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Le CRI des Travailleurs n°29     << Article précédent | Article suivant >>

Vive la lutte des travailleurs birmans contre la dictature !
La solidarité prolétarienne conséquente, c'est de combattre Total et Sarkozy, complices de la junte !


Auteur(s) :Pauline Mériot
Date :20 novembre 2007
Mot(s)-clé(s) :international, Birmanie
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La situation en Birmanie fait couler beaucoup d’encre. Les médias bourgeois se félicitent du caractère pacifique des manifestations, encensent la figure de l’opposition au régime, Aung San Suu Kyi, et louent les bienfaits du bouddhisme. La véritable teneur des luttes ne semble pas les intéresser. Les informations chiffrées sur le taux de grévistes ou le nombre de manifestants sont d’ailleurs impossibles à trouver. Seul le nombre de morts officiels nous parvient. Nous allons voir ici comment, à travers les luttes passées et actuelles, l’« opposition » sur place, dominée par les moines, et les organes impérialistes tels que l’ONU ont vocation à limiter les luttes ; comment la junte s’appuie sur eux, directement ou non, pour mater la révolte.

Enjeux économiques et politiques

Soixante-quinze sociétés internationales sont implantées en Birmanie : elles sont britanniques, japonaises, canadiennes, françaises, mais surtout chinoises, indiennes et thaïlandaises. La Birmanie représente pour l’Inde une ouverture stratégique sur l’Est, tandis que la Chine y voit un moyen d’accroître son influence sur l’ASEAN (Association économique de l’Asie du Sud-Est), qu’elle juge trop dominée par les États-Unis. La Birmanie regorge d’autre part de ressources naturelles (pétrole, gaz, minerais…) sur lesquelles l’Inde et la Chine veulent avoir la mainmise. L’enjeu pour les deux pays est crucial : ils entendent tout faire pour limiter le terrain à l’autre. La Thaïlande est le troisième investisseur en Birmanie, et son premier client en gaz.

Aucun pays ne refuse d’investir en Birmanie

Le Japon masque ses investissements en « aides publiques pour le développement » (APD). La firme coréenne Daewoo International est en procès pour avoir exporté des équipements militaires et construit une usine d’armement malgré le fait que la Corée interdise la vente d’armes de ses entreprises à la Birmanie. Mais quand cette même firme découvre un gisement de gaz exploitable de 219,2 milliards de mètres cubes, le gouvernement lui fait savoir qu’il veut en voir la couleur (1) !

Les États qui refusent de vendre directement des armes à la Birmanie, n’hésitent pas à en vendre à la Russie ou à la Chine qui, elles, les revendent à la Birmanie (2)…

L’Union Européenne, de son côté, a pris des mesures d’interdictions d’investissements qui sont véritablement risibles. Elles ne touchent que des secteurs comme la production du jus d’ananas ou les boutiques de vêtements, alors que les investissement dans les secteurs qui font vivre le régime, comme le gaz, le pétrole ou le bois, sont toujours autorisés. Les investissements de l’entreprise Total représentent aujourd’hui 7 % du budget de l’État birman.

Si les bourgeoisies mondiales se voient contraintes d’être critiques à l’égard du régime birman, elles ne le sont qu’en paroles. Plus leurs intérêts en Birmanie sont cruciaux, moins d’ailleurs elles s’enrobent de discours : ainsi la Chine et l’Inde ne condamnent-elles que de très loin la dictature birmane. L’UE, en revanche, en se cachant derrière quelques ONG et en soutenant la figure de l’« opposition » sur place (Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix), préserve les formes tout en maintenant ses firmes impérialistes sur place.

Un régime sanglant

Le régime en place s’est longtemps servi de sa bannière soi-disant « communiste » pour légitimer son contrôle étatique sur toutes les sphères de la sociétés, mis désormais au service direct du capitalisme. Les banques notamment sont contrôlées par l’État. Selon l’Express, 10 % de la population accaparerait la moitié du PIB, soit 85 milliards de dollars (en 2006). Les droits syndicaux sont bafoués (un seul syndicat, lié au régime, est autorisé), ainsi que ceux de grève et de manifestation. En période d’insurrection, le gouvernement n’hésite pas à tirer dans des rassemblements dès qu’ils regroupent 5 personnes.

Le pays consacre un des taux les plus bas de son PIB à la santé (3 %) et, d’après l’UNESCO, en 2004 l’espérance de vie était de 61 ans à la naissance et le taux de mortalité infantile de 76 ‰. Selon la banque mondiale, un Birman sur quatre vit au-dessous du seuil de pauvreté. On recensait en 2004 jusqu’à 20 % d’enfants soldats (soit près de 80 000), dont certains n’avaient pas plus de 11 ans. Le travail forcé est une pratique courante. Total n’a pas hésité à en bénéficier, bien qu’une enquête menée par Kouchner l’ait fort opportunément blanchie de tout soupçon...

La révolte de 1988

En 1988 eut lieu une mobilisation mémorable : sept mois de grève dure et d’auto-organisation des travailleurs montrèrent la capacité de lutte du peuple birman. Une mesure impopulaire du gouvernement souleva un mouvement de manifestations. La répression qui sévit dès le début ne fit qu’attiser le désir de changement des manifestants. La révolte fut suivie très largement par la population : ceux qui ne combattaient pas véritablement cachaient chez eux les insurgés, d’autres pillaient les magasins, certains soldats refusèrent de tirer et surtout la grève générale paralysa le pays. Les manifestations réunirent des millions de travailleurs. Des villes entières furent dirigées par les insurgés, les pillages populaires ciblaient des endroit stratégiques et des milices populaires furent organisées : c’est une véritable grève politique qui eut lieu alors (3).

Dans cette situation, l’« opposition » mit en avant les seuls mots d’ordre d’élections libres, de démocratie et de multipartisme. Le 11 septembre 1988, le gouvernement ratifia la promesse d’élections libres. Mais Daw Aung San Kyi et autres membres de l’« opposition » eurent beau appeler le peuple à « continuer les manifestations pacifiques, en utilisant l’arme du courage moral », la tension ne descendit pas chez les manifestants.

Le général Saw Maung eut alors recours à un coup d’État. Tout en appliquant une répression féroce – couvre-feu, interdiction de manifester et de se mettre en grève –, il fit des promesses de réforme. Il ne s’opposa pas au projet d’élections libres signé une semaine avant sa prise de pouvoir. Mais la contestation persistait Finalement, une répression sanglante parvient à mettre fin au mouvement. On compte officiellement 3000 morts.

Les élections ont lieu en 1990. Aung San Suu Kyi, figure de proue de l’« opposition », future prix Nobel de la paix, est élue avec 82 % des suffrages. Mais jamais la junte ne lui laissera l’accès au pouvoir. Près de 20 ans après ces élections, la junte est toujours en place, avec la caution de fait de la bourgeoisie mondiale.

Les limites de la voie pacifique se sont montrées d’elles-mêmes. L’« opposition », mêlant les bourgeois locaux et les moines a prôné la discussion avec la junte pendant tout le mouvement, empêchant celui-ci de se radicaliser. Les méthodes qu’elle prônait étaient vouées à l’échec. Les élections libres auraient nécessité que leurs organisateurs leur accordent une légitimité. Or la junte au pouvoir ne pouvait adopter une telle attitude sans se délégitimer elle-même. Seul un gouvernement des travailleurs auto-organisés aurait pu renverser la dictature en place. Les élections telles qu’elle ont été organisées ont canalisé les revendications et contribué à calmer l’insurrection et, en foulant au pied leurs résultats, le gouvernement a balayé d’un revers de la main ces longs mois de lutte et les lourdes pertes humaines.

La mobilisation de cet automne 2007

En août 2007, pour pouvoir augmenter le salaire de ses fonctionnaires, la junte birmane a dû doubler le prix des carburants et des denrées alimentaires. Ainsi le riz, le poulet ou le ticket d’autobus ont-ils vu leur prix augmenter de 20 à 90 % par rapport à septembre 2006. La dictature est l’une des plus dures au monde, mais le sentiment de révolte a été tel que des manifestation de rues, souvent à l’initiative d’étudiants, se sont multipliées dans le pays.

Or, exactement comme en 1988, les puissances impérialistes et l’« opposition » sur place se sont rejointes pour prôner la voie pacifique ! La tactique de l’« opposition » est la même : appeler au dialogue avec les militaires. L’ONU va dans le même sens : « Le Conseil [de sécurité] demande au gouvernement du Myanmar d’œuvrer avec toutes les parties concernées dans le sens de l’apaisement de la situation et d’une solution pacifique. »

Voilà ce que les hautes instances de la paix offrent comme perspectives aux révoltes birmanes : « Quand on vous tire dessus, tendez l’autre joue, et vous aurez notre bénédiction ! » C’est d’ailleurs la révolte des moines qui émeut le plus nos journaux bourgeois.

Mais, quelles que soient les limites des actions symboliques des moines, voire leurs dangers, elles ont le mérite d’embarrasser la junte. Depuis que le gouvernement est officiellement passé au capitalisme, c’est sur la religion qu’il assied sa légitimité. La nécessité pour lui de maltraiter les moines montre bien son malaise devant la situation. La position de la junte vis-à-vis de la religion est double. Elle l’a intégrée à l’appareil d’État en créant en 1979 un Conseil Suprême des Moines. La moindre décision en matière de religion doit depuis lors être approuvée par le représentant local du Conseil Suprême. Mais, en même temps la junte se crée une légitimité religieuse en multipliant les offrandes envers les moines. Or l’acte symbolique le plus fort des moins est leur refus des offrandes des militaires : ils témoignent ainsi leur condamnation des actes de l’armée.

En temps « normal », le gouvernement se sert de la religion bouddhiste pour faire passer la pilule de sa politique. Mais quand les révoltes le dépassent, c’est à la seule répression qu’il fait appel. La religion, qui se retourne alors contre lui, lui est d’un tout autre intérêt : de concert avec l’« opposition » locale et toutes les nations impérialistes, elle appelle les manifestants à refuser la lutte armée. Pourtant, la seule arme durable de la junte, c’est la force : torture, assassinats, censure totale de la presse, d’Internet et du téléphone ont eu raison de la mobilisation dès la mi-octobre. On estime à plus de 6 000 le nombres de personnes dont on est sans nouvelles.

Quelles perspectives ?

Quand on soutient de manière conséquente la mobilisation des travailleurs et du peuple de Birmanie, il n’est pas possible de demander à Sarkozy et à la direction de Total de « faire pression » sur le régime pour qu’il accepte le « dialogue », comme l’a fait la CGT de Total (Communiqué sur les événements de Birmanie, http://www.cgt.fr/ei), semant des illusions sur son propre patron au lieu d’appeler les travailleurs de Birmanie à exproprier cette multinationale qui pille leur pays et les exploite, eux et leurs enfants, dans des conditions monstrueuses !

Il n’est pas plus acceptable d’en appeler à l’ONU, à l’image de la même CGT et d’une pétition qui a beaucoup circulé dans les milieux de « gauche ». Il est donc pour le moins problématique de retrouver dans colonnes de Rouge, l’hebdomadaire de la LCR, les extraits d’un article de Danielle Sabai appelant l’ONU à « condamner explicitement les exactions de la junte et tout mettre en œuvre pour qu’un gouvernement civil voie le jour rapidement. Ce gouvernement devra prendre les mesures sociales d’urgence dont la population a tant besoin et rétablir les libertés démocratiques permettant, à terme, d’élire une véritable Assemblée constituante rassemblant toutes les composantes de la société birmane. Les seules aides autorisées devraient être des aides humanitaires qui ne tombent pas sous la coupe de la junte ou des associations qu’elle contrôle. » Une telle position (qu’aucun texte de la LCR ne critique) ne peut pas être celle de communistes révolutionnaires. Dirigée de fait par les membres permanents du Conseil de sécurité, à commencer par les États-Unis, l’ONU est une institution clé du système impérialiste mondial, elle ne sert qu’à couvrir d’un voile soi-disant démocratique et humanitaire l’ensemble des mesures prises par les grandes puissances dans leurs intérêts et contre ceux des peuples. Par exemple, c’est l’ONU qui a diligenté et organisé la première guerre d’agression contre le peuple irakien (1991), puis qui l’a maintenu sous un embargo terrible qui a fait plus d’un million de morts selon les chiffres officiels (Pour d’autres exemples tout aussi accablants, cf. les articles parus dans Le CRI des travailleurs n° 7 (http://groupecri.free.fr/article.php?id=219) et n° 10-11 (janv.-fév. 2004), http://groupecri.free.fr/article.php?id=188.

Pour lutter contre la junte militaire, il faut avancer des revendications prolétariennes et véritablement révolutionnaires, qui peuvent seules permettre aux prolétaires birmans de poursuivre leur combat pour l’émancipation nationale et sociale. Or, dans ce pays comme ailleurs, cela suppose avant tout qu’ils combattent pour prendre eux-mêmes le pouvoir, en entraînant derrière eux les paysans pauvres. C’est pourquoi les travailleurs et notamment les révolutionnaires du monde entier doivent dénoncer tous les appels au prétendu « dialogue ». Même l’Express (semaine du 4 au 10 octobre) semble plus lucide sur la situation que nos pacifistes de gauche, voire d’extrême gauche : « À moins d’une révolution, improbable toutefois, rien ne devrait changer. »

Quant à la solidarité concrète que les travailleurs de France pourraient apporter au peuple birman, elle consiste à dénoncer et combattre le patronat de Total et des autres entreprises françaises qui interviennent en Birmanie et à organiser une manifestation ouvrière et populaire contre l’ambasse birmane à Paris, donc contre Sarkozy qui, comme ses prédécesseurs, préserve les relations diplomatiques avec la dictature.


1) Daniel Sabai, « La crise birmane, ses fondements et l’urgence de la solidarité : assez d’hypocrisie, des actes ! », 30 septembre 2007, http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article7609

2) http://www.info-birmanie.org/images/stories/depuis%20le%2015%20ao%FBtib.pdf

3) http://www.cmaq.net/fr/node/28287


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