Le CRI des Travailleurs
n°31
(mars-avril 2008)

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Pakistan : La lutte pour la démocratie et contre l’impérialisme passe par l’indépendance politique du prolétariat


Auteur(s) :Frederic Traille
Date :20 mars 2008
Mot(s)-clé(s) :international, Pakistan
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Les élections législatives pakistanaises du 18 février 2008 se sont déroulées dans un contexte marqué par l’assassinat de Benazir Bhutto, chef de file d’un des principaux partis en présence, le PPP (Parti du Peuple Pakistanais). Si ce parti l’a finalement emporté, sa majorité au Parlement n’est que relative et on se dirige vers un gouvernement d’« union nationale ». C’est en tout cas l’exigence des puissances impérialistes, omniprésentes dans la région, qui souhaitent qu’un gouvernement doté d’une légitimité forte exerce le pouvoir, alors que la dictature militaire de leur ancien laquais, Pervez Musharraf, n’a plus la capacité de contenir les aspirations du peuple pakistanais.

Le Pakistan, base avancée de l’impérialisme dans la région

Depuis des années, le Pakistan constitue un allié de choix pour les impérialistes dans la région, et en particulier pour les États-Unis. Alors que l’URSS représentait « l’empire du mal » pour l’Amérique de Reagan, c’est le Pakistan qui a servi de base logistique aux Talibans de Ben Laden et consorts, financés par les États-Unis, pour prendre le pouvoir en Afghanistan. Avec les attentats du 11 septembre, les forces islamistes sont devenues le nouvel ennemi. Le général Musharraf, arrivé au pouvoir en 1999 suite à un coup d’État, a suivi docilement cette nouvelle orientation américaine et s’est fait fort d’être le meilleur allié des États-Unis et des autres puissances impérialistes de l’OTAN dans leur « lutte contre le terrorisme », c’est-à-dire dans la guerre qu’ils ont lancée en Afghanistan et dont la population afghane continue de payer le prix encore aujourd’hui (1).

Toutefois, cela ne se passe pas aussi facilement que prévu pour le régime de Musharraf. S’il s’appuie sur l’armée, il a aussi dû compter dès le départ sur les forces islamistes pour assurer son pouvoir. Le parti qui le soutient, le PML-Q, a été forgé sur la base d’une alliance avec les partis religieux après une scission de la PML (Ligue Musulmane du Pakistan), l’un des deux partis qui exercent le pouvoir civil en alternance avec le PPP depuis les années 1970 (hors des périodes de dictature militaire). Mais surtout, les masses pakistanaises n’acceptent pas de servir les puissances impérialistes quand celles-ci combattent leurs frères afghans. Ainsi l’OTAN a-t-elle dû renoncer à utiliser directement l’armée pakistanaise dans sa guerre en Afghanistan et le soutien de Musharraf à cette guerre, en particulier l’utilisation de l’espace aérien pakistanais, a déjà déclenché des manifestations de masse dans tout le pays.

Il s’avère ainsi que le régime de Musharraf est devenu trop faible pour servir efficacement les intérêts impérialistes dans la région. Il se montre incapable de maîtriser les fondamentalistes religieux qui sont basés à la frontière afghane pour préparer leurs attaques contre les troupes d’occupation en Afghanistan. Les masses pakistanaises sont exaspérées aussi bien par les attentats des forces islamistes, dont elles rendent Musharraf responsable en raison de son alliance avec les États-Unis, que par la dégradation de leurs conditions de vie, causée entre autres par le parasitisme de la dictature militaire.

Dans ces conditions, pour servir les intérêts des puissances impérialistes, il est devenu nécessaire de donner une légitimité au pouvoir pakistanais compradore. S’il ne s’agit pas de mettre de côté l’armée, force politique et sociale centrale au Pakistan, les dernières élections avaient pour but d’adjoindre à la présidence de Musharraf un gouvernement civil qui pourrait jouir d’une certaine popularité. C’est là qu’entre en scène Benazir Bhutto, chef du file du PPP jusqu’à son assassinat fin décembre 2007.

Le PPP, parti des masses pakistanaises ?

Le PPP est un parti clanique, qui repose depuis sa création à la fin des années 1960 sur la famille Bhutto et dont la direction se transmet par hérédité. Il a été créé en 1967 par Ali Bhutto, le père de Benazir, ancien ministre de la dictature militaire d’Ayub Khan, devenu opposant sur des positions nationalistes suite aux concessions faites à l’Inde au sujet du Cachemire. Il est depuis le départ un parti de l’élite pakistanaise qui a fait allégeance à la famille Bhutto. Son programme mêle indistinctement et démagogiquement la religion, la lutte pour la démocratie et la référence au « socialisme ». Il ne s’est toutefois jamais agi pour ce parti de réaliser les aspirations de la classe ouvrière : sa conception du socialisme s’apparente d’avantage à un programme de nationalisations capitalistes, destinées à développer l’économie en l’absence d’une bourgeoisie forte. Toutefois, ce parti parvint à gagner l’attention des masses par ses discours radicaux contre la dictature militaire et, quand celle-ci chuta suite aux mobilisations populaires, ce fut Ali Bhutto qui arriva au pouvoir en 1971, pouvoir remis des mains mêmes de l’armée !

L’exercice du pouvoir confirma la vraie nature de classe de ce parti, soumis aux intérêts des grands propriétaires, avec une vision pour le moins autoritaire de la « démocratie » refusant la réforme agraire et poursuivant ses objectifs nationalistes (aucunement dirigés contre l’impérialisme, mais contre l’Inde voisine pour le contrôle du Cachemire). Après un nouvel épisode de dictature militaire et quelques règlements de comptes au sein même de la famille Bhutto, Benazir Bhutto arriva au pouvoir en 1988 d’abord, puis en 1993. Là encore, ses mandats n’ont pas été marqués par un progrès sensible pour les conditions de vie des masses, mais plutôt par un soutien aux forces réactionnaires religieuses et un renforcement du clientélisme et de la corruption, à tel point qu’elle a dû choisir l’exil en 1996, afin d’échapper à une menace de procès pour corruption et complicité dans l’assassinat de son propre frère…

C’est toutefois elle qui fut choisie en 2007 par les puissances impérialistes pour pouvoir ramener la stabilité qui leur était nécessaire au Pakistan. Malgré son exercice du pouvoir, la famille Bhutto et le PPP ont encore partiellement l’image dans l’opinion de gens qui luttent contre la dictature militaire. Benazir Bhutto prêta allégeance aux États-Unis dans leur « lutte contre le terrorisme », les obstacles juridiques à son retour (à savoir les poursuites judiciaires à son encontre et l’impossibilité constitutionnelle de briguer un troisième mandat) furent levés (par la manière forte : avec la destitution du chef de la Justice récalcitrant (2) et la suspension de la Constitution par Musharraf !). C’est ainsi qu’elle put revenir au Pakistan pour mener sa campagne électorale…

L’assassinat de Benazir Bhutto le 27 décembre 2007 a dramatiquement changé la situation. En refusant tout d’abord d’assurer sa sécurité, puis en refusant de mener une enquête sur cet assassinat, Al-Qaïda étant le coupable tout désigné, le régime de Musharraf a dévoilé aux masses sa responsabilité dans ce crime d’État. L’image de combattant de la dictature militaire qui reste attachée à la famille Bhutto et le sentiment pour les masses qu’on leur volait cette élection (3) ont contribué à la vague de colère qui a suivi l’assassinat. Ce mouvement de révolte spontané et massif a été durement réprimé par le régime Musharraf ; les forces de police déployées contre le mouvement d’émeutes ont tué des dizaines de personnes.

Les élections, reculées d’un mois, ont finalement eu lieu le 18 février. Le parti du général-président Musharraf, haï, a subi une défaite, avec seulement 36 sièges au Parlement, devancé par le PPP, qui en a obtenu 87, et le PML-N (Ligue Musulmane du Pakistan, tendance Nawaz Sharif), qui a emporté 66 sièges. Malgré les fraudes massives, les représentants impérialistes ont salué des élections « libres et justes », où ils ont vu un « pas en avant pour la démocratie ». Les États-Unis notamment, par l’intermédiaire d’un groupe de sénateurs démocrates, ont fait savoir qu’ils étaient satisfaits de ce résultat. En effet, en l’absence d’une figure forte capable de stabiliser le pays, la répartition des voix va mener à la constitution d’un « gouvernement d’union nationale », remède miracle que les impérialistes préconisent dans les pays dominés et condition sine qua non pour que les aides financières soient augmentées.

Pour un parti de la classe ouvrière, luttant contre l’impérialisme

Dans ces conditions, la classe ouvrière et les masses paysannes pauvres n’avaient aucune perspective dans ces élections. Ils n’avaient aucun intérêt à choisir un parti bourgeois plutôt qu’un autre dans cette opération de stabilisation du régime de Musharraf, pilier pour l’intervention impérialiste dans la région et l’occupation de l’Afghanistan. Le sentiment de colère légitime qui a saisi les masses après les agissements criminels à la tête de l’État ne peut pas faire oublier que le PPP est une des options pour la domination de la bourgeoisie compradore au Pakistan, et que ce parti a déjà fait ses preuves comme tel par le passé. De ce point de vue, il est totalement inacceptable, pour qui se réclame du communisme révolutionnaire, de mener campagne pour le PPP sous prétexte de son lien fort avec les masses et de sa référence formelle au « socialisme » dans son programme originel (4).

La campagne de boycott – nécessaire pour montrer que les travailleurs pakistanais refusent de servir de caution à un régime dont le mandat, fixé par les puissances impérialistes, ne prend pas en compte le sort du plus grand nombre – devait être aussi l’occasion d’une clarification politique. De ce point de vue, il n’était pas plus acceptable pour les forces communistes révolutionnaires de se fondre dans la vaste coalition pour le boycott apparue sous le nom d’APDM (Mouvement Démocratique de Tous les Partis), allant de l’« extrême gauche » à l’« extrême droite » — et qui a d’ailleurs renoncé au boycott lorsque Musharaf a accepté de reporter les élections de quelques semaines...

Au contraire, un authentique parti communiste révolutionnaire ne pourra se construire qu’en mettant en avant le programme de la classe ouvrière, alliée aux paysans pauvres, dans sa lutte pour ses propres intérêts, condition du combat pour en finir avec la dictature militaire comme avec la domination impérialiste et pour mettre en œuvre une politique réellement démocratique, révolutionnaire et socialiste.


1) Pour une description plus précise de l’histoire pakistanaise, on peut consulter Lutte de Classe (revue de Lutte ouvrière) de mars 2008.

2) Également coupable de déclarer anticonstitutionnel le cumul par Musharraf des postes de président et de chef des armées.

3) Avec d’autre part des centaines d’assassinats politiques dans les dernières semaines de la campagne électorale.

4) C’est pourtant la voie choisie par The Struggle (membre de la Tendance Marxiste Internationale, dont la section française est le groupe La Riposte, tendance du PCF) qui s’est intégré dans le PPP. Comme au Venezuela, où cette tendance appartient au parti de Chavez et capitule face à sa politique (cf. Le CRI des travailleurs n° 24, nov.-déc. 2006), le prétexte d’être avec les masses ne peut pas justifier de semer des illusions envers un parti bourgeois, fût-ce en y distinguant une droite et une gauche.


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