Le CRI des Travailleurs
n°25
(janvier-février 2007)

Derniers articles sur
le site du CILCA

Feed actuellement indisponible

Le CRI des Travailleurs n°25     << Article précédent | Article suivant >>

Sur la campagne du PT : En propulsant la candidature Schivardi, le PT franchit la barrière de classe


Auteur(s) :Ludovic Wolfgang
Date :18 janvier 2007
Mot(s)-clé(s) :PT, élections-2007
Imprimer Version imprimable

Rendant public le 18 novembre 2006 un choix fait en réalité de longue date, la direction du PT a fabriqué de toutes pièces la candidature à la présidentielle de Gérard Schivardi, maire de Mailhac (Aude) et membre du PS de 1975 à 2003. Quel est le programme de celui qui se présente comme « candidat des maires » ?

Un certain nombre de revendications de Schivardi seraient correctes en elles-mêmes…

Bien évidemment, il est juste de vouloir défendre les services publics et des acquis démocratiques comme la laïcité ou l’autonomie des communes, même si cette dernière n’est en fait que très limitée dans le cadre de l’État bourgeois. De ce point de vue, si l’on s’en tient aux revendications mises en avant par Schivardi, une bonne partie semblent correctes :

- Revendications pour la défense de l’école publique et laïque : « réouverture de nos écoles publiques communales », « abrogation des lois anti-laïques », « fonds publics à l’école publique, fonds privés à l’école privée » (communiqué n° 2) ;

- Revendications en défense des services publics : « abroger les directives de privatisations de La Poste », « maintien de services réservés, c’est-à-dire le monopole de la poste, [comme de] tous les services publics : EDF, GDF, SNCF, DDE, les hôpitaux et leurs services (chirurgie, maternités…) etc. » (communiqué n° 7) ;

- Refus de la décentralisation qui « remet en cause l’égalité en droit des citoyens dans la République et aboutit à transférer aux collectivités locales les charges de l’État (…) », ce qui conduit à « privatiser les services transférés de restauration scolaire et d’entretien et à augmenter les impôts. (…) Plus il y a de "décentralisation" et plus l’État nous enlève nos services publics de proximité (poste, école, maternité de proximité, hôpitaux, DDE, perception) » ; et il faut refuser le transfert aux collectivités locales des personnels TOS de l’Éducation et du financement de leurs retraites (communiqué n° 5).

De plus, les revendications mises en avant par Schivardi pour le droit au logement sont correctes : « (L’État) doit prendre la responsabilité de reloger immédiatement les 100 000 personnes à la rue en réquisitionnant notamment les logements vendus par les bailleurs institutionnels. L’État doit :

• stopper la démolition des 350 000 HLM décidée par le plan Borloo, les réhabiliter sans augmentation de loyer, ni de charge ;

• construire massivement des logements HLM ;

• rétablir l’aide à la pierre qui a permis de construire avant 1975 3 millions de HLM et de loger 80 % des familles ouvrières. » Et il faut dénoncer que « les délibérations de nos conseils municipaux visant à interdire les expulsions des familles frappées par la crise soient immédiatement cassées par les préfets ».

Enfin, il serait formellement juste d’exiger l’abrogation du Traité de Maastricht et la rupture avec l’Union européenne s’il s’agissait de dénoncer leur nature capitaliste et la manière dont les États bourgeois nationaux s’en servent comme d’armes de guerre pour briser les acquis du prolétariat.

… si elles n’étaient pas avancées au service d’une orientation nationaliste et réactionnaire

Mais ce n’est nullement cette orientation anti-capitaliste que défend Schivardi. Non seulement, au moment où nous écrivons ces lignes, à la mi-janvier, près de deux mois après le début de sa campagne, Schivardi n’a presque pas parlé de « la défense de toutes les conquêtes sociales, du droit au travail, de la Sécurité sociale » qui est pourtant officiellement inscrite dans son programme : de fait, ces thèmes, et notamment les revendications proprement ouvrières, n’ont presque pas été évoqués dans ses communiqués successifs, publiés sur son site de campagne et dans Informations ouvrières, le journal du PT. Mais surtout, dans toutes les déclarations du candidat propulsé par la direction du PT, la dénonciation de l’Union européenne ne se fait pas au nom des intérêts de la classe ouvrière, mais en défense des « institutions politiques et sociales de la République », c’est-à-dire en défense de l’État bourgeois bien français, qui serait menacé de « disparition » (sic, interview sur France 3 Languedoc-Roussillon, 3 janvier). La politique de l’Union européenne est dénoncée non parce qu’elle est capitaliste, mais parce qu’elle conduirait selon Schivardi au « déclin de la France » (sic bis, communiqué de presse n° 7). Corrélativement, il épargne largement le gouvernement français et ses prédécesseurs, en présentant l’ensemble des attaques dont sont victimes les communes, la laïcité, les services publics, etc., comme des actes de la seule Union européenne dont le gouvernement français serait le valet — alors qu’en réalité celle-ci n’existe naturellement que par la volonté des bourgeoisies européennes, représentées par leurs États nationaux qui se mettent d’accord sur une stratégie et des mesures communes pour briser les acquis des travailleurs et promouvoir au maximum les intérêts des capitalistes.

Patrons et travailleurs :

même combat contre l’Union européenne, pour « la France » ?

Mais Schivardi ne raisonne pas en termes de lutte de classe (pour ne pas parler de socialisme ou même d’anti-capitalisme) : il ne parle même jamais de « classe ouvrière » et de « patronat ». En revanche, il se prononce pour défendre « notre industrie » (lettre aux habitants de Mailhac, 23 novembre), « nos entreprises » (communiqué de presse n° 6 du 23 décembre) ; autrement dit, le candidat fabriqué par le PT nie la question fondamentale de la propriété privée des moyens de production et d’échange et diffuse une idéologie de la communauté d’intérêts entre le travail et le capital. De ce point de vue, que peut valoir sa proposition d’« interdire les suppressions d’emploi et les délocalisations », qu’il n’avance d’ailleurs qu’en passant, au détour d’une phrase (communiqué de presse n° 4), sans jamais en faire un véritable thème de campagne, mais dans le cadre de sa ligne de « défense de la souveraineté des nations » (ibid.) ? Pour obtenir une telle mesure, il ne compte pas sur la lutte de classe prolétarienne — et moins encore sur un gouvernement des travailleurs, qui serait en fait seul capable de l’imposer ! Manifestement, il compte sur un sursaut national, sur une union sacrée des patrons et des travailleurs sauvant la « nation » et « l’État » français de l’Union européenne. Dès lors, on ne s’étonne pas que Schivardi soit soutenu (et il s’en vante !) par « des maires de droite, de gauche, de toutes sensibilités politiques » (interview sur France Info, 9 janvier).

L’orientation chauvine et donc fatalement interclassiste de Schivardi le conduit logiquement à se concentrer avant tout sur la demande que l’État bourgeois français intervienne par des mesures protectionnistes pour l’industrie et l’agriculture « nationales ». Il s’agit donc pour lui de se battre non contre le capitalisme, mais pour des mesures protectionnistes censées l’améliorer (de leur point de vue). En fait, à l’heure où la seule alternative historique pour l’humanité est celle qui oppose le socialisme à l’impérialisme, cette ligne nationaliste et protectionniste, qui plus est dans un pays impérialiste comme la France, ne peut être qu’une utopie réactionnaire.

Viticulteurs de France, tous ensemble contre les viticulteurs étrangers !

C’est ce que prouve de façon éclatante la défense passionnée des viticulteurs par Schivardi — dont en revanche aucun communiqué de presse, à la mi-janvier, ne concerne spécifiquement les ouvriers ou d’autres catégories de salariés. Rappelons que, selon une analyse élémentaire des classes sociales, les viticulteurs ne sont pas des prolétaires, mais des producteurs privés de marchandises, c’est-à-dire des bourgeois petits, moyens ou grands ; et, si beaucoup sont de petits propriétaires familiaux, victimes du grand capital (endettement, grande distribution…), il y a aussi des moyens et gros viticulteurs, qui sont d’authentiques capitalistes puisqu’ils exploitent une main d’œuvre de salariés agricoles (notamment saisonniers). S’il est juste de défendre tactiquement certaines des revendications des petits viticulteurs indépendants (non exploiteurs de salariés), c’est seulement dans la mesure où cela permet qu’ils s’allient à la classe ouvrière pour combattre le grand capital dans une perspective socialiste, définie par la classe ouvrière (seul un État ouvrier pourrait « protéger » les petits propriétaires marchands indépendants, tout en développant une politique de collectivisation des terres par l’expropriation des grands domaines). Or ce n’est nullement de cela qu’il s’agit dans l’orientation de Schivardi et de la direction du PT : ils se font les porte-parole de la petite bourgeoisie paupérisée en tant que telle, c’est-à-dire en tant que classe historiquement réactionnaire, qui croit pouvoir trouver dans « l’État » et la « nation » de la bourgeoisie une protection contre la mondialisation capitaliste. Notons d’ailleurs, car ce n’est évidemment pas une coïncidence, que Schivardi comprend d’autant mieux la petite bourgeoisie rurale qu’il est lui-même « maçon de profession », c’est-à-dire un petit propriétaire, et notable rural (maire et conseiller général). De fait, il rappelle, avec une fierté toute patriotique que, « encore actuellement le solde de la vente de nos vins équivaut à la vente de 100 airbus par an » et il tempête contre « les pouvoirs publics » qui « se sont fait les alliés de Coca-Cola plutôt que des vignerons » (lettre aux habitants de Mailhac, 23 novembre). De manière tout à fait logique, la croisade de Schivardi, et donc aussi du PT, pour le vin français, les conduit à s’en prendre non seulement à la grande firme américaine, mais… aux viticulteurs des autres pays, accusés d’envahir le marché européen avec leur sale piquette : « Hors Europe, où les exigences de qualité ne font pas l’objet de réglementation, où les droits de plantation sont illimités, les superficies de vignobles ont augmenté considérablement au cours de ces 20 dernières années. Exemple : Afrique du Sud 29 %, Australie 169 %, États-Unis 26 %, Chili 48 %, Nouvelle Zélande 240 %. Alors qu’elle diminuait de 16 % en Europe des 15. Cela s’est traduit par une augmentation spectaculaire des importations de vin de ces pays. Exemple : Afrique du Sud 770 %, Australie 500 %, Chili 270 %, États-Unis 160 %. » (Ibid.) Et, dans un autre texte, Schivardi affirme : « La dérégulation totale et la loi du marché » mènent « à la dissolution de la viticulture nationale dans le marché mondial d’un vin dénaturé » (communiqué du 1er décembre). Pour Schivardi et la direction PT, voilà l’ennemi : c’est le vin étranger ! Viticulteurs de tous les pays, faites-vous la guerre ! À l’opposé de prolétaires, que leur situation même, extérieure à la logique du profit, conduit à s’unir pour faire valoir collectivement leurs intérêts, il est dans la nature sociale des petits bourgeois de tout poil (riches ou pauvres), dans la mesure où ils vivent par et pour le marché, de ne pouvoir raisonner que dans le cadre indépassable à leurs yeux de la concurrence. Schivardi va jusqu’au bout de cette logique nécessairement haineuse et réactionnaire en dénonçant comme une scandale majeur de la politique viticole européenne, le fait que « le Languedoc-Roussillon en fera presque totalement les frais, alors que depuis des années Espagne et Italie plantent sans retenue (150 000 ha de plantations illicites) » (ibid). Autrement dit, haro sur les viticulteurs italiens et espagnols, ces privilégiés, ces bandits ! Schivardi voudrait-il qu’on leur envoie la police ? Cette orientation nationaliste est bien plus répugnante que toutes les piquettes du monde !

Une hostilité contre l’Union européenne… à géométrie variable !

D’ailleurs, l’hostilité de Schivardi à l’égard de l’Union européenne, parce qu’elle est nationalo-protectionniste et non anti-capitaliste, trouve vite ses limites : tout en faisant appel à l’État français contre les « concurrents » italiens et espagnols, il ne manque pas d’en appeler aussi à l’UE pour protéger les Européens… des étrangers extra-communautaires ! Passons sur le fait que, longtemps responsable et élu du PS, il ait voté Oui au traité de Maastricht en 1992 (reportage sur France 3 Languedoc-Roussillon, 3 janvier) : après tout, chacun peut changer d’avis. Mais, alors qu’il ne cesse de dénoncer l’Union européenne en paroles, il ne lui en demande pas moins… d’intervenir pour protéger la viticulture européenne ! « Le problème n’est pas uniquement national, écrit-il. Il faut interpeller à la fois les élus nationaux et européens, interpeller le gouvernement français et les institutions européennes afin d’exiger une véritable protection de la viticulture européenne. » (Ibid.) Et que faut-il leur demander ? Non seulement « une aide immédiate de 4 000 euros non remboursable pour tous les viticulteurs en difficulté » et « une T.V.A. à 5,5 % » (ce qui serait en soi acceptable dans le cadre d’une véritable alliance ouvrière et paysanne faisant appel à la mobilisation), mais surtout « une taxe à l’importation des vins des pays hors de la communauté européenne » — ce qui revient à faire appel à l’Union européenne de la bourgeoisie pour qu’elle ruine les viticulteurs d’Afrique ou d’Amérique plutôt que les Latins (1). Et, griotte sur la gâteau, si l’on peut dire, Schivardi n’hésite pas à exiger en outre de l’UE qu’elle sacrifie la santé des prolétaires (largement majoritaires chez les centaines de milliers d’alcooliques que compte le pays, fléau social majeur qui pèse considérablement sur la combativité et la conscience de la classe ouvrière) aux intérêts particuliers des petits bourgeois viticulteurs : pour accroître le marché du vin national, Schivardi revendique « que le vin soit reconnu comme un aliment et non comme un alcool » (sic, ibid.) — ce qui revient à préconiser la levée des limitations de la publicité pour le vin, l’abandon de fait des politiques publiques de prévention, etc.

Il est impossible que les militants du PT boivent jusqu’à la lie l’infâme mixture servie par leur direction

Gérard Schivardi est donc clairement un membre et un représentant de la petite bourgeoisie rurale qui, paupérisée par la mondialisation capitaliste, se réfugie dans le protectionnisme et le nationalisme réactionnaires. En propulsant cette candidature et en faisant sa campagne, la direction du PT franchit le Rubicon : sous prétexte de défendre les communes, la laïcité et les services publics, et après être tombée depuis des années du combat pour le socialisme à un parasyndicalisme crypto-réformiste, elle sombre dans un chauvinisme aux relents avinés, elle jette aux orties toute orientation de lutte de classe (fût-elle partielle et inconséquente), elle réalise une sorte de petit front populaire nationaliste, subordonnant les intérêts du prolétariat à ceux la petite bourgeoisie. Logiquement, elle va jusqu’à gommer l’existence de son propre parti : alors que Schivardi n’existerait pas sans le PT, son site de campagne et ses communiqués écrits n’indiquent jamais que le PT soutient sa candidature ! Au contraire, il conteste avec virulence que sa candidature soit « une candidature politique de Parti ou une candidature présentée par l’extrême gauche » (lettre aux habitants de Mailhac, 23 novembre). Ce sont les journalistes qui doivent dire eux-mêmes qu’il est soutenu par le PT. Les militants du PT qui penseraient, grâce à cette candidature, faire connaître leur parti aux travailleurs à l’occasion de ces élections, donc faire avancer la cause du mouvement ouvrier telle qu’ils la conçoivent, peuvent aller se rhabiller ! Leurs dirigeants leur demandent d’être les bons petits soldats d’un candidat dont toute la campagne officielle les ignore et les méprise ! C’est pourquoi il est urgent que les militants lutte de classe du PT se dressent pour faire échec à la fuite en avant révisionniste et suicidaire impulsée par la direction sans principes de Gluckstein et consorts : c’est l’existence même de leur parti en tant que parti ouvrier (quoique centriste sclérosé) qui est menacée.


1) Ce protectionnisme bourgeois n’a évidemment rien à voir avec les mesures que pourrait prendre un État ouvrier détenant le monopole du commerce extérieur et définissant les modalités de l’alliance du prolétariat avec les petits paysans, artisans et commerçants indépendants. Dans un pays impérialiste comme la France, il n’a même pas l’aspect partiellement anti-impérialiste qu’il peut revêtir dans certaines conditions pour les États coloniaux ou semi-coloniaux.


Le CRI des Travailleurs n°25     << Article précédent | Article suivant >>