Le CRI des Travailleurs
n°24
(novembre-décembre 2006)

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PCF : Manoeuvres bureaucratiques et programme « anti-libéral » indigent


Auteur(s) :Ludovic Wolfgang
Date :17 novembre 2006
Mot(s)-clé(s) :PCF, élections-2007
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D’un point de vue médiatique, l’actualité politique reste largement dominée par les préparatifs de la campagne électorale pour 2007. Même s’il contribue à dissimuler les enjeux essentiels du moment, il faut bien prendre en compte ce fait incontournable pour apporter aux travailleurs des réponses aux questions qu’ils se posent. Or il ne s’agit pas là seulement d’agitations superficielles : dans le cadre d’un État bourgeois formellement « démocratique », le moment des élections au suffrage universel est important car celles-ci permettent de donner un nouveau souffle à la politique de la bourgeoisie : quelles que soient les nuances entre les principales forces politiques qui la servent, celle-ci a besoin de relégitimer son pouvoir régulièrement, en faisant croire au peuple qu’il a une capacité de choix, rendant ainsi les travailleurs en particulier co-responsables des mesures qu’ils subissent. Tel est le piège constitutif de la « démocratie » bourgeoise, où la minorité capitaliste domine toujours, mais où la majorité laborieuse est entretenue dans l’illusion qu’elle a la capacité d’agir et qu’elle doit donc se soumettre de bonne grâce au nouveau gouvernement qui, tous les cinq ans, sort des urnes… C’est dans ce cadre qu’il faut à la fois combattre les illusions électoralistes et réformistes, et utiliser l’existence même de la campagne électorale pour populariser les idées et le programme de l’anti-capitalisme conséquent et cohérent. Celui-ci doit être formulé et défendu de manière populaire, en partant de l’état d’esprit et des revendications actuels des travailleurs, mais il ne saurait être que communiste et révolutionnaire, à moins de sombrer dans l’opportunisme en déformant la conscience de classe.

Les réformistes instrumentalisent les aspirations et les luttes des travailleurs pour gagner des voix

C’est dans l’objectif de remporter les élections de 2007 que les partis de gauche et les directions syndicales élaborent leurs comportements respectifs en cet automne. Ainsi la ribambelle de « journées d’action » dispersées et sans lendemain, appelées par les directions syndicales et soutenues en paroles par les partis de gauche, s’explique-t-elle non par la nécessité de canaliser un mouvement spontané (comme c’était le cas au printemps), ni par la volonté d’engager une quelconque mobilisation d’ampleur contre la politique du gouvernement, mais uniquement par une manipulation électoraliste : il s’agit de faire semblant de se battre aujourd’hui pour capitaliser électoralement, dans six mois, le mécontentement des travailleurs ainsi instrumentalisé. C’est pourquoi les manifestations éparpillées en question rassemblent peu de monde : les travailleurs ont fort peu d’illusions à l’égard d’une stratégie qu’ils savent particulièrement inefficace dans la période actuelle, tant elle est artificielle. Ainsi s’explique la faiblesse respective du cortège d’enterrement de la lutte contre la privatisation de GDF le 14 octobre, du rassemblement des retraités le 19 octobre (dans le cadre d’une « semaine bleue » pour l’augmentation de 200 euros mensuels des retraites et pensions), de la journée de mobilisation à France Telecom du 23 octobre (pour protester contre la dégradation des conditions et des horaires de travail), de la journée d’action appelée par la fédération CGT de la métallurgie pour les salaires le 26 octobre, de la grève de 24 heures du 8 novembre à la SNCF (appelée par la plupart des fédérations, elle n’avait en réalité pas d’autre but réel que d’améliorer le « dialogue social » dans l’entreprise (1)) ou encore de la journée de grève du 14 novembre à La Poste.

Manœuvres et programme « anti-libéral » indigent du PCF

De son côté, le PCF continue de se placer au centre de la coalition des forces « anti-libérales » qui se retrouvent dans ce qu’il reste des collectifs pour le Non au référendum du 29 mai, et il y poursuit son objectif de « contribuer à construire avec d’autres un large rassemblement populaire pour mettre en place une politique alternative avec un fort contenu antilibéral ». Nous avons déjà analysé l’orientation du PCF et de cette coalition dans notre précédent numéro, en montrant que sa principale raison d’être était d’aider le PS à conquérir le pouvoir tout en le « stimulant » par la gauche pour qu’il veuille bien atténuer son « social-libéralisme ». Depuis, la volonté d’imposer Marie-Georges Buffet comme candidate de la coalition anti-libérale s’est confirmée et, quelle que soit l’animosité de certaines autres forces de celle-ci contre l’hégémonie du PCF, on voit mal comment ce scénario cousu de fil blanc pourrait ne pas se réaliser. D’autant plus que l’ex-parti stalinien a plus d’un tour dans son sac pour s’imposer « démocratiquement », par exemple en recourant à la bonne vieille méthode consistant à mettre en place des dizaines de faux collectifs « unitaires » locaux pour augmenter son propre poids global, si l’on en croit un article du journal Le Monde (7 novembre), qui semble assez fiable puisqu’il cite à ce sujet les protestations de divers responsables des forces de la coalition… et du PCF lui-même !

Dans cette perspective, il n’est pas étonnant que le programme du PCF se présente avant tout comme une bouillie incessamment ressassée de formules-marketing vides de contenu que l’on peut lire par exemple dans le compte-rendu de la conférence nationale du PCF des 21-22 octobre (paru dans le supplément de L’Humanité, Communistes. Lien d’échanges et de communication) : « changer vraiment », « faire bouger toute la gauche », « faire dérailler le bipartisme », « jouer la gagne », « bouleverser l’ordre établi » — formule cependant trop radicale, vite corrigée en un simple « bouleverser la donne politique pour battre la droite et réussir à gauche », etc. Sachant que l’objectif ultime est, figurez-vous, d’instaurer un « monde de justice et de paix » en faisant de cette « planète un village où chacun se respecte »… Sous ce bavardage lamentable n’en pointe pas moins la bonne vieille tradition social-patriote qui règne depuis 1934 au PCF, avec la volonté de préserver « la place et le rayonnement de la France dans le monde » qui seraient « menacés », et de promouvoir « la France de la paix, de la solidarité, de la France jouant un rôle moteur dans la construction de coopérations, de co-développement » (rapport de Jean-Marc Coppola pour le Conseil national). Au-delà de quelques objectifs élémentaires comme le SMIC à 1 500 euros ou « une véritable égalité professionnelle entre hommes et femmes », « une véritable sécurité dans l’emploi et la formation », voire une « éradication du chômage et de la précarité », les seules perspectives un peu concrètes mises en avant par le PCF n’ont rien à voir avec la lutte de classe, puisqu’il s’agit d’« une grande conférence nationale sur les salaires » (ce qui correspond d’ailleurs exactement à l’annonce faite par Villepin lors de sa conférence de presse de rentrée, fin août), des « assises pour l’emploi » (ce qui correspond exactement, cette fois, à la demande du MEDEF adressée aux directions syndicales de « s’asseoir » autour d’une table pour parvenir à un diagnostic partagé) et une « réforme de la fiscalité » (soit un peu de redistribution réformiste, mais sans s’en prendre le moins du monde à la propriété privée des moyens de production). — En un mot, non seulement le PCF n’a pas d’autre but que de soutenir le PS, mais en outre son propre programme n’est rien d’autre qu’une bien pâle resucée des programmes réformistes les plus indigents qu’on ait pu connaître par le passé.


1) Il est vrai que la nouvelle PDG Anne-Marie Idrac s’est montrée particulièrement provocante contre les acquis et les traditions de lutte des cheminots et qu’elle tente de court-circuiter les syndicats nationaux au profit d’un « dialogue social » atomisé au niveau local… Elle a ainsi annoncé qu’elle comptait lutter contre la « distorsion de concurrence » dont souffrirait la SNCF en comparaison des opérateurs ferroviaires privés, puisque ceux-ci sont astreints au seul Code du travail et non au statut des cheminots : ils « bénéficient » ainsi, a-t-elle dit, d’un avantage « de 25 à 30 points par agent ». Idrac voudrait donc imposer une « adaptation » du statut, c’est-à-dire en fait le démanteler. — Elle a aussi déclaré, en fustigeant les fortes traditions de lutte des cheminots : « Je ne sais pas comment on va faire mais ce n’est pas possible que la SNCF soit la seule boîte d’Europe dont on dise, elle est avant le mur de Berlin. »


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