Le CRI des Travailleurs n°24 << Article précédent | Article suivant >>
Document de la section de l’Université Paris-I/IV de la FSE (Fédération Syndicale Étudiante)
La Commission Université/Emploi, lancée par Villepin le 25 avril à la Sorbonne, a rendu son rapport final mardi 24 octobre 2006. Dans la droite ligne des « synthèses » des débats académiques (consultables à l’adresse suivante : http://www.debat-universite-emploi.education.fr/debats_academiques.htm) et du rapport d’étape rendu public le 29 juin (http://www.debat-universite-emploi.education.fr/fichiers_pdf/bilan_etape_29juin.pdf), le rapport final est un concentré d’attaques qu’on peut classer dans trois grands chantiers :
• Le chantier de l’information-orientation-sélection pour diriger les étudiants, de préférence avec leur accord, vers les filières que demande le patronat.
• Le chantier de la professionnalisation afin de redéfinir le contenu et l’organisation des diplômes en fonction des exigences du patronat.
• Le chantier de la restructuration de l’université (mode de fonctionnement, statut des personnels, etc.) pour la transformer en entreprise autonome de formation du capital humain.
Ces trois chantiers sont évidemment liés et visent à intégrer, à soumettre complètement l’Université à la logique capitaliste, ce que nous appelons capitalisation de l’Université.
Les propositions de la commission découlent entièrement de deux présupposés. Le coup de force de cette commission est de faire passer des énormités pour des évidences indiscutables, suivant les recommandations du dicton « plus c’est gros, plus ça passe ».
Il s’agit de marteler que le système d’orientation est « opaque », « incomplet », « créateur d’injustices » (p.11). Une fois ce « constat d’échec » (p.11) tiré, la voie est libre pour réorganiser l’orientation autour d’un principe simple : l’intérêt de l’étudiant serait d’aller dans la filière correspondant aux besoins du patronat. Autrement dit, une certaine catégorie d’étudiants (les étudiants des classes populaires) n’aurait pas leur place à l’université et leur orientation « naturelle » les pousserait à aller dans les filières professionnalisées courtes.
Nous refusons ce « constat » : la réelle explication de l’échec des enfants des classes populaires réside dans le désengagement financier de l’État, la suppression des heures des enseignements fondamentaux, l’obligation de se salarier pour subvenir à ses besoins.
Il s’agit de faire croire qu’une réforme du système universitaire ferait baisser significativement le chômage. C’est pourtant un non-sens réfuté par la seule statistique suivante : « on estime à 10% à peine du nombre de chômeurs les offres d’emplis non satisfaites pour cause de formation inadéquate » (2). Même si on imaginait une main d’œuvre parfaitement et immédiatement conforme aux besoins patronaux, le chômage ne pourrait de toute façon être réduit qu’à la marge. Il est d’ailleurs cocasse de constater que, alors que le chômage n’a cessé de monter pendant que l’enseignement supérieur se professionnalisait toujours plus, les experts de la bourgeoisie persistent à affirmer que la professionnalisation est une solution au chômage !
En fait, la réforme du système universitaire est exigée par les patrons pour augmenter leur profit, et non pour résoudre le problème du chômage. Ce présupposé est une escroquerie intellectuelle grossière : ce n’est pas le système universitaire qui est responsable du chômage de masse mais le fonctionnement même du système capitaliste.
Le rapport proclame : « Nous visons l’efficacité des poursuites d’études dans l’enseignement supérieur, en terme d’insertion professionnelle, en cohérence avec les besoins des futurs employeurs comme avec les aptitudes et les aspirations des jeunes concernés » (p.10). Comme les besoins des employeurs sont bien déterminés et connus, il s’agit de faire coïncider les aspirations des jeunes à ces besoins. D’où l’importance de la restructuration du dispositif d’orientation pour atteindre cet objectif.
Dès le collège, l’orientation doit être pensée uniquement en fonction de l’impératif d’insertion professionnelle : « La commission préconise d’unifier au niveau opérationnel, les fonctions d’orientation et d’accompagnement à l’insertion professionnelle des étudiants. L’orientation doit être repensée totalement comme une démarche continue et graduée du collège au doctorat » (p.30). Les conseillers d’orientation devront faire comprendre aux jeunes qu’on ne s’oriente pas en fonction de ses goûts mais en fonction de son projet professionnel, et ceci dès le plus jeune âge. Ainsi, la synthèse du débat de l’académie de Poitiers l’exprime crûment : « Il faut donc donner aux lycéens une information aussi objective et complète que possible sur les études supérieures et leurs débouchés professionnels, et les aider dès la classe de seconde à construire progressivement leur projet personnel et professionnel pour pouvoir passer des envies et des représentations à la réalité. »
Et comme les conseillers d’orientation, protégés (pour combien de temps ?) par leur statut de fonctionnaires, ne sont en effet pas assez « souples » et rechignent à véhiculer le discours patronal sur l’université, il faut penser à faire intervenir d’autres acteurs. Déjà aujourd’hui, des dispositifs comme celui de « CAP en FAC » court-circuitent les conseilleurs d’orientation, en envoyant des étudiants sous-payés faire la promotion des filières les plus professionnalisées (3). Mais rien ne vaut la participation directe des représentants du patronat au collège et au lycéens pour convaincre les jeunes de bien s’orienter : le rapport voit la « nécessité de faire intervenir, dès le niveau du collège et du lycée, des professionnels dans les établissements scolaires ainsi que l’intérêt d’expériences concrètes des milieux de travail (stages, visites, etc.). La nécessité d’une action continue dès le collège est soulignée fréquemment » (p.30). Cette participation doit bien sur continuer à l’université : « Le monde économique est prêt à établir des conventions avec les universités afin de mettre à disposition à temps partiel ou à temps complet pendant des périodes données, des personnels pour qu’une meilleure connaissance du monde professionnel puisse être acquise par les étudiants » (p.39).
Les propositions les plus précises concernent l’année de terminale et le premier semestre universitaire. Au mois de mars de l’année de terminale, une commission d’orientation, c’est-à-dire un conseil de classe élargi « aux représentants des universités de l’académie et à des représentants des milieux socioprofessionnels » (p.18) se réunira pour se prononcer sur la « pertinence des vœux de l’élève » (p.18). Autrement dit, les représentants patronaux auront leur mot à dire sur le choix d’orientation du lycéen ! Il ne s’agira donc pas uniquement de dire au lycéen s’il a le niveau correspondant à son choix d’orientation, mais d’introduire un nouveau paramètre, à savoir la pertinence « économique » de son choix.
À l’entrée de l’université, l’étudiant sera obligé de signer un « contrat » avec l’université où il sera contraint de s’engager sur un « projet de formation et d’insertion ». Ce contrat ne peut bien sûr qu’être symbolique, afin d’asséner le message utilitariste suivant : il est inadmissible de commencer des études simplement parce qu’on est intéressé par une matière. Les études ne servent qu’à préparer un métier.
Au cours du premier semestre, l’étudiant suivrait obligatoirement un « module de projet professionnel » (p. 23) et à la fin de ce semestre, un premier bilan devra être effectué afin de vérifier que l’étudiant a atteint l’objectif fixé lors de la signature de son « contrat ». Lors de cet « entretien d’orientation » (p. 19), l’étudiant pourra se voir proposer la réorientation hors de l’université, notamment en filières STS ou en IUT (le rapport préconise d’augmenter le nombre de places dans ces filières afin d’accueillir les « réorientés »).
Afin que l’orientation se fasse en fonction des perspectives d’insertion professionnelle, le rapport veut « créer dans chaque université, pour le 1er septembre 2007, un observatoire des parcours des étudiants et de leur insertion professionnelle » (p.32). L’université ne doit pas seulement transmettre des savoirs, elle doit aussi œuvrer à l’insertion de ses diplômés : « Il convient donc bien de considérer que l’université a trois missions qui sont complémentaires entre elles: la création du savoir, la diffusion des connaissances et l’insertion professionnelle des étudiants » (p.12).
Plus en amont, le rapport suggère d’utiliser les travaux personnels encadrés (TPE) en classe de première pour « participer à l’élaboration du projet professionnel de l’élève » (p. 31). Il s’agit de professionnaliser les TPE pour inciter les élèves à s’orienter vers les filières les plus professionnalisées.
Le rapport avance prudemment sur la sélection, mot tabou. Toutefois, l’ensemble des mesures concernant l’orientation vise à dissuader une partie des étudiants de poursuivre des études universitaires. Comme il est politiquement très risqué de mettre en place une sélection à l’entrée de l’université ou à l’issue du premier semestre, l’objectif est d’encourager l’étudiant à se réorienter « volontairement ». Mais il faut bien être conscient que ce dispositif d’orientation peut servir de marche pied à l’instauration d’une sélection en bonne et due forme à l’issue du premier semestre universitaire (comme le défend Sarkozy dans son programme présidentiel).
En outre, le rapport reprend une position de la Conférence des Présidents d’Université (CPU) en se prononçant pour « ramener la sélection en début de M[aster] afin de supprimer la rupture entre M1 et M2 et encourager une continuité de cursus pour les deux années du M[aster] » (p.37). Le rapport s’inscrit ainsi dans les objectifs du processus de Bologne (lancé en 1999 par les ministres européens de l’éducation) qui est de faire de la licence un diplôme terminal pour la masse des étudiants. Dans la logique du LMD, il est en effet absurde de sélectionner à l’entrée du M2 puisque la maîtrise n’est plus un diplôme reconnu sur le marché du travail.
Enfin, comme nous le verrons plus loin, le rapport ouvre d’autres pistes en prônant une gouvernance à la carte des universités qui leur permettrait si elles le souhaitaient de sélectionner leurs étudiants à l’entrée…
L’Université non professionnalisée, organisée en disciplines, transmettait uniquement des savoirs et des savoir-faire. Les savoirs sont des connaissances sur la nature et les activités humaines. Les savoir-faire sont des pratiques sur le monde extérieur. Les savoir et savoir-faire sont acquis en dehors de la production, au sein de l’institution scolaire. Les savoir et savoir-faire sont les fondements de toute activité de transformation de la matière visant à satisfaire des besoins humains. Leur acquisition définit une qualification – sanctionné par un diplôme non professionnalisé – reconnue sur le marché du travail via les conventions collectives.
Une fois l’étudiant embauché, sur la base de sa qualification, l’entreprise prenait en charge sa formation professionnelle, c’est-à-dire la transmission de savoirs professionnels (connaissances liées à un poste de travail) et l’inculcation de savoir-être (attitudes exigées pour la mise en valeur du travail subordonné). Ces « savoirs » constituent les compétences que les patrons jugent nécessaires pour que le salarié soit « opérationnel » sur son poste de travail.
La professionnalisation des études vise à faire prendre en charge par l’Université la formation professionnelle du travailleur – autrefois du ressort de l’employeur après la fin de la formation initiale (non professionnalisée). Cette prise en charge n’est pas une simple extension du champ de l’Université. Elle a des incidences sur le contenu des savoirs et savoir-faire transmis par l’Université, puisque avec la professionnalisation de l’Université, la formation non professionnelle est subordonnée directement à la formation professionnelle, et donc à la logique du capital (qui est de produire des hommes destinés au rôle de marchandises pour le capital et conformément à cette destination). Les savoirs et savoir-faire sont ainsi redéfinis en fonction des compétences à acquérir. Avec la professionnalisation des études, il n’existe plus de qualification, distincte d’un agrégat de compétences, et reconnue en tant que telle sur le marché du travail. La professionnalisation des études consacre l’individualisation des rapports capital/travail : le travailleur tente de valoriser sur le marché du travail son portefeuille de compétences (qui lui sont propres).
La professionnalisation de l’Université consacre l’emprise directe du patronat sur l’Université. Puisque l’Université doit désormais faire acquérir à ses étudiants les compétences définies par les employeurs, ceux-ci exercent logiquement un contrôle global sur les contenus et l’organisation des diplômes.
Le rapport préconise la professionnalisation généralisée de tous les cursus : « L’idée générale de la commission est de considérer qu’il est nécessaire de professionnaliser toutes les filières » (p.35)
Le rapport se propose de « rendre obligatoire dans toutes les licences, un module projet professionnel personnalisé pour l’année universitaire ainsi que l’acquisition de compétences de base dans trois domaines : 1. la maîtrise d’une langue vivante étrangère(4), 2. l’informatique et les outils bureautiques, 3. la recherche d’un emploi (rédaction de CV, entretien d’embauche, etc.), la connaissance des secteurs économiques et proposer un parcours professionnalisé en troisième année de licence (L3) » (p.36)
Il s’agit non seulement d’introduire des modules professionnalisants, mais d’en faire le socle même du diplôme de licence (notamment pour ceux qui se destinent à quitter l’université après la licence). Le rapport prétend hypocritement que ces modules vont « revaloriser » la licence. C’est exactement le contraire qui est vrai : la professionnalisation des cursus permettra aux patrons d’avoir des employés « prêts à l’emploi », d’où le bénéfice pour eux (même s’ils n’en embaucheront pas plus !). En revanche, les étudiants auront acquis moins de connaissances (puisque le cœur de la licence est constitué des « compétences de base »), d’où la dévalorisation de leur diplôme. Seuls les étudiants qui seront autorisés à poursuivre en master pourront réellement préparer un diplôme sanctionnant l’acquisition de connaissances solides. Et ce n’est pas la multiplication de mesures gadgets comme l’organisation de cérémonies de remise du diplôme (p.36) qui pourra revaloriser le diplôme de licence.
D’ailleurs, derrière les phrases mystificatrices sur la future revalorisation de la licence, le rapport reconnaît de fait que ses recommandations conduisent à sa dévalorisation. Aux étudiants inquiets du peu de connaissances transmises au cours du cursus de licence, le rapport fait miroiter (p.36) la possibilité de compléter plus tard leur formation en bénéficiant des différents dispositifs de formation tout au long de la vie ou de bénéficier de la validation des acquis de l’expérience.
Dans le cadre de la réforme LMD, l’étudiant doit obtenir 180 crédits ECTS pour valider sa licence. Déjà aujourd’hui, ces crédits ne sanctionnent pas uniquement l’acquisition de connaissances, mais peuvent tout aussi bien « rémunérer » des stages, du badminton, ou l’activité d’élu étudiant ! Le rapport encourage les universités à donner des crédits ECTS (au niveau licence) aux étudiants obligés de se salarier pour financer leurs études (5) (p.39-40) même si leur travail n’a strictement rien à voir avec leurs études (6). Bref, tous les moyens sont bons sont distribuer des crédits ECTS en licence. Et le rapport ose nous faire croire que cela contribuera à revaloriser le diplôme de licence ! De qui se moque-t-on ? Le rapport en est réduit à inviter à appeler les entreprises à évaluer les futures titulaires de ces licences dévalorisées en fonction de leur « motivation » et de leur « créativité » (p.44). Faute de connaissances solides, l’étudiant pourra seulement miser sur sa capacité à se vendre… quelle perspective enthousiasmante !
En fait, le but est d’éviter les redoublements (trop coûteux) et de distribuer des licences générales dévalorisées pour la masse des étudiants destinés à entrer sur le marché du travail avec leur licence (7) où ils auront principalement l’acquis l’« essentiel », à savoir quelques mots d’anglais, la manipulation de quelques logiciels, et l’esprit d’entreprise ! Une minorité d’étudiants, qui s’orientera très tôt dans des cursus sélectifs (comme les bi-licences qui se multiplient dans les universités), acquerra elle de véritables connaissances qui lui permettra de suivre un master.
Le rapport affirme : « Il convient aussi que la formation s’attache à développer non seulement des savoirs disciplinaires mais aussi des compétences plus transversales qui seront souvent précieuses dans la vie professionnelle » (30).
Pour acquérir ces « compétences transversales » (savoirs professionnels et savoir-être), le rapport préconise la création de nouveaux modules. Outre l’écriture de CV et l’apprentissage à la recherche d’emploi, le rapport veut promouvoir l’esprit d’entreprise : « inciter les étudiants à devenir entrepreneurs, créer des entreprises et leur apprendre à entreprendre » (p.46), « conforter la place des formations dévolues à l’entrepreneuriat » (p.46). Le rapport préconise également l’enseignement d’une vulgate économique visant à faire partager aux étudiants les préoccupations patronales : « Créer des modules de formation à l’intelligence économique et à la compréhension économique » (p.56) ou encore « former les étudiants aux connaissances et compétences techniques nécessaires au développement économique des entreprises sur les marchés européens et mondiaux ainsi qu’à leur nécessaire protection par rapport aux concurrents » (p.56)
Bien sur, un axe important de la professionnalisation des cursus est la mise en place de stages obligatoires dès la licence : « Valoriser, encadrer les stages et prévoir un stage obligatoire dans chaque cursus, y compris dans les licences généralistes » (p.41). Les stages ne devront pas être encadrés par une loi contraignante : l’encadrement se résume à une invitation lancée aux « partenaires sociaux » pour qu’ils négocient les modalités d’exercice du stage (p.41)
Le rapport propose également de développer l’apprentissage et l’alternance (y compris en licence de lettres, précise-t-il !), dispositifs qui se rapprochent le plus de la fusion université/entreprise, et donc qui ont la préférence du rapporteur, qui affirme avec assurance que ces dispositifs sont « plébiscités » (p.43) par les étudiants !
Dans le même sens, et pour mieux marquer la coupure entre licence et master, le rapport suggère que les candidats à l’entrée en master « aient effectué un semestre ou une année de césure : volontariat international en entreprise, contrat en alternance ou emploi en entreprise, en association, etc. » (p.37).
Sur la base d’un soi-disant « constat quasi unanime : les relations universités employeurs sont globalement encore très insuffisantes » (p.53), le rapport préconise l’intervention directe des professionnels dans les cursus, le développement du financement privé, et une réforme de l’habilitation des diplômes impliquant davantage les employeurs.
Le rapport se félicite que les organisations patronales (rebaptisées organisations représentatives des « entreprises » comme si les entreprises se résumaient à leurs dirigeants) soient disposées (quelle surprise !) à participer à des « modules de formation ou à l’aide à la construction des projets professionnels des étudiants » (p.54), et à « s’engager dans un travail de fond sur la connaissance des réalités de l’entreprise et de l’économie de marché » (p.54)
Pour concrétiser ces bonnes intentions, le rapport invite les universités à passer de plus en plus de « contrats avec les entreprises afin que ces dernières puissent mettre à la disposition des universités, selon des modalités à convenir, des collaborateurs dont le rôle serait aussi de permettre d’intervenir dans les cursus des étudiants afin de contribuer activement à leur professionnalisation » (p.39). Il est en effet tout à fait logique – dans la logique de professionnalisation – que des représentants directs du patronat viennent donner des « cours » et parfaire le conditionnement idéologique, trop mal assuré par des enseignants–chercheurs qui n’ont pas encore intégré leurs nouvelles missions.
Puisqu’il est hors de question d’exiger un réengagement financier conséquent de l’État (8), le rapport veut « rendre plus systématique la participation financière des entreprises à certains programmes d’enseignement et de recherche » (p.38). Le rapport encourage donc « la création de chaires d’entreprises au sein des universités » (p.56) ou, de façon plus modeste et ciblée, le « mécénat d’entreprise » (p.62) pour financer tel « centre de langues fondé sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication » ou tel « centre de ressources documentaires » (p.62). En autorisant le sponsoring, on permet au patronat de définir les priorités de formation et de recherche à la place de l’État. En outre, la création de chaires s’accompagne généralement de bénéfices directs pour l’entreprise sponsor : accès direct aux résultats des recherches, stages obligatoires des étudiants au sein de l’entreprise sponsor, etc.
Enfin, le rapport invite le gouvernement à mieux associer les patrons à « la construction et l’évolution des formations et des filières afin que la réalité du marché de l’emploi soit prise en compte » (p.43), en les faisant participer à « l’expertise des dossiers de création et de renouvellement des formations », « à l’élaboration de certains référentiels de formation », et « au suivi des filières et des formations » (p.43). Ainsi, il s’agit de copier ce qui se fait déjà pour les licences professionnelles, où l’ouverture de la licence est conditionnée à la demande régionale, et où le contenu de la formation est co-construit avec les patrons.
Pour réussir la professionnalisation généralisée, le rapport plaide pour une restructuration d’ampleur des universités — un « pacte national pour l’université » — afin d’accompagner l’évolution de ses missions. Comme nous allons le voir, ce pacte n’est que la reprise du projet Ferry de modernisation universitaire remballé en 2003 suite à la mobilisation étudiante, et qu’on nous ressort aujourd’hui comme une nouveauté…
S’appuyant sur une soi-disant « méfiance qu’inspire au public et à l’administration leur mode de gouvernance actuel » (p.59), le rapport propose une réforme à la carte (sur la base de l’expérimentation) de la gouvernance universitaire. Les universités qui le souhaitent pourront « expérimenter une autonomie plus large, à l’instar de celle qui existe dans la plupart des pays européens, en matière financière (elles bénéficieraient de dotations globales leur laissant le choix d’arbitrer entre dépenses de personnel, de fonctionnement ou d’investissement) » (p.60).
Parmi les types de gouvernance que pourrait choisir une université, le rapport met en avant la « gouvernance des universités de technologie » (p.60) déjà expérimentée par Dauphine. Initialement réservé à des établissements bien précis, le statut d’université de technologie a été étendu par décret à l’université généraliste Dauphine. Ce statut permettrait aux universités de choisir leurs étudiants, de fixer elles-mêmes le montant des frais d’inscription (aujourd’hui fixé nationalement par le ministère), et d’avoir un conseil d’administration encore plus ouvert aux personnalités extérieures.
Le rapport évoque aussi « la gouvernance des universités à conseil d’orientation » (p.60) : cela consisterait à créer un conseil d’orientation (conseil d’orientation stratégique dans le projet Ferry), composé de personnalités extérieures qui émettrait un avis sur les décisions qui engagent l’université sur le long terme (budget, etc.), et qui proposerait l’élection d’un président à un conseil d’administration restreint.
Outre le renforcement de l’autonomie des universités, le rapport préconise de mettre fin à la dichotomie entre filières générales et filières professionnelles. Puisque tous les cursus seront professionnels, le rapport propose :
Sans attendre la réforme de la gouvernance des universités, le rapport recommande plusieurs mesures pour adapter l’université à ses nouvelles missions :
Les fonds consacrés à ces nouveaux services seront autant d’argent en moins pour les véritables missions de l’université : l’enseignement et la recherche.
En outre, les universités seront aussi en concurrence pour capter les financements de l’État. En effet, ceux-ci ne devront plus se faire de façon automatique uniquement en fonction du nombre d’étudiants inscrits, mais également en fonction de l’insertion professionnelle des étudiants : « Le financement public doit (…) prendre en compte l’insertion professionnelle des étudiants » (p.62). Cela à revient à ériger les patrons en juges de la qualité de l’enseignement délivré.
Pour réguler cette concurrence pour capter les fonds publics, le rapport préconise que la toute nouvelle agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES) procède tous les quatre ans à une évaluation des formations (notamment en termes d’insertion professionnelle). Sur la base de cette évaluation, une nouvelle instance bureaucratique, le « Haut conseil indépendant de l’enseignement supérieur et de la recherche (…) aurait la responsabilité de répartir la dotation globale de fonctionnement émanant de l’État » (p.64). Enfin, le directeur général de l’enseignement supérieur pourrait décider de supprimer l’habilitation des diplômes si l’évaluation est trop mauvaise.
Enfin, pour être concurrentielles, les universités devront appliquer, de plus en plus, les techniques de management des « ressources humaines » employées dans les entreprises. Le rapport invite en outre à repenser le statut d’enseignant-chercheur « pour que soit avant tout pris en compte l’investissement de l’enseignant en matière de professionnalisation et d’encadrement des étudiants » (p.63). Déjà surchargé de tâches administratives et prospectives (à la recherche de fonds pour financer la recherche), l’enseignant-chercheur serait, avec ces nouvelles tâches, de moins en moins enseignant et de moins en moins chercheur.
Que signifie la dernière phrase du rapport : « Les esprits sont mûrs pour un rapprochement fertile entre Université et emploi » (p.67) ? Elle constate, à juste titre, que les esprits du syndicalisme cogestionnaire ont capitulé en rase campagne et partagent l’objectif central du gouvernement : parachever la professionnalisation de tous les cursus.
Chez les étudiants (cf. son Mémorandum de mai 2006 intitulé « Propositions pour le débat national université-emploi »), l’UNEF accepte clairement la professionnalisation des cursus pour « faire l’université de tous les métiers ». Elle propose même de « professionnaliser toutes les filières » expliquant que « la distinction filière générale / filière professionnelle n’a aucun sens ». Selon l’UNEF, les modules professionnels doivent être intégrés dans les cursus dès la première année : « D’une façon générale, la professionnalisation doit être considérée comme un contenu d’enseignement à part entière, et être développé de façon progressive de la première à la dernière année universitaire ». Sur les modalités de la professionnalisation, l’UNEF réclame davantage « d’éléments professionnalisant » (citant notamment la « préparation au projet professionnel », « l’apprentissage à la rédaction de CV ou à la réalisation d’entretiens d’embauche »), le renforcement des « modules d’informatique et de langues » dans toutes les filières, et le développement des stages à partir de la troisième année d’études (c’est-à-dire au niveau licence).
Villepin et le syndicalisme cogestionnaire ont chacun intérêt à théâtraliser une opposition factice entre eux (par exemple, l’UNEF oppose sa professionnalisation « durable » à la professionnalisation non « durable » du gouvernement, etc.). Le spectacle de la contestation permettra de focaliser l’attention sur l’anecdote permettant à Villepin de faire passer la professionnalisation généralisée, tandis que le simulacre d’opposition (par l’usage d’un vocabulaire aux consonances « progressistes ») est nécessaire à l’UNEF pour essayer de faire croire aux étudiants qu’elle est un syndicat qui défend leurs intérêts.
Si l’UNEF critique en surface le rapport Hetzel, elle minimise la gravité des mesures proposées. Julliard, président de l’UNEF, a notamment déclaré : « La montagne accouche quand même d’une souris. » Nous ne devons compter que sur nos propres forces : le syndicalisme de lutte doit prendre ses responsabilités et combattre la mise sous tutelle capitaliste de l’Université, et pour une Université publique, gratuite, laïque, critique, de qualité et ouverte à tous.
1) « L’échec en première année de l’enseignement supérieur français résulte souvent de problèmes d’orientation. » (p.11)
2) Samuel Johsua, L’École entre crise et refondation, 1999, p. 25.
3) http://www.edubourse.com/finance/actualites.php?idActus=25329
4) Un enseignement de langues au rabais et purement utilitariste, puisque le rapport insiste (p.36) sur les techniques d’auto-apprentissage grâce aux technologie de l’information (ce qui permettra de se passer des enseignants…)
5) Logique du renoncement où, au lieu d’aider les étudiants à étudier à plein temps dans des cursus de qualité, on leur donnera des ECTS pour qu’ils obtiennent un diplôme totalement dévalorisé ! Le rapport ose même écrire l’aberration suivante : « Aujourd’hui, de plus en plus d’étudiants mais aussi de salariés aspirent à pouvoir combiner une activité professionnelle et une activité de formation » (p.51)
6) Dans le même sens, Ségolène Royal veut donner des crédits ECTS aux étudiants tuteurs.
7) Pour les inciter à arrêter leurs études, le rapport évoque la possibilité de « diversifier les frais de scolarité en fonction de l’avancement de l’étudiant dans ses études » (p.63). Le rapport oublie de préciser que c’est déjà le cas : les frais d’inscription entre 2003 et 2006 ont augmenté de 15 % en licence et de 50 % en master.
8) « Il semble irréaliste, au regard des finances publiques françaises, de faire peser sur l’État seul, l’ensemble du poids financier des universités » (p.62).
Le CRI des Travailleurs n°24
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