Le CRI des Travailleurs
n°31
(mars-avril 2008)

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Non au rapport Attali !


Auteur(s) :Jean Viard
Date :15 février 2008
Mot(s)-clé(s) :France
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La commission « Pour la libération de la croissance française » mise en place par Nicolas Sarkozy, présidée par Jacques Attali, ancien conseiller de François Mitterrand et nouveau transfuge socialiste, a rendu sa copie, un pavé de 334 pages, 316 « décisions ».

Ce serait une gageure que d’essayer d’être exhaustif sur un tel document ; aussi cet essai (projet) est-il subjectif dans ces choix démonstratifs, mais ils reflètent toute la nocivité que nous ont concoctée Sarkozy et son plumitif Attali sous l’œil vigilant du Medef.

« 43 personnalités de différentes sensibilités », libérales bien évidemment, sont les auteurs de ce florilège du libéralisme. Pas moins de 17 PDG ou anciens PDG (Axa, Nestlé, Crédit Agricole, Essilor, Volvo, Areva, Orange, Cetelem…) en constituent l’ossature, flanqués des anciens commissaires européens Mario Monti et Ana Palacio, fleurons de l’Europe néo-libérale et séides du capitalisme, et des journalistes bien-pensants Éric Le Boucher du Monde et Yves de Kerdred du Figaro ; sans oublier Michel Virville, maintenant DRH de Renault, et Jean Kaspar, présenté comme ancien secrétaire général de la CFDT, retraité du mouvement syndical et « gérant depuis 10 ans de son propre cabinet de conseil »…

Toute honte bue, Ségolène Royal rend hommage à cet aréopage de libéraux, de technocrates les qualifiant comme « une équipe d’une grande intelligence et d’une grande diversité », « une aide pour la France ». Son programme est déjà bouclé pour 2012. Du côté des syndicats, Chérèque y a vu « quelques traits positifs », Mailly a déclaré « qu’il fallait y regarder de plus près » et Le Duigou, dirigeant de la CGT, s’est ouvertement félicité de certains points du rapport : « Côté positif, notons l’importance donnée à l’appui à la mobilité, aux reconversions des salariés et à la sécurisation des parcours professionnels. Soulignons la proposition d’élaborer un nouveau statut pour les chômeurs, la nécessité de réformer la représentativité des organisations syndicales, le souci de légitimer les négociations sociales (1) ». En effet, certains de ces points reprennent des propositions importantes de la CGT sur la « Sécurité sociale professionnelle » (2), d’autres confortent l’orientation collaboratrice de la direction confédérale... Thibault a certes critiqué, mais est resté l’arme au pied, freinant la résistance.

En rendant son rapport, Attali a affirmé qu’il était formait un tout cohérent : « Aucune des mesures qui est là ne peut s’appliquer sans être fait dans un ensemble ». Il va de soi que Nicolas Sarkozy est d’accord : « Si certains ont été effrayés par le contenu de vos propositions, moi je les trouve plutôt raisonnables dans l’essentiel. » Le contraire eût été étonnant, tant ces propositions reprennent tous les poncifs, toutes les idées reçues du MEDEF, qu’il est chargé de mettre en œuvre : abaisser le « coût du travail », déréglementer, délocaliser, retirer le maximum de protection aux salariés, casser les services publics, détruire les acquis sociaux, mettre en liberté surveillée la démocratie (passage en force du traité européen, etc.), toiletter la loi de 1905…

Cette bible du capital s’attaque à tous les pans de notre vie économique, sociale, culturelle, sanitaire, démocratique. Loin d’être exhaustifs, voyons-en les grandes lignes et leurs incidences sur les travailleurs.

Éducation

La décision 6 permet aux parents de choisir le lieu de scolarisation de leurs enfants. C’est la fin de la carte scolaire, qui sera entérinée, mais après les municipales. La décision 151 développe le tutorat des élèves des ZEP par des étudiants (dans le cadre d’un service civique hebdomadaire : un travail non rémunéré obligatoire et des enseignants retraités.

La décision fondamentale 2 vise à « constituer 10 grands pôles d’enseignement supérieur et de recherche autour de 10 campus, réels et virtuels, fixant les conditions d’excellence de l’ensemble du système de formation supérieur et de recherche ». Il s’agit d’instaurer à terme un système dual de facs d’élites financées en majeure partie par le privé (décision 22) et de « facs poubelles ». Parallèlement, le rapport préconise l’extension du modèle de l’alternance à tous les niveaux de formation en développant les formations professionnalisantes à l’Université avec la décision 123.

Autant de décisions que les étudiants ont combattues cet hiver, notamment par leur grève contre la loi Pécresse qui vise à privatiser l’enseignement supérieur, à aggraver les inégalités entre les facultés, à substituer des personnels précaires aux fonctionnaires et à introduire la sélection par l’argent, notamment à l’entrée de l’Université.

Droit du travail

La décision 136 permettrait aux entreprises, avec la bénédiction des directions syndicales, de déroger à la durée légale par accord de branche ou accord majoritaire d’entreprise et la 137 autoriserait plus largement le travail du dimanche.

La décision 141 vise à « intéresser les agents du service public de l’emploi (France Emploi) à leurs performances en matière de reclassement », ce qui revient à transformer chaque agent de l’ANPE en flic.

La décision 142 demande de « considérer la situation des chercheurs d’emploi comme une activité rémunérée sous forme d’un "contrat d’évolution" avec un accompagnement renforcé ». Il s’agit d’une idée qu’on peut trouver notamment chez les dirigeants de la CGT (voir le texte de Le Duigou sur le projet de Sécurité Sociale Professionnelle en 2004 et notre critique de ce projet). Il s’agit de considérer comme normal que le « parcours professionnel » d’un travailleur alterne périodes de travail et période de « chômage actif », et donc de banaliser le licenciement et de marginaliser davantage la lutte contre les licenciements.

Enfin, alors que la grève est la meilleure arme dont disposent les travailleurs pour se défendre contre les attaques des patrons et du gouvernement, Attali veut encore renforcer l’arsenal anti-grève et étendre la « loi sur le service minimum ». Le droit de grève est un droit démocratique fondamental : aucune entrave ne peut être acceptée !

Sécurité sociale et santé

Le rapport Attali propose de :

Fonction publique et réduction de la dépense publique

La décision 252 confirmerait le principe systématique du non remplacement de deux fonctionnaires sur trois partant à la retraite. Les décisions 253 et 254 mettraient à mal le statut des fonctionnaires, puisqu’elles permettraient la diminution de la part des promotions au choix et mettraient en place des primes liées à la performance (collective et individuelle) des agents.

Nous nous prononçons au contraire :

Enfin, avec la décision 26, Attali veut nous imposer une nouvelle réduction des dépenses publiques qui devront atteindre 1% du PIB par an à partir de 2009, soit 20 milliards d’euros de réductions par an pendant 5 ans.

Retraites

La décision 121 a pour objet de faire sauter le verrou de la retraite à 65 ans, avancée sous la forme prudente de « permettre à chacun de retarder, s’il le désire, son départ à la retraite » et de lever toutes les interdictions au cumul emploi-retraite (décision 134). Dans les deux cas, tant pis pour les jeunes qui ne trouvent pas de travail !

Non seulement le rapport accepte tous les allongements (venus et à venir) de durée de cotisations, mais il en tire la conclusion chère à tout libéral en estimant : « La montée en puissance de l’épargne retraite individuelle ou collective est donc nécessaire. » (Décision 305.)

Contre cette orientation, nous nous engageons pour la défense des régimes spéciaux de retraite, contre tout allongement de la durée des cotisations, pour le droit à la retraite à 60 ans à taux plein (55 ans pour les métiers pénibles), sans se laisser diviser par un gouvernement et une commission qui, pour faire passer ces attaques contre tous, tentent de dresser les travailleurs les uns contre les autres.

Financement, représentativité et fonction des syndicats

Les décisions 117 et 118 visent à « moderniser » la loi de 1884 : « Le financement des partenaires sociaux doit reposer sur les cotisations de leurs membres et sur la compensation de leur participation à des missions de service publics. » L’idée consiste à transformer le syndicat, instrument de lutte des travailleurs, en une agence qui fournirait des services individualisés destinés à ses adhérents, comme « - information et conseil sur les relations professionnelles collectives (contenu des conventions collectives) et individuelles (mutation, augmentation salariale) ; - protection juridique en cas de litige avec l’employeur ; - aide et assistance à la réorientation professionnelle comme en Suède ; - participation aux actions de requalification ou de mise à niveau ; - réflexions prospectives sur les emplois de demain. »

La décision 119 entend « faire de la négociation collective le moyen privilégié de la transformation du droit du travail et de la maîtrise des évolutions socio-économiques des entreprises ». Il s’agit de renforcer la loi de « modernisation du dialogue social » de 2007 (consistant à institutionnaliser les « concertations » gouvernement-confédérations syndicales), dite loi Larcher, manière d’intégrer encore davantage les organisations syndicales dans la collaboration de classe.

Fonder la représentativité syndicale sur les résultats des élections professionnelles paraît de prime abord positif, puisque des organisations comme SUD, Solidaires ou la CNT pourraient bénéficier de la même représentativité que les institutionnelles (CGT, CFDT, FO, CFTC, CGE-CGC). Sauf qu’aussitôt elle est assortie d’une condition (la décision 116) qui retire beaucoup d’intérêt à cette mesure puisque la représentativité d’un syndicat national serait liée à l’obligation d’être signataire d’au moins un tiers des 50 conventions collectives les plus importantes. Cette décision est d’une réelle gravité car elle obligerait certains réfractaires à passer sous les fourches caudines de ce critère pour pouvoir « bénéficier » du titre à la représentativité. La volonté d’Attali, par cette décision, est d’intégrer encore davantage les directions syndicales dans la gestion des contre-réformes et d’affaiblir les syndicats issus du mouvement ouvrier ou qui s’en réclament.

Ce pot-pourri d’idées libérales est donc un ensemble de dispositions qui permettront d’amplifier encore l’offensive contre les travailleurs et de saborder leurs dernières conquêtes sociales. Ainsi le rapport Attali vient-il au secours des souhaits de Sarkozy qui se vante de vouloir effacer de la mémoire collective ouvrière les acquis de 45 et de 68.

Mais il y a loin de la coupe aux lèvres : Sarkozy ne pourra faire passer ses contre-réformes qu’en fonction du rapport de forces social. Pour ce faire, la classe ouvrière sait qu’elle ne peut compter que sur elle-même, puisque les directions syndicales d’accompagnement sont toutes prêtes à mettre en œuvre ce terrible rapport, pur modèle anglo-saxon, aidées par les politiciens de tous bords.

C’est évidemment le chemin inverse que doivent emprunter les travailleurs pour ouvrir à nouveau la perspective du changement et de l’émancipation. Il est aujourd’hui vital de développer à nouveau le syndicalisme de classe, alors que le syndicalisme d’accompagnement s’organise afin de diviser et d’affaiblir les travailleurs, au niveau national et international. Ce syndicalisme de classe ne peut avoir pour seul but d’arracher au capital des réformes positives pour les salariés, mais aussi celui d’abolir l’exploitation capitaliste.

Cette nouvelle tentative de régression, la gravité des attaques appellent donc une riposte massive, un nouveau tous ensemble par les luttes conduisant à la grève générale interprofessionnelle, seule arme pour renvoyer le rapport Attali aux poubelles de l’Histoire et Sarkozy à Neuilly. Y parvenir implique un renforcement au sein des syndicats du courant syndical de classe et de masse pour chasser les directions syndicales s’il n’est pas possible de les contraindre à répondre aux besoins et aux intérêts des travailleurs. C’est aussi rejoindre le CILCA pour renforcer ce courant lutte de classe et antibureaucratique nécessaire à l’information, à la coordination et à l’action des militants syndicaux déterminés à défendre coûte que coûte, au-delà des différences d’origine et de sensibilités, les intérêts collectifs de la classe ouvrière.

15 février 2008

Jean Viard,

militant CGT retraité,

membre du CILCA


1) Article de J.-C. Le Duigou du 24/01/08, http://cgteduc93.free.fr/spip.php?article1224

2) Cf. la critique du projet de SSP de la CGT par le CILCA, http://courantintersyndical.free.fr/post.php ?ID=60


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