Derniers articles sur
le site du CILCA

Feed actuellement indisponible

Le CRI des Travailleurs n°29     Article suivant >>

Sarkozy et le patronat cherchent l'affrontement :
Les travailleurs et les jeunes ne peuvent lui résister et le vaincre que par la grève interprofessionnelle, vers la grève générale


Auteur(s) :Nina Pradier, Ludovic Wolfgang
Date :20 novembre 2007
Mot(s)-clé(s) :France, directions-syndicales
Imprimer Version imprimable

Au moment où nous bouclons ce journal (19 novembre), la grève reconductible des cheminots et des agents de la RATP est massive malgré la politique des directions syndicales qui demandent des « négociations ». La grève avec blocage des universités se développe chaque jour malgré l’orientation de l’UNEF et des syndicats de l’enseignement supérieur qui refusent de la construire. Enfin, les fonctionnaires, postiers et télécommunicants, mais aussi des travailleurs du privé dans de nombreux secteurs, s’apprêtent à faire grève et à manifester massivement le mardi 20, malgré l’absence de tout appel des directions syndicales à poursuivre cette grève.

La question de la « convergence des luttes », d’un grand mouvement d’ensemble et de la grève interprofessionnelle est posée par un nombre croissant de travailleurs et d’étudiants en lutte. La situation évolue très vite, et nous invitons nos lecteurs à s’inscrire sur notre liste électronique d’information pour la suivre au plus près (envoyez un courriel à groupecri@free.fr). Mais les grandes lignes de l’analyse politique et des tâches qui incombent aux militants de lutte de classe sont claires : comme nous l’expliquons dans nos tracts et nos interventions sur les lieux de travail comme en AG, il s’agit de tout faire pour aider les travailleurs et les étudiants à s’auto-organiser, à combattre l’orientation de trahison ou de capitulation des principales directions syndicales et à imposer la jonction des secteurs en lutte, la reconduction de la grève partout où c’est possible, vers la grève générale.

Groupe CRI

La journée de grève et de manifestations du 18 octobre a marqué un tournant décisif

Du point de vue de la lutte de classe, la période située entre l’élection de Sarkozy et le 18 octobre avait été dominée par les premières mesures sclérérates (loi remettant en cause le droit de grève dans les transports, loi Pécresse LRU sur l’« autonomie »-privatisation des universités, loi Hortefeux contre les immigrés, nouveaux cadeaux fiscaux aux riches, etc.), mais aussi par les rencontres informelles et les « concertations » officielles entre le nouveau gouvernement et les directions syndicales. Pendant cinq mois, alors que Sarkozy intégrait plusieurs chefs du PS à sa politique, les principaux syndicats et les organisations politiques du mouvement ouvrier, extrême gauche incluse, avaient fait preuve d’un attentisme intolérable au lieu de préparer la résistance sociale. En particulier, rien de sérieux n’avait été fait pour commencer à mobiliser les travailleurs et les jeunes contre les premières mesures de Sarkozy, ni même pour les rassembler et les armer politiquement en prévision des indispensables luttes à venir (1).

Mais il n’était pas possible, sous peine de se discréditer totalement, que les directions du mouvement ouvrier continuent de limiter leur activité à la participation aux « conférences » organisées par le gouvernement et autres prétendues « négociations » convoquées par le MEDEF. Toutes ces réunions, qui se poursuivent en ce moment même, sont en effet destinées exclusivement à associer les directions syndicales aux discussions préparatoires aux prochaines contre-réformes et à leur donner du grain à moudre pour satisfaire leur demande d’un prétendu « dialogue social ». Or de nombreux travailleurs et jeunes ont montré ces dernières années, notamment en 2003 et 2006, leur volonté de combattre pour résister aux attaques du patronat et des gouvernements à son service. Les cheminots, en particulier, ont de fortes traditions de lutte et savent manier l’arme décisive de la grève, que leur position dans les rapports de production rend particulièrement efficace (chacun se souvient, en particulier, de leur victoire de novembre-décembre 1995). C’est pourquoi, sous la pression d’une base bien décidée à ne pas laisser détruire le régime spécial de retraite, les directions des fédérations cheminotes avaient finalement proposé une « journée d’action » le 18 octobre. Rejointes par les syndicats des autres salariés qui bénéficient de régimes spéciaux (EDG-GDF, RATP, mineurs, employés du notariat, etc.), elles avaient appelé à faire ce jour-là une grève strictement limitée à 24 heures et sur la seule question des régimes spéciaux de retraite.

Mais les militants syndicaux et politiques de lutte de classe, comme de nombreux travailleurs des différents secteurs, ont saisi cette occasion pour pousser de toutes leurs forces dans le sens d’une mobilisation interprofessionnelle, impliquant l’extension des revendications. C’est ainsi que, au fur et à mesure que l’on s’approchait du 18 octobre, les appels à faire grève s’étaient multipliés dans un nombre important de secteurs et même sur le plan interprofessionnel (appels d’une quarantaine d’Unions départementales CGT, FO et Solidaires). Certes, ces appels ont dans plusieurs cas été surtout formels, sans que les directions syndicales s’engagent réellement dans la préparation de la grève effective, mais ils n’en ont pas moins constitué des points d’appui importants pour mobiliser les travailleurs. De ce point de vue, le refus des principales fédérations de la Fonction publique d’appeler à la grève le 18/10, sous différents prétextes et notamment en proposant une autre « journée d’action » spécifique pour novembre, a clairement empêché la jonction de la masse des fonctionnaires avec les travailleurs des régimes spéciaux.

Finalement, la grève a été suivie par un nombre record de cheminots (75 %), agents de la RATP (60 %), salariés d’EDF-GDF (entre 60 et 90 % selon les sources syndicales), mais aussi, de manière significative quoique minoritaire, dans un certain nombre d’autres secteurs comme La Poste (20 % au niveau national), France Telecom (15 %) l’ANPE (20 %), les Assedic (10 %), le Ministère de l’économie et des finances (20 %), l’Éducation nationale (10 %) et les hôpitaux (5 %), auxquels se sont ajoutés des cortèges étudiants et des délégations de militants syndicaux du privé dans les manifestations.

Les travailleurs mettent en œuvre eux-mêmes la résistance sociale que les directions avaient refusé de préparer

Au lendemain du 18/10, la question clé était de savoir si les secteurs massivement en grève la reconduiraient ou non, tout particulièrement les cheminots. Les directions de SUD-Rail, de FO-Cheminots et de la FGAAC (syndicat autonome des conducteurs) s’étaient prononcés en ce sens avant le 18, mais les autres fédérations avaient pris ouvertement position contre toute reconduction. Thibault, secrétaire général de la CGT, était monté lui-même au créneau pour contrer la pression d’une partie de sa propre base : dès le 10 octobre, alors que la question de la reconductible était déjà posée, il avait prétendu que, « si la grève était reconduite maintenant, elle n’aurait pas la même puissance » et que la priorité était de rencontrer Xavier Bertrand. Et il avait ajouté, avec l’arrogance typique des bureaucrates, que « certains dirigeants syndicaux qui parlent de grève reconductible manquent d’expérience » (Libération, 10/10). Pour donner le change, les principales fédérations s’étaient contentées de promettre un nouvel appel, cette fois éventuellement reconductible, pour la semaine suivante… D’autre part, la FGAAC a fait volte-face dès le soir du 18, en osant se montrer satisfaite des prétendues garanties données par le gouvernement (c’est-à-dire en fait de l’allongement de 50 à 55 ans de l’âge minimal de départ à la retraite pour les conducteurs !).

Cependant, le 18 au matin, les Assemblées générales de cheminots et d’agents de la RATP avaient massivement voté pour la reconduction. Elles ne rassemblaient certes qu’une partie des grévistes, car les directions de la CGT-cheminots et de la CGT-RATP (l’une et l’autre majoritaires dans ces secteurs) avaient refusé même d’y appeler et d’y participer. Toutefois, de nombreux militants et même des secteurs entiers de la CGT s’étaient tout de même rendus à ces AG et avaient souvent voté pour la reconduction (beaucoup défendaient d’ailleurs cette ligne, contre leur propre direction, bien avant le 18/10). C’est ainsi qu’une dépêche de l’AFP, en date du 19 octobre, 14h 25, donnait l’information suivante : « Des AG se sont tenues vendredi dans les sites SNCF partout en France pour décider des suites du mouvement contre la réforme des régimes spéciaux de retraite. La CGT cheminots (…) a contesté la représentativité des AG (…). Des représentants CGT se rendent pourtant à ces rassemblements, jugeant pour certains qu’"on ne va pas à l’encontre d’un mouvement qui a rassémblé les trois quarts des cheminots". »

La reconduction de la grève, qui n’était donc plus soutenue que par SUD-Rail et FO-cheminots, n’a pas été majoritaire, mais elle a tout de même atteint des taux significatifs, perturbant assez fortement un certain nombre de gares jusqu’au lundi 22 octobre. De plus, elle a prouvé à des milliers de cheminots qu’ils étaient capables de prendre en main leur propre lutte, de s’auto-organiser et de faire pression sur les directions syndicales. C’est ainsi que l’AG de Paris-Nord, où il y avait encore 40 % de grévistes le 22 octobre, a ce jour-là « voté à l’unanimité une motion exigeant des syndicats un plan de mobilisation daté, précis, reconductible et qui concerne les travailleurs du public et du privé, pour construire la suite nécessaire » (Lutte ouvrière du 26/10). Comme s’il lui répondait, Didier Le Reste, secrétaire général de la CGT-cheminots, n’a pas hésité à déclarer de son côté, selon L’Humanité du 22/10 : « Les prolongements ultra-minoritaires (…) souhaités par certains (…) contre l’avis des cheminots eux-mêmes ne peuvent conduire qu’à renforcer les oppositions entre cheminots et usagers. Cette attitude ne peut qu’aider le patronat et le gouvernement (…). Nous attendons du gouvernement qu’il formule de nouvelles propositions. » Bref, la direction de la CGT a mis tout son poids dans la balance pour empêcher la reconduction de la grève au nom de prétendues « négociations » avec le gouvernement, liquidant ainsi une occasion en or pour réaliser la grève générale des cheminots et des agents de la RATP, qui aurait naturellement fourni le meilleur point d’appui possible pour que les agents d’EDF-GDF reconduisent eux aussi la grève et pour que d’autres secteurs s’y engagent ensuite.

Mais la démonstration de force du 18 octobre, la reconduction dans un certain nombre d’endroits et la très forte détermination caractérisant l’état d’esprit des cheminots (selon tous les témoignages parus dans la presse ouvrière aussi bien que bourgeoise) ne pouvaient rester sans suite. En effet, bien que les principales directions syndicales se soient montrées depuis le début clairement favorables à un compromis avec le gouvernement, celui-ci n’a proposé aucune ouverture significative, car il sait que tout recul conséquent l’affaiblirait de manière considérable et pèserait lourdement sur la poursuite de sa politique.

La grève des cheminots et agents de la RATP est massivement reconduite alors que les directions syndicales veulent « négocier »

La soupape de sécurité des journées de « négociations » entre le gouvernement et les directions syndicales fin octobre a donc vite épuisé ses effets et, le 31 octobre, les principales fédérations de cheminots (à l’exception de la FGAAC, mais y compris la CFDT), ont été obligées cette fois, sous peine de se discréditer complètement, de concrétiser leurs menaces en annonçant qu’elles déposaient un « préavis de grève illimitée, reconductible par période de 24 heures », à partir du 13 novembre. Le dépôt d’un préavis n’était pas un appel clair, mais il a été compris à la base comme un appel. La déclaration commune qui l’annonçait se caractérisait notamment par l’absence de la revendication du maintien des 37,5 annuités pour les régimes spéciaux et du retour aux 37,5 pour tous : ce faisant, les directions fédérales des cheminots ont tenu à laisser ouverte la porte de la « négociation » avec le gouvernement. Cependant, cette déclaration n’en a pas moins été un véritable point d’appui objectif car, pour la première fois depuis 2003, la question de la « grève illimitée » était posée ouvertement dans un texte syndical unitaire. De leur côté, les syndicats de la RATP ont fini eux aussi, sous la pression de la base, par appeler à la grève reconductible à partir du 14/11, mais les fédérations de l’énergie sont parvenues à mieux résister à cette pression en limitant leur appel à la seule journée du 14, empêchant ainsi la convergence dans la grève illimité de tous les travailleurs des régimes spéciaux.

Cependant, les directions syndicales ont tout fait pour éviter la grève reconductible. Les principales fédérations des travailleurs à régimes spéciaux refusent d’exiger le maintien des 37,5 annuités et de tous les acquis et demandent à « négocier » avec le gouvernement, qu’elles ont accepté de rencontrer dès le premier jour de la grève reconductible, puis presque quotidiennement. La CFDT se prononce explicitement pour les 40 annuités, son secrétaire général François Chérèque s’est prononcé pour la reprise du travail dès le soir du 14 et, après avoir hésité pendant 48 heures sous la pression de la base, la fédération CFDT des cheminots a finalement appelé à la reprise le vendredi 16 après-midi. Mais Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, ne défend pas une ligne très différente : à la veille de la grève reconductible, il a osé proposer au gouvernement l’ouverture de « cycles de négociations sur chacun des régimes spéciaux », c’est-à-dire qu’il propose de diviser les travailleurs concernés au lieu de les aider à faire front tous ensemble. De plus, Thibault a expliqué qu’« une négociation, c’est l’ensemble des acteurs autour d’une même table, chacun défend ses points de vue et on voit s’il y a des points communs qui peuvent être dégagés » : comme s’il pouvait y avoir des « points communs » entre les travailleurs qui défendent leurs acquis et Sarkozy qui veut les détruire ! En réalité, le gouvernement ayant affirmé qu’il ne reviendrait pas sur le passage à 40 annuités, l’instauration d’une décote et l’indexation des pensions sur les prix et non plus sur les salaires, « négocier » ne peut revenir qu’à renoncer aux revendications des cheminots, qui exigent le retrait pur et simple de cette « réforme ». Enfin, Thibault a déclaré que « ces négociations devraient se dérouler dans un délai d’un mois » et que la grève « pourrait être raccourcie si le gouvernement montre qu’il veut aborder les choses dans un cadre tripartite » : cela revient à briser la dynamique de la grève reconductible et par conséquent à mener droit dans le mur les travailleurs en lutte.

Mais toutes les fédérations acceptent de rencontrer le gouvernement pour « négocier ». C’est même le cas de SUD-Rail : d’un côté, la direction de SUD-Rail avait appelé à la grève reconductible dès avant le 18/10, elle édite des tracts souvent corrects et elle dénonce, dans son communiqué du 17/11, le fait que le document de base des « négociations » proposées par le gouvernement exclut de revenir sur les 40 annuités, la décote et l’indexation sur les prix : « seuls sont négociables les modalités et le calendrier d’application de la contre-réforme ». Mais, d’un autre côté, Annick Coupé, dirigeante de Solidaire (organisation à laquelle appartient SUD-Rail), a clairement indiqué qu’elle était pour des négociations lors de l’émission « Riposte » sur France 5 le 18/11, et de fait, la direction de SUD-Rail signe la plupart des communiqués communs avec les autres fédérations qui se prononcent pour des négociations. Elle a même accepté le compromis confusionniste proposée par la direction de la CGT-Cheminots d’aller négocier avec la direction de la SNCF mercredi 21/11 sur la base de la « plate-forme revendicative » soumise aux AG lundi 19. Elle justifie cette attitude en soulignant que les cheminots sont sensibles à l’unité de leurs organisations. En réalité, en refusant de rompre avec la ligne des autres directions fédérales, et notamment de la CGT, la direction de SUD-Rail les protège de la légitime colère des grévistes et risque ainsi de faciliter la capitulation prévisible des directions fédérales. Tout au contraire, il faut se battre sans réserve, dans les AG comme en interne dans SUD et dans la CGT, pour le refus de toute négociation, la jonction interprofessionnelle et la mise en place de comités de grève élus pour que la base contrôle le mouvement.

Les travailleurs de la SNCF et de la RATP considèrent à juste titre que la liquidation de leurs acquis ne se « négocie » pas. C’est ainsi que, malgré la pression terrible des médias bourgeois et de leurs propres dirigeants syndicaux, et avec l’aide de nombreux militants syndicaux de lutte (notamment de SUD et de la CGT), ils ont reconduit la grève après le 14. À l’heure où nous écrivons, les directions d’entreprises annoncent certes des chiffres de grévistes en baisse — un certain nombre de travailleurs décidant de ne pas faire grève tous les jours pour ne pas perdre trop d’argent. De plus, les principaux dirigeants font tout pour faire passer dans les AG la ligne de la négociation et s’opposent, le plus souvent, aux AG interservices, pour éviter que les plus déterminés et les plus avancés des cheminots n’entraînent les autres. Cependant, la grève reste puissante, la participation aux AG tend même à croître, les grévistes se serrent les coudes et, à certains endroits, des comités de grève commencent à se mettre en plance malgré l’opposition des principaux dirigeants syndicaux.

Avec la grève des universités et la multiplication des appels sectoriels à la grève, la grève interprofessionnelle devient possible

Mais les cheminots et agents de la RATP ne sont pas seuls. Depuis mi-octobre, la mobilisation se développe chaque jour, et de plus en plus vite, chez les étudiants et les personnels universitaires, pour l’abrogation de la loi Pécresse LRU et pour la jonction interprofessionnelle. Là aussi, cette mobilisation se construit malgré la politique des principales directions, là encore ouvertement collaboratrice (UNEF) ou pour le moins attentiste et couarde (SNESup, FERC-CGT, UNSA…). Lancée par des syndicats étudiants de luttte (FSE, SUD-Étudiant, tendance TUUD de l’UNEF) et des militants lutte de classe, la grève effective avec blocage, qui a commencé à l’université de Rouen le 26/10, touche, au moment où nous bouclons ce journal, près d’une quarantaine de facultés. Partout, les AG sont nombreuses, l’auto-organisation et le niveau de conscience politique exemplaires, renouant d’emblée avec les pratiques efficaces et l’exigence interprofessionnelle du mouvement du printemps 2006 contre le CPE et la LEC (cf. ci-dessous notre article sur la mobilisation des universités, ainsi que les appels des trois premières Coordinations nationales et les correspondances de nos militants et sympathisants).

Mais les cheminots et agents de la RATP en grève reconductible d’une part, les étudiants et personnels univrsitaires en grève avec blocage d’autre part, sont eux-mêmes l’avant-garde d’une mobilisation générale qui apparaît de plus en plus à l’ordre du jour. Si le gouvernement a préféré reculer tactiquement face aux internes en médecine courant octobre, c’était pour éviter une extension, extrêmement dangereuse pour lui, aux autres personnels des hôpitaux. Peu après le 18 octobre, les personnels navigants d’Air France ont mené une grève très suivie pendant cinq jours ; si elle a été interrompue par les directions de leurs syndicats, la question d’une nouvelle grève a été d’emblée posée. De leur côté, les personnels de LCL (ex-Crédit Lyonnais) sont appelés à faire grève le 22/11. Ceux des tribunaux, mais aussi les avocats et les magistrats eux-mêmes, se mobilisent massivement contre la liquidation des tribunaux annoncée par Rachida Dati, avec notamment une journée de grève et de manifestation le 29/11. Enfin, les grèves pour les salaires dans le privé permettent de poser concrètement la question de la jonction public-privé, notamment pour l’augmentation générale de salaires : c’est le cas de la grève des travailleurs du nettoyage de STPI sur le site de Peugeot-Mulhouse, qui a duré du 24/10 au 08/11, celle de 1 000 salariés de PSA à Sevelnord, celle des conducteurs de car de la société AMV de Marne-la-vallée, suivie à 95 % (cf. les documents syndicaux que nous publions dans ce journal)…

Dans ce contexte, la « journée d’action » que les directions des huit fédérations de fonctionnaires avaient prévue pour le 20 novembre en l’opposant au 18 octobre, prend un contenu nouveau : malgré ses initiateurs, elle participe désormais à la création d’une situation porteuse de vraies potentialités explosives pour le gouvernement, comme le montre notamment l’appel à y participer des fédérations de la poste et des télécommunications, de la fédération CGT de la construction et travaux publics, de la fédération CGT du livre, etc. En un mot, tout le monde comprend qu’une puissante mobilisation interprofessionnelle est désormais possible, réaliste…

Elle est d’autant plus nécessaire que l’attaque contre les régimes spéciaux est avant tout une offensive contre les secteurs les mieux organisés et les plus combatifs des dernières années, qui en annonce d’autres bien plus graves encore. En effet, Sarkozy sait qu’une défaite de cette avant-garde de la classe ouvrière impliquerait une désorientation et une démoralisation générales et que celles-ci permettraient ensuite de faire passer des réformes plus globales et encore plus brutales. C’est pourquoi il avait décidé de ne rien céder aux cheminots, refusant en octobre les offres de « négociations » que lui faisaient les principales directions syndicales, y compris la CFDT qui pourtant ne demande pas grand-chose. De ce point de vue, ce n’est que sous la pression de la base que, tout en restant ferme sur les principaux points de la contre-réforme, le gouvernement tente malgré tout, contre son intention première, de préparer quelques concessions qui permettraient de donner du grain à moudre aux directions syndicales pour briser la grève reconductible.

Mais la preuve qu’il s’agit bien, à travers les cheminots et les autres salarisé bénéficiant de régimes spéciaux, de s’attaquer en fait à l’ensemble des travailleurs du public et du privé, à commencer par l’allongement de la durée de cotisations pour la retraite de tous, est fournie par les propos limpides des collaborateurs de Sarkozy : selon Raymond Soubie, son « conseiller social », « il est évident qu’il n’était pas possible d’aborder "le rendez-vous retraites 2008", prévu par la loi de 2003 pour le régime général et la fonction publique, sans que les régimes spéciaux aient été au préalable harmonisés avec cette dernière » (Les Échos, 29/10). Autrement dit, l’offensive contre les régimes spéciaux n’est que la première phase d’une attaque contre le régime général. Xavier Bertrand, ministre du travail, le confirme sous une autre forme : « Si le régime général et la fonction publique sont amenés à cotiser 41 ans à terme, les régime spéciaux ne resteront pas à 40 ans. Je le dis très clairement. » (Le Figaro, 30/10).

Mais cet allongement de la durée de cotisations pour tous n’est lui-même que l’un des terrains d’attaques du gouvernement : s’il tient tant à cette contre-réforme, ce n’est pas seulement pour des raisons économiques — même un retour aux 37,5 pour tous ne coûterait que 0,3 % du PIB, soit 8 milliards d’euros, à comparer avec les 15 milliards de nouveaux cadeaux fiscaux faits aux riches en juillet, aux 30 milliards d’exonérations de cotisations sociales pour les patrons dans le Budget 2008 et aux 100 milliards de profit réalisés l’an dernier par les entreprises du CAC 40 ! En voulant aller jusqu’au bout de la principale contre-réforme sociale réalisée sous Chirac-Fillon, Sarkozy essaie avant tout de jouer à la fois carte de la division entre les travailleurs qui bénéficient encore des 37,5 et ceux qui les ont perdues, et la carte de la démoralisation de ceux qui avaient combattu en vain en 2003. Une défaite des travailleurs bénéficiant des régimes spéciaux, avec son effet immédiat sur le régime général de retraites, créerait ainsi les meilleures conditions pour faire passer le démantèlement des acquis consignés dans le Code du travail — à commencer par le CDI —, l’augmentation du temps de travail, la mise en cause généralisée du droit de grève, la casse des syndicats et des droits syndicaux, la destruction et la privatisation de la Sécurité sociale, de nouvelles attaques contre l’enseignement public, etc.

Sarkozy compte sur la couardise des directions syndicales

Confronté à la grève reconductible massive des cheminots et agents de la RATP et à la grève, plus inattendue, des étudiants et personnels universitaires, Sarkozy craint aujourd’hui la possibilité d’un débordement de la base. Cependant, il s’estime encore en position de force pour l’affronter. C’est pourquoi il avait multiplié les provocations en octobre — y compris l’annonce d’imposer par voie parlementaire le « traité européen » rejeté par référendum en 2005, sans parler de la scandaleuse augmentation de son propre salaire à 172 % ! Loin d’être des maladresses ou des signes d’une quelconque faiblesse, ces provocations étaient destinées à exacerber les relations sociales pour que l’affrontement soit inévitable. En effet, Sarkozy est dûment mandaté par le patronat pour infliger une série de défaites majeures au prolétariat, et cela suppose une stratégie de conflit. C’est la raison pour laquelle il refuse encore, à ce stade, de faire des concessions significatives aux directions syndicales tout en multipliant les « concertations » avec elles.

Mais comment Sarkozy et son gouvernement peuvent-ils être aussi confiants dans leur propre stratégie ? Pourquoi pensent-ils pouvoir sortir vainqueurs de l’affrontement qu’ils ont délibérément provoqué ? Bien sûr, le président bénéficie de la prétendue « légitimité » que lui confère sa fraîche élection au suffrage universel : c’est à cela que servent les institutions antidémocratiques de la Ve République, fondées sur la prépondérance de l’exécutif, sur la personnalisation du pouvoir et sur la démagogie, permettant l’élection de celui que soutiennent prioritairement les patrons et les principaux médias. Cependant, ce ne sont pas les élections qui déterminent fondamentalement les rapports sociaux, mais la lutte de classe directe. D’ailleurs, le mécontentement gronde même dans la petite bourgeoisie qui constitue une partie de la base sociale de Sarkozy (patrons-pêcheurs, internes en médecine, journalistes des Échos et de La Tribune, avocats, magistrats et même officiers de police, en « grève du zèle » le 8 novembre pour demander le respect de leurs accords salariaux…). De ce point de vue, la stratégie de Sarkozy ne fait pas l’unanimité : selon La Tribune du 29/10, « à vouloir mener toutes les réformes de front (…), Nicolas Sarkozy (…) a fait naître (…) un malaise jusque dans les rangs de sa majorité parlementaire. La refonte de la carte judiciaire et ses fermetures de tribunaux de proximité ou l’instauration d’une franchises médicale très impopulaire placent les élus locaux dans une position inconfortable, à quelques mois des élections municipales. »

Mais Sarkozy sait qu’il pourra toujours colmater ces brêches secondaires. Son problème fondamental est bien la lutte des classes. Or, de ce point de vue, il sait pouvoir compter sur le soutien sans faille du PS, qui approuve pour l’essentiel ses principales contre-réformes et qui ne veut même pas s’opposer à lui sur une question aussi élémentaire que le déni de démocratie consistant à imposer le traité européen par voie parlementaire. Mais Sarkozy fait surtout le pari de compter sur la crise du mouvement ouvrier, sur l’absence de perspective politique globale du côté du prolétariat et tout particulièrement sur la couardise du PCF et des principales directions syndicales. De fait, après avoir tout fait pour « négocier » avec Sarkozy et le MEDEF depuis le mois de mai et encore aujourd’hui, celles-ci refusent de s’engager dans la construction d’une mouvement d’ensemble, c’est-à-dire dans la grève interprofessionnelle. Même après le succès du 18 octobre, elles ont persisté à appeler les travailleurs des différents secteurs à se mobiliser en ordre disperés pour des « journées d’action » sans efficacité. C’est ainsi que Chérèque, secrétaire général de la CFDT, a menacé de ne plus appeler les fonctionnaires à faire grève le 20/11 si cette même date était retenue pour les cheminots : « S’il y a un mélange des mouvements entre les régimes spéciaux, les fonctionnaires et je ne sais quoi encore, on se réserve le droit de se retirer », a-t-il déclaré lundi 29/10 lors de l’émission « Franc-Parler » (France Inter/i-Télé/Le Monde). Et la direction de l’UNSA lui a emboîté le pas. Mais Didier Le Reste, secrétaire général de la CGT-Cheminots, n’a pas dit autre chose : tout en n’excluant pas, sans doute pour les calendes grecques, la « possibilité » d’une convergence entre cheminots et fonctionnaires, il a surtout déclaré que, « pour l’instant », c’est-à-dire à un moment crucial, « chacun conserve l’autonomie et la maîtrise de ses mouvements revendicatifs » (Le Parisien, 23/10). Enfin, Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, leur a lui aussi emboîté le pas, en déclarant lors de l’émission « Franc parler », à la veille de la grève reconductible des cheminots et agents de la RATP, que « la jonction n’est pas à l’ordre du jour entre cheminots et secteurs en lutte le 20 novembre ».

Bref, à la stratégie de guerre frontale et méthodique que met en œuvre Sarkozy, les directions syndicales opposent une ridicule tactique d’escarmouches en envoyant les troupes de la classe ouvrière en ordre dispersé, c’est-à-dire droit dans le mur.

Il faut un « tous ensemble » de combat, vers la grève générale

Cette orientation intolérable trace a contrario la voie à suivre pour les travailleurs et les jeunes qui veulent en découdre avec Sarkozy et pour les organisations et militants de lutte de classe : si l’on veut lui résister avec succès, si on veut le vaincre dans l’affrontement qu’il prépare, il n’y a aucune autre voie que d’imposer un « tous ensemble » de combat, c’est-à-dire la grève reconductible immédiate dans les secteurs clés des transports et de l’énergie et, à partir de là, la construction de la grève interprofessionnelle, vers la grève générale. Cet objectif n’a rien d’irréaliste si les militants et les organisations du mouvement ouvrier (à commencer par les forces d’« extrême gauche ») s’unissent pour le réaliser. En effet, non seulement les travailleurs des transports, de l’énergie et d’autres secteurs ont montré qu’ils étaient prêts à se battre pour gagner, mais des centaines de milliers d’autres travailleurs, comme les étudiants déjà en grève, sont également disponibles : ils savent qu’une victoire de Sarkozy marquerait la liquidation rapide de ce qui reste des acquis sociaux de tous. Pour vaincre Sarkozy, la classe ouvrière n’a pas besoin que 20 millions de salariés, jusqu’aux moindres PME, fassent grève en même temps, mais que la grève se généralise dans les secteurs clés de l’économie, là où les travailleurs peuvent paralyser l’activité du pays, à commencer par les transports et l’énergie, mais aussi la Fonction publique : cela entraînerait ensuite des centaines de milliers de travailleurs d’autres secteurs. La clé de la situation, c’est donc une orientation de lutte, la détermination et le courage des organisations du mouvement ouvrier, qui ont les moyens d’impulser une stratégie de riposte générale, de combat jusqu’au bout. Pour imposer cette orientation, pour contraindre les directions syndicales à un front unique de combat, il faut que les syndicats et partis politiques de lutte de classe se concertent et fassent preuve d’initiative, en se battant avant tout pour :

• Impulser l’auto-organisation des travailleurs en organisant des AG et des comités de mobilisation dans les entreprises et les établissements, des comités de grève partout où la grève se développe, qu’il s’agit ensuite de fédérer à l’échelle départementale, régionale et nationale, dans l’objectif d’un comité de grève national. C’est la condition pour que les travailleurs puissent diriger eux-mêmes leur propre lutte et déjouer les manoeuvres des directions syndicales. La grève des cheminots en 1986, celle des agents des impôts en 2000, celle des étudiants contre le CPE en 2006 ont montré l’efficacité de cette méthode pour gagner.

• Impulser des AG interprofessionnelles de combat à tous les niveaux, avec là aussi des délégués élus et mandatés par la base. C’est la seule façon d’aider les travailleurs et les étudiants à dépasser les limites sectorielles de chaque lutte, à dégager une plate-forme commune contre la politique cohérente de Sarkozy et du MEDEF et à jeter les bases de la grève interprofessionnelle.

• Interpeller les directions syndicales pour les contraindre à prendre les responsabilités qui devraient être celles des syndicats dignes de ce nom, en appelant clairement à la grève, en se prononçant pour la grève interprofessionnelle et en contribuant à la construction d’AG de combat souveraines.

De ce point de vue, il faut soutenir globalement les appels de la Coordination nationale universitaire, notamment en raison de leur visée interprofessionnelle (cf. ci-dessous). De même, l’appel de l’AG interprofessionnelle d’Île-de-France qui, à l’initiative de plusieurs organisations syndicales et politiques, a rassemblé une centaine de travailleurs à l’issue de la manifestation parisienne du 18/10, a fourni un premier point d’appui pour la convergence des luttes (nous le reproduisons ci-dessous). Il en va de même encore de l’appel adopté par la réunion interprofessionnelle de mobilisation du 17/11, à l’initiative du Forum de la résistance sociale parisien et d’Émancipation Tendance intersyndicale (région parisienne). Il est vivement souhaitable que ce type de rencontres et d’appels se multiplient, notamment dans la foulée du 20 novembre. C’est pourquoi il faut maintenant que toutes les organisations syndicales et politiques qui se prononcent pour la construction d’un grand mouvement d’ensemble contre Sarkozy se concertent pour appeler ensemble à des AG interprofessionnelles partout où c’est possible. Si elles le faisaient, nul doute que leurs milliers de militants, des dizaines de milliers de travailleurs et de jeunes mobilisés, mais aussi de nombreux syndicats refusant la couardise des directions nationales, répondraient avec enthousiasme à leur appel. Car l’expérience des dernières années (1995, 2003, 2006…) montre que la clé pour construire une mobilisation générale capable de gagner, c’est l’auto-organisation de ceux et celles qui luttent, et la condition de l’auto-organisation, c’est qu’un maximum d’organisations syndicales et politiques l’impulsent, la relaient et l’aident de toutes leurs forces.


1) C’est cette situation qui avait conduit le Groupe CRI et d’autres organisations, ainsi que des travailleurs et jeunes inorganisés, à prendre leurs responsabilités en lançant la proposition d’un Forum de la résistance sociale (FRS) : cf. le compte-rendu et l’appel du premier FRS parisien publié dans notre précédent numéro et, ci-dessous, le relevé de décisions du troisième, qui a eu lieu le 20/10. Le compte-rendu du deuxième FRS, tenu le 22 septembre, a été adressé à nos correspondants et diffusé massivement : il peut être lu sur le site du FRS http://resistancesociale.exprimetoi.net ou sur http://groupecri.free.fr


Le CRI des Travailleurs n°29     Article suivant >>