Le CRI des Travailleurs
n°31
(mars-avril 2008)

Derniers articles sur
le site du CILCA

Feed actuellement indisponible

Le CRI des Travailleurs n°31     << Article précédent | Article suivant >>

Quelques éléments sur le système bancaire actuel et sur la gestion de la « crise des subprimes »


Auteur(s) :Nicolas Faure
Date :20 mars 2008
Mot(s)-clé(s) :économie
Imprimer Version imprimable

Les banques ne sont pas de simples intermédiaires qui prêtent des fonds (crédits accordés aux clients) à partir des dépôts reçus. Elles créent de la monnaie lorsqu’elles accordent des crédits. La créance sur l’emprunteur est inscrite à l’actif de la banque qui peut alors reprêter cette somme. La créance est alors transformée en moyen de paiement. La banque, enfin, n’a pas besoin de détenir dans ses caisses l’équivalent en billets (monnaie fiduciaire) des sommes crées (monnaie scripturale, c’est-à-dire une simple écriture sur un compte). Si l’emprunteur ne peut pas honorer ses dettes, la banque peut alors se trouver dans l’incapacité de fournir les liquidités dont ses autres clients ont besoin (retrait de billets aux guichets…). Elle doit alors emprunter pour ne pas gripper, voire détruire le réseau économique auquel elle est liée.

La fourniture de liquidités nécessaires au fonctionnement des banques et la maîtrise de la création de monnaie sont deux fonctions d’une banque centrale (Banque de France au niveau national et Banque Centrale Européenne au niveau « continental »). La maîtrise de la création de monnaie est à lier à la maîtrise de l’inflation. Une banque centrale doit faire en sorte de limiter la création de monnaie car une quantité de monnaie en circulation trop abondante met à la disposition des agents un pouvoir d’achat supérieur à la quantité de biens et de services disponibles sur le marché, ce qui peut provoquer une plus forte demande et donc une hausse des prix si la production ne s’aligne pas sur cette demande.

La fourniture de liquidités aux banques par l’intermédiaire de prêts accordés par les banques centrales (opération appelée refinancement) permet en principe de réguler et de contrôler l’émission de crédits et la création de monnaie fiduciaire qui en découle. En augmentant le taux d’intérêt (taux directeur) de la « monnaie banque centrale », les banques payent plus cher les liquidités dont elles ont besoin. Elles sont alors forcées de limiter leurs émissions de crédits et d’être particulièrement attentives à la solvabilité des emprunteurs si elles ne veulent pas avoir à emprunter cet argent « cher ». (Elles peuvent également augmenter les taux d’emprunt pour les particuliers et les entreprises afin de compenser le manque à gagner du refinancement mais risquent alors de voir la demande de crédits diminuer…).

Comment expliquer alors que, ces dernières années, les banques aient pu émettre tant de crédits immobiliers aux États-Unis sans que soit assurée la solvabilité des emprunteurs ? Comment expliquer l’émission de liquidités par la BCE ou encore par la FED (banque centrale américaine) à des taux relativement faibles suite à la crise des subprimes l’été dernier ? Quelles conséquences pour l’économie réelle ?

Concernant la première question, on peut remarquer au passage que cette non solvabilité des emprunteurs est en partie le résultat d’une politique, de la part des financiers et notamment des banques, qui vise à rentabiliser toujours davantage les investissements dans l’économie réelle, avec l’impact que l’on sait sur la gestion des entreprises (de l’industrie faisant des bénéfices confortables à l’artisan ou au commerçant dont les traites sont parfois comme un couteau sous la gorge) et par conséquent sur la précarisation de la classe ouvrière.

Les réponses aux deux premières questions sont liées : des crédits continuent d’être émis malgré la non solvabilité des emprunteurs car les banques centrales, par le système sommairement expliqué ci-dessous, sont plus ou moins directement contraintes d’assurer les arrières des banques. La troisième question est très large mais, selon certaines règles « économiques », l’inflation et l’écroulement de la confiance entre les acteurs financiers peuvent être des réponses avancées.

Les banques n’ont pas nécessairement recours aux banques centrales pour obtenir des liquidités (même si, en dernier ressort, seule la banque centrale fournit les liquidités car elle en détient le monopole d’émission). Les entreprises, les États ou les banques classiques peuvent également s’échanger des liquidités sur le marché monétaire lorsque les taux d’emprunt qui y sont pratiqués sont inférieurs aux taux de refinancement. Les banques centrales ont un pouvoir de régulation sur ce marché car elles peuvent elles aussi y acheter ou vendre des titres. Ce pouvoir est cependant limité car d’autres facteurs aux mains d’autres acteurs déterminent également le comportement de ce marché.

Un des éléments limitant le pouvoir des banques centrales vient en partie du fait que le marché monétaire n’est pas anonyme. La possibilité pour les banques de procéder à des transactions gré à gré (non organisées dans une bourse) leurs permet de s’organiser indépendamment de toute autorité, y compris de la loi de l’offre et de la demande. Il en résulte un pouvoir de leur part sur la fixation des taux d’intérêts, notamment par l’intermédiaire des « swaps ».

Un swap est un contrat d’échange entre deux entités pendant une certaine période. Un swap de taux d’intérêt permet aux contractants de se couvrir contre les variations de taux d’intérêt en échangeant un taux variable contre un taux fixe et réciproquement. Cette possibilité de se protéger des conséquences d’évolutions imprévisibles fait le succès des swaps. Les taux d’intérêt « swap » servent actuellement de références dans les analyses des marchés et des évolutions des taux d’intérêts. Il faut ajouter que le marché de gré à gré des swaps est dominé par un petit groupe de banques qui décident après négociation des taux fixes.

En bref, lorsque les banques manquent de liquidités, celles-ci peuvent faire des emprunts à taux swap si les conditions négociées sont plus favorables que celles proposées par les banques centrales. Cependant, ce système ne résout pas le problème de la quantité globale de liquidités disponibles que seules les banques centrales peuvent créer. Toutes les banques ne peuvent donc pas trouver la quantité de liquidités dont elles ont besoin. Le risque que l’économie se bloque par l’effondrement du système de crédit « oblige » alors les banques centrales à injecter des liquidités à un taux suffisamment bas pour que les banques n’aient pas la tentation d’utiliser le « système parallèle » sommairement décrit ci dessus.

Les banques centrales sont donc réduites à des instruments au service des banques « classiques » utilisés pour rattraper leurs éventuelles erreurs et assurer des bénéfices systématiques. La FED aurait dû augmenter ses taux d’intérêts directeurs pour dissuader les banques d’avoir à lui emprunter des liquidités. Cette mesure aurait pu pousser les banques à être plus vigilantes lors de leurs émissions de subprimes (crédits à risque). Elle a en fait diminué ces taux pour permettre aux banques impliquées dans ce scandale de se refaire.

À plus ou moins long terme, quelles seront les conséquences de cette « toute-puissance » des banques privées et des intérêts particuliers associés ?

Une des premières conséquences est qu’elles vont pouvoir continuer d’émettre des crédits à risque. Ce risque est d’autant plus marqué que de plus en plus de travailleurs sont obligés de souscrire des crédits à la consommation pour boucler leurs fins de mois. Or ce type de crédits cache la diminution des moyens « réels » des travailleurs tout en augmentant virtuellement leur pouvoir d’achat, avec la conséquence attendue sur l’inflation et sur leur non solvabilité à plus ou moins long terme. L’inflation effectivement constatée ces derniers temps (matières premières, etc.) ne permet pas d’établir formellement que la relation entre l’inflation en général, l’émission de « monnaie banque centrale » pas chère et les émissions de crédits est une relation de cause à effet. Il serait cependant curieux qu’il ne s’agisse que d’une corrélation.

Une deuxième conséquence de cette « toute-puissance » des banques sera-t-elle un écroulement du système financier mondial, avec des conséquences catastrophiques sur l’économie réelle ? Les crises boursières importantes et récurrentes ces derniers temps sont en grande partie le résultat d’une rupture de confiance entre les acteurs du système financier Confiance rendue impossible par la difficulté voire l’impossibilité d’honorer des engagements financiers pris sans que l’existence des liquidités nécessaires soit assurée. Les autorités actuelles, se cachant derrière la responsabilité à court terme et le danger de contrarier le fonctionnement d’un système bancal dont l’écroulement aurait de graves conséquences sur l’économie réelle, ne semblent pas envisager de reprendre en main les commandes mais créent les conditions de la perpétuation de ce système. Elles se rendent de fait complices de ce système.

L’ancien directeur de la banque centrale américaine regrette les conséquences de la politique de cette institution, mais dit qu’il prendrait les mêmes décisions si les problèmes lui réapparaissaient tels qu’ils s’étaient posés… Il avoue donc indirectement l’impuissance de la banque centrale américaine. La complicité de cette banque centrale dans le fonctionnement du système bancaire actuel serait donc une complicité contrainte…

Les garde-fous censés préserver les systèmes bancaires et financiers des dérives des intérêts particuliers de ses acteurs, sont inefficaces et mêmes détournés pour perpétuer par perfusion un système malade, permettant ainsi des dérives toujours plus grandes. Une solution radicale semble s’imposer… Certains avancent la possibilité de créer une instance exécutive démocratique qui aurait un pouvoir sur les institutions comme les banques centrales. Combien de temps cette nouvelle instance résisterait-elle face au pouvoir économique sans limite que permettent l’accumulation illimitée de capital et la possibilité de décider d’une manière non démocratique de l’utilisation de ce capital ? Il serait certainement plus sûr de réfléchir à une réorganisation totale des systèmes financiers et économiques…

Nicolas Faure,
sympathisant
CRI

Sources :


Le CRI des Travailleurs n°31     << Article précédent | Article suivant >>