout en continuant plus que jamais à critiquer leur orientation réformiste et leur division irresponsable, le Groupe CRI a décidé d’intégrer dans sa campagne l’objectif que LO et la LCR obtiennent un maximum de voix. Dans l’état actuel de la campagne de ces deux organisations pour la présidentielle, il appelle donc les militants lutte de classe, les travailleurs et le jeunes à :

• Faire connaître massivement ses propositions pour une campagne unitaire sur la base d’un programme anti-capitaliste cohérent et conséquent ;

• Voter et faire voter massivement pour O. Besancenot ou A. Laguiller au choix ;

Participer à la fois aux comités de soutien à Laguiller et à Besancenot quand les deux existent dans une ville ou un quartier (ou à celui qui existe quand il n’y en a qu’un), sous réserve qu’il soit possible d’y critiquer l’orientation des deux candidats et notamment d’y présenter, dans le cadre de la discussion, une véritable perspective communiste révolutionnaire.


1) Selon les chiffres qui circulent, les 700 collectifs auraient regroupé environ 20 000 personnes, dont une forte minorité n’était évidemment pas au PCF. Mais, selon un document du PCF rendant compte des résultats du vote interne du 20 décembre — pour le maintien de la candidature de Marie-George Buffet comme candidate des collectifs ou pour un « autre candidat » —, il y avait 93 978 adhérents en droit de voter. Autrement dit, la grande majorité des membres du PCF n’ont pas participé aux collectifs antilibéraux. Du reste, 52 893 adhérents ont participé au vote du 20 décembre (soit 56,28 %), se prononçant pour Marie-George Buffet à 81,07 %. Il est vraisemblable que la grande majorité des 9 808 qui ont voté pour l’option d’un « autre candidat » sont la majorité des militants du PCF investis dans les collectifs.


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